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De l’Histoire aux histoires : ce qu’aiment lire les enfants

Il y en a pour tous les goûts ! Avec plus 7000 nouveaux titres de fiction parus en 2018, des romans jeunesse au young adult, et plus de 8000 albums pour la petite enfance, la littérature pour la jeunesse affiche une richesse et une diversité à même d’attirer un public exigeant. La fréquentation du SLPJ (Salon de la littérature et de la presse jeunesse) – 175000 visiteurs en 2017 – confirme que le livre n’a pas dit son dernier mot.

Cette année, la thématique choisie par les organisateurs s’intitule « Nos futurs ». De fait, la littérature conduit les jeunes générations à s’interroger sur le monde qui les entoure et à réfléchir à celui dans lequel ils voudraient vivre. Écologie, migrants, nouvelles technologies, sont quelques-unes des thématiques mises en avant. Sont-elles celles qui font vendre des livres ? Pas forcément, selon les professionnels de l’édition.

Historique

« Les lecteurs ont une forte appétence pour les romans historiques », observe Laurence Faron, directrice de Talents Hauts, une maison d’édition « qui bouscule les idées reçues » depuis 2005. « Notre collection “Les Héroïques”, pour les plus de 13 ans, marche très bien. Elle met en scène des héros – chez nous, souvent des héroïnes – dans un contexte historique. » Une inclination qu’elle s’explique par le contexte social : « C’est assez classique, dans les périodes tendues, il y a un besoin de se tourner vers le passé pour comprendre l’avenir. Dans le roman Le Chant noir des baleines, de Nicolas Michel, l’histoire du tirailleur sénégalais échoué sur une plage de l’île de Ré fait écho à l’actualité des migrants qui se noient en Méditerranée », illustre l’éditrice.

Une tendance que confirme Thierry Laroche, directeur éditorial des éditions Gallimard Jeunesse. « Le roman historique se porte très bien, on le voit par exemple avec l’album junior Capitaine Rosalie de Timothée de Fombelle. » L’histoire d’une petite fille en 1917, dont le père est parti au front et qui s’octroie une mission de la plus haute importance. Les héros enfants séduisent leurs lecteurs, qui aiment s’identifier aux personnages de leurs livres. « Les romans sous forme de journaux intimes ou écrit à la première personne du singulier, dans la lignée du Petit Nicolas, rencontrent un franc succès », poursuit Thierry Laroche, citant notamment la série des « Jean-Quelque-Chose », une famille de six garçons aux caractères tous différents.

Héroïnes

Mais les garçons sont désormais détrônés par le souffle du mouvement #MeToo : les héroïnes fortes sont dans l’air du temps éditorial. Ainsi, les livres ou bandes dessinées autour de figures féminines inspirantes fleurissent-ils dans les rayons des librairies. De quoi agacer un peu Laurence Faron : « Chez Talents Hauts, cela fait quinze ans que l’on travaille sur l’égalité homme-femme, c’est même notre ligne éditoriale. C’est très bien que d’autres éditeurs fassent plus attention à ce qu’ils publient. Mais il y a aussi beaucoup de récupération mercantile… Frida Kahlo serait étonnée de sa postérité ! » plaisante-t-elle. Un sujet qui attire particulièrement les jeunes filles de 15 à 18 ans, remarque-t-on chez Gallimard BD, au regard du public qui achète Les Culottées de Pénélope Bagieu (deux albums parus en 2016 et 2017, avant l’affaire Weinstein).

Malgré tout, il y a encore de la marge de progrès, comme en témoigne Le libraire se cache qui tient une librairie spécialisée en bande dessinée : « Le côté archi-genré, que je tente d’éviter à tout prix, existe : le football ou Minecraft avec des couvertures bleues “pour les garçons”, et des tranches de vies avec des cœurs dedans et des couvertures roses “pour les filles”… Il n’y a pas pire question au monde que : “Vous êtes sûr que ça va plaire à un garçon vu que c’est un héros-fille ?” »

Pédagogie

Une autre tendance que l’on voit poindre est celle des ouvrages à vocation pédagogique. En bande dessinée, notamment, l’offre d’albums « éducatifs » est en plein essor. Près de 10 % des parutions annuelles sont des BD historiques, auxquelles s’ajoutent les adaptations d’œuvres littéraires et autres thématiques disciplinaires. Même si en 2017, Françoise Nyssen, alors ministre de la Culture, et Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, affichaient « une volonté politique de réconcilier arts et éducation », cette tendance est davantage une volonté des maisons d’édition que le fait des ministères.

Dans un autre registre, des supports pédagogiques adaptés aux enfants à besoins particuliers se développent petit à petit, comme chez Talents Hauts : « Nous proposons des adaptations numériques de nos livres pour les enfants qui souffrent de “dys-” ou qui ne sont pas autonomes dans la lecture, témoigne son éditrice. Ils peuvent ainsi suivre les mêmes lectures que leurs camarades de classe. Les ePubs permettent en effet de surligner des mots, d’espacer les lignes, et proposent des descriptions de vocabulaire. Chacun peut “trafiquer” le texte selon ses besoins. » À condition que l’école dispose de l’équipement et d’un petit budget pour accéder la plateforme numérique. Quant à l’audio-livre, il se développe également, mais l’édition jeunesse « est à la traîne », concède Thomas Laroche.

Du Père Castor à Harry Potter

Grand classique également, les histoires sur les liens entre hommes et animaux ou mettant en scène des personnages anthropomorphiques. Chez Les Fourmis Rouges, maison d’édition d’albums illustrés créée il y a cinq ans, à la réputation déjà bien installée, on note une prédominance des livres avec une narration forte, par opposition à des livres conceptuels. « Il y a un retour à l’histoire “pure” dans le style du Père Castor, avec des aventures, des rebondissements », explique Brune Bottero, l’une des co-fondatrice. « De préférence avec de l’humour. Notre best-seller est Panique au village des crottes de nez, de Mrzyk et Moriceau : des personnages loufoques qui vivent des aventures hilarantes ! »

Enfin, le fantastique et la fantasy restent des incontournables, avec des sagas comme Les Royaumes de Feu côté roman, Les Légendaires, Seuls ou Rose écarlate côté BD. Sans oublier l’indétrônable Harry Potter, qui envoûte les lecteurs depuis déjà vingt ans, rejoint par Les Animaux fantastiques, de la même J.K. Rowling. « Les éditeurs cherchent toujours à copier ce qui marche, quitte à avoir un train de retard, remarque Le libraire se cache. En ce moment, j’ai l’impression qu’on retrouve des histoires dans l’esprit de Seuls. À savoir celles qui font un peu peur mais pas trop, et qui ont des thématiques survival qu’on retrouve surtout en roman. D’ailleurs, on trouve aussi énormément d’adaptations, comme Méto, La quête d’Ewilan, etc. »

Pépite

Un amour pour l’imaginaire confirmé par le jeune jury de Montreuil, qui a attribué la Pépite[[Les Pépites sont les prix décernés lors du salon de Montreuil.]] roman à L’enfant de poussière (Le Diable Vauvert), de Patrick K. Dewdney, auteur d’un mémoire de recherche sur les littératures de l’imaginaire et la contre-culture du XXe siècle. Le premier tome d’une saga qui raconte la quête initiatique d’un enfant de 8 ans, dans un univers médiéval, avec une exigence narrative riche, qui aborde, l’air de rien, des sujets d’actualité (les réfugiés, la domination des élites, etc.).

Plus que des thématiques tendance, ce sont donc avant tout les histoires et illustrations de qualité qui attirent les lecteurs. Comme le rappelle un article sur la littérature jeunesse paru sur The Conversation, « un bon livre ne prend pas le lecteur pour un imbécile ». Quel que soit son âge.

Natacha Lefauconnier


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