Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !
,

Éclairer les belles choses

Elle s’enthousiasme pour l’école, sans doute parce qu’elle l’a faite grandir et le fait encore aujourd’hui. « Je suis complètement admirative de ce que les communautés éducatives mettent en œuvre. » Enseignante en sciences de la vie et de la terre, elle est devenue principale adjointe puis principale dans l’Essonne au moment de la réforme du collège. « Comment on s’empare de ça ? C’était un sacré défi et une superbe expérience. On a abouti à évaluer uniquement par compétences et supprimer les notes. »

Elle fait un détour d’un an à la Dgesco (Direction générale de l’enseignement scolaire du ministère de l’Éducation nationale) comme cheffe du bureau des collèges. Le terrain lui manque. Elle repère le poste de proviseure à Joliot-Curie et l’intègre à la rentrée 2018. L’établissement était malmené avec des à priori négatifs dehors comme dedans. Elle sait qu’il s’y passe des choses positives. Alors, elle filme des séquences, des projets avec l’accord des enseignants et des élèves. « J’ai mis en lumière ce qui existait déjà, voilé par la violence et la mauvaise réputation. J’ai commencé par réaliser une vidéo de neuf minutes pour montrer en quoi ce lycée était fabuleux. »

C’est un moyen pour elle de permettre aux élèves d’être fiers de leur établissement et en retour de les responsabiliser. Elle dialogue pour que chacun soit conscient qu’il est important, au même titre que les autres, autant qu’elle. Avec ceux qui possèdent une double langue, elle échange sur les compétences que le bilinguisme leur apporte. Les retardataires ou les sanctionnés repartent de son bureau avec la certitude que la faute, une fois réparée, ne sera pas stigmatisante et servira à grandir. Elle dit souvent « Maintenant que tu sais que tu es important, je vais être exigeante avec toi. »

L’importance de la jeunesse

Elle trouve la jeunesse épatante et d’importance puisque l’avenir est le sien. « Ils sont formidables, nous apprennent plein de choses. Ils sont ingénieux, solidaires, avec un réel sens de l’esprit critique, ils cherchent à transformer le monde. » Elle a vu les lycéens débattre, contester la réforme du lycée par peur de l’iniquité, de la discrimination qu’ils pourraient subir lors des décisions d’orientation en venant de Joliot-Curie.

Avec les enseignants, elle les a écoutés, leur a laissé du temps pour échanger entre eux, les a observés grandir de ce débat. « Cela donne une vraie responsabilité. Chacun fait sa part et concourt à ce que dans cette microsociété ils trouvent leur place et se projettent dans l’avenir. » La confiance réciproque aide à traverser les turbulences : la réforme puis le confinement, le changement de protocoles et d’organisation des épreuves du bac. «On est solidaire, on est fatigués mais pas au bout psychologiquement. On prend soin les uns des autres. Prendre soin de soi, des autres et de la planète en même temps, c’est fondamental. »

Climat apaisé

Depuis deux rentrées, le climat scolaire s’est apaisé, cela aide à vivre cette période éminemment complexe. La coconstruction est à l’œuvre parce que réfléchir à plusieurs permet de faire des choix avec discernement. Cette intelligence collective l’aide à prendre des décisions mais permet également de révéler tous les talents et que chacun puisse comprendre le sens de ses choix. « Je n’ai pas peur de dire que je me suis trompée. On expérimente, ça peut évoluer avec ce que les uns et les autres vont apporter ». Elle plaide pour la transparence, sur des décisions prises avec clarté, des raisons explicitées et une véritable reconnaissance de l’expertise des enseignants.

Être à l’écoute, c’est sentir les inquiétudes qui pèsent sur les décisions d’orientation, qui s’expriment chez les lycéens, les parents et les professeurs. Pour éclaircir et éclairer les choix, elle a réalisé un Padlet synthétisant les informations utiles pour l’orientation en seconde. « C’est important que tous les parents soient sur un pied d’égalité pour aider leurs enfants. Ils ont peur car ils veulent le meilleur pour leurs enfants. » Les réactions sont très positives.

Scènes de la vie au lycée Joliot-Curie

Scènes de la vie au lycée Joliot-Curie

Alors elle en profite pour distiller un message de confiance réciproque, expliquer que les enseignants ont l’expertise pour accompagner au mieux les élèves. Pour aider les lycéens à positionner leurs résultats en vue de l’obtention du bac, elle a mis à disposition un calculateur basé sur les notes obtenues en première et terminale. L’outil est aussi destiné aux enseignants pour les aider dans leur accompagnement. « Je suis contente de me rendre utile et en même temps, ça crée des cercles vertueux en donnant envie à tous de faire mille et une choses. »

Son implication lui offre la possibilité d’exprimer un désaccord, d’être sincère sur ses émotions. À son arrivée, le climat scolaire était marqué par la violence. Il s’est apaisé par une obstination à y faire face, à ne pas bouger tant qu’une autre réponse aux difficultés ne serait pas trouvée, à dire aussi l’incompréhension et la tristesse. « Les élèves sentent qu’ils ont en face d’eux des professeurs et une communauté scolaire toute entière qui font tout pour leur réussite, entendent qu’ils sont importants, qu’ils sont la société de demain. Il n’y a plus de légitimité à être violent. »

De la colère et de l’optimisme

Elle regarde ces jeunes se débattre dans un présent confus, vers un avenir flou et malgré tout grandir et bâtir la société de demain. Elle observe ce que les communautés scolaires mettent en place, comment elles s’adaptent, inventent. Alors, quand les uns et les autres sont malmenés sur les réseaux sociaux ou dans les médias, lorsque les représentations projetées sont noircies, négativement déformées, elle ressent de la colère.

À l’issue du premier confinement, lorsque le prof bashing a succédé brutalement aux remerciements au corps enseignant, elle a tweeté sa colère et son désarroi. « Je suis fatiguée Je suis fatiguée des éternels besoin de justifier tout ce que je fais auprès de la société. Je suis fatiguée de lire désormais cette haine envers les personnes qui font l’école. Venez chercher les clés de mon lycée. Dans le désordre et avec émotion… », ainsi commençait son fil. « Concernant l’Éducation nationale, on a l’impression d’avoir affaire à des millions de spécialistes sans qu’ils se rendent compte de ce que font les communautés scolaires. Le travail des enseignants est lié à l’envie farouche que tous les lycéens puissent avoir les mêmes chances de réussir. La société ne prend pas acte de ça. »

Sa colère ne gâche pas son optimisme qu’elle préserve en « ne posant pas sa caméra sur les fâcheux ». Elle s’attache à prendre soin de « ces graines d’avenir » que les parents lui confient, à les aider à « réenchanter leur aujourd’hui sinon leur avenir ne sera bâti que sur des choses négatives. » Elle prône l’humanisme pour franchir les obstacles et savoir envisager avec lucidité cette périlleuse période. « Construire l’avenir ? Aujourd’hui c’est difficile et demain n’existe pas. Tout est sable mouvant mais tout ce qu’on fait aujourd’hui dans l’adaptation, la relation à l’autre va nous servir demain. »

Monique Royer

Le padlet de l’orientation en seconde
[Le calculateur du bac->
http://www.lyc-curie-nanterre.ac-versailles.fr/spip.php?article948]