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Engagement éducatif

Cet engagement remonte à son adolescence lorsqu’il travaille l’été comme animateur de centre de loisirs et prépare son brevet d’animateur avec les Francas. Il retrouve là les accents de l’éducation populaire telle qu’il la fréquente depuis l’enfance auprès du Comité d’entreprise d’une industrie métallurgique de Saint-Chamond, là où travaille son père. L’accès à la culture, au théâtre, à une vaste bibliothèque dont il prend d’assaut les livres, méthodiquement, par ordre alphabétique, il le goûte là. Jeune déjà, il est engagé politiquement, syndicalement, et son expérience de l’animation le fait hésiter dans ses choix d’avenir entre l’enseignement et le droit du travail. A 20 ans, il devient instituteur, sans vocation réelle, et découvre un métier qu’il apprécie.

Son premier poste fixe se trouve dans une école publique de milieu rural à classe unique, qui sera sauvée de la fermeture grâce à une lutte menée avec les parents d’élèves. « Je fais partie de cette génération d’instituteurs qui avaient un engagement très fort sur la question de la laïcité. » Cet engagement le mène vers un conseil syndical départemental puis, quelques années plus tard, il quitte son poste d’enseignement pour devenir permanent aux Francas de la Loire. Encore aujourd’hui, il se réfère à ce qu’il a découvert, ce socle de valeurs bâties au sein d’un mouvement d’éducation populaire jeune, qui promeut la littérature jeunesse, et s’intéresse à la coéducation. L’idée d’écosystème éducatif, dans une complémentarité entre les sphères éducatives, est explorée. « On s’est dit qu’on ne pouvait pas faciliter la réussite éducative des petits si l’on ne s’intéresse pas aux parents. On a décidé d’aller aussi sur le champ de la formation pour adultes. »

Rencontre avec l’illettrisme…

Il restera permanent quatre ans. A son retour en classe, il se sent un peu à l’étroit. Il donne des cours d’arithmétique pour le Greta les mercredis après-midi auprès d’ouvriers de la métallurgie dans le cadre d’un plan de reconversion. Certains parmi eux sont en situation d’illettrisme. Eric Nedelec en fait le constat a posteriori, la notion lui était encore peu connue. Il se plaît en formation pour adultes, alors lorsque le Greta ouvre un Atelier pédagogique personnalisé, il accepte d’en devenir coordonnateur-formateur. « Ça a agit comme un déclic. Des parents d’élèves en difficulté que j’avais eus en classe, je les ai retrouvés là. Et chaque fois que ces adultes renouaient avec les savoirs de base, ils avaient la même réaction en disant “je vais pouvoir aider mon fils, ma fille”. »

Il se forme beaucoup, sur les méthodes d’éducabilité cognitive notamment, en « autodidacte éclairé » nous dit-il. Au bout de sept ans, il passe le concours de Chargé de formation continue, est nommé dans un petit Greta où il retrouve sa préoccupation du service public. Il est chargé du secteur chaudronnerie et de celui des formations générales, et voit là une belle conciliation entre son attrait pour le monde industriel et son souci de développer des formations sur les savoirs de base, une bonne stimulation aussi de sa créativité. « C’était une des plus belles périodes de ma vie professionnelle. »

Il découvre le cadre national de référence de l’ANLCI lorsqu’il répond à un appel à projet pour la création d’un atelier pédagogique Illettrisme. Au bout de sept ans, le charme se brise sur l’écueil de la logique économique. Une formation pour laquelle il s’est battu n’ouvre pas, tombe sous le couperet du seuil de rentabilité, argument à rebours de son souci du service public.

et l’ANLCI

Il se souvient d’une offre d’emploi passée sur sa boite mail pour un poste à l’Anlci. Il l’étudie, se dit que cette annonce est pour lui et postule. Peu après, il commence une nouvelle page de son parcours professionnel marqué par le fil rouge de l’engagement éducatif. « Les missions avaient des contours flous, avec une partie ingénierie de formation pour adultes et une partie prévention. Tout était à construire. » Son passage aux Francas donne le ton de sa mission, dans l’idée que tout ne se passe pas sur les bancs de l’école, que l’acquisition des savoirs se fait aussi dans d’autres sphères, celle de la famille, celle des activités extra-scolaire, celle des écrans.

Il retrouve le monde de l’éducation populaire, établit des passerelles avec les institutions et le monde de l’entreprise, dans des partenariats construits pour structurer un cadre de référence, préciser ce que sont les situations d’illettrisme, qui sont les personnes qui les vivent et quels sont les moyens d’agir. Le lien entre prévention et lutte lui semble d’évidence : « Quand on a des actions de prévention en direction des tout petits, on touche aussi les parents, on est aussi dans la lutte. »

Alors, il contribue au développement d’une démarche d’actions éducatives familiales. « J’ai trouvé à l’ANLCI une organisation, une méthode de travail où l’on se réunit pour mieux agir sur les questions éducatives loin des enfermements idéologiques, où l’on s’intéresse à ce qui se fait pour trouver des dénominateurs communs. » Autour de la table, sont présentes, parfois, des approches que tout, au premier regard, oppose mais qui partagent le même souci de la réussite éducative pour tous. « Nous, on dit qu’aucun d’entre eux n’est détenteur de la seule bonne solution à imposer aux autres. Chacun a trouvé une bonne solution qu’il faut analyser. »

Alertes et inquiétudes

La question de l’illettrisme est encore mal connue, mal comprise et même confondue avec l’analphabétisme ou circonscrite à un manque de maîtrise de la langue française. Les personnes en situation d’illettrisme sont allées à l’école en France mais ont oublié ou n’ont pas acquis tout un pan de ce qu’elles auraient dû y apprendre. Elles n’ont pas besoin d’un enseignement en Français langue étrangère (FLE) mais d’une formation spécifique adaptée aux savoirs qui leur manquent pour être tout à fait autonomes dans leur vie quotidienne. Des salariés sont concernés, plus que les idées reçues ne le laisseraient présumer. Ils représentent 51 % des personnes repérées. Il n’y a pas de portrait-robot de l’illettré, pas de signe distinctif, pas d’apparentement systématique à des problèmes sociaux, pas de cas moyen mais une diversité de situations.

Ce sont ces nuances qu’explore l’ANLCI, défendant à la fois la pluralité des profils concernés et la nécessité de considérer spécifiquement l’illettrisme, l’importance de construire des dispositifs de formation adaptés sans l’afficher pour ne pas dissuader.
Alors, lorsqu’une mission de préfiguration d’une Agence de la langue française et de la cohésion sociale est confiée à Thierry Lepaon, avec une absorption de l’ANLCI probable, les inquiétudes se font jour. « On continue à faire des confusions entre illettrisme et FLE. On oublie aussi que beaucoup de personnes en situation d’illettrisme vivent en milieu rural peu peuplé. 10 % vivent dans les zones urbaines sensibles. » Lier l’illettrisme à la cohésion sociale, le limiter à la maîtrise de la langue, risque également d’écarter du chemin de la formation des personnes qui ne se reconnaîtront pas dans les intitulés et dans les intentions. Et dans ces moments de vigilance, pour que l’Agence dédiée à la prévention et à la lutte contre l’illettrisme ne s’efface pas des tablettes des services publics, Eric Nedelec se sent « plus que jamais militant éducatif pour une éducation pour tous ».

Monique Royer

Le site de l’ANLCI : http://www.anlci.gouv.fr/