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État, collectivités, association : une indispensable alliance pour articuler les temps de l’enfant

La Convention citoyenne sur les temps de l’enfant poursuit ses travaux et ses auditions depuis plusieurs mois. Voici le compte-rendu de l’une de ces interventions par son auteur, Damien Berthilier, qui défend le rôle essentiel joué par les collectivités et les associations aux côtés de l’État, notamment, et la nécessaire articulation entre école, temps périscolaire et éducation populaire, mise à mal par la semaine de quatre jours.

Tout le monde ne le sait pas : en matière de dépenses intérieures d’éducation, l’État n’intervient qu’à hauteur de la moitié, tandis que les collectivités le font à hauteur de près du quart, le reste se répartissant essentiellement entre CAF et familles. Depuis la loi Guizot de 1833, les communes financent obligatoirement les bâtiments scolaires (et même, à l’époque, les instituteurs !). C’est donc une compétence ancienne, réaffirmée par les lois de décentralisation de 1982 pour les départements et les régions.

Progressivement, les collectivités ont mis en place des politiques de loisirs, d’éducation, d’enfance et de jeunesse. Elles s’appuyaient souvent sur une dynamique initiée après-guerre par les mouvements d’éducation populaire. Les communes plus en pointe ont créé des projets éducatifs locaux pour donner un cadre politique à l’alliance territoriale de l’ensemble des acteurs. Elles actaient de fait la transformation du métier d’enseignant du premier degré, plus spécialisé et plus centré sur le temps scolaire.

Aujourd’hui, les enseignants et enseignantes qui assurent l’encadrement du temps méridien ou des activités du soir sont l’exception. Les communes ont de fait été amenées à intervenir, directement ou avec des associations d’éducation populaire, comme acteurs éducatifs sur une période allant jusqu’à la moitié du temps passé à l’école par les enfants. Cette dynamique s’est nettement accentuée en 2013-2014, avec la réforme dite des rythmes scolaires1.

Un levier : les projets éducatifs de territoire

Il ne faut pas oublier qu’à cette période, de nombreuses communes ne géraient aucun temps périscolaire structuré, déléguant souvent aux directions d’école l’organisation des études du soir. Le passage à une semaine de quatre jours et demi, avec une matinée de plus et des après-midis allégés, invitait à repenser l’intervention des communes. Comment conjuguer l’initiative laissée au terrain tout en garantissant l’égalité d’accès aux loisirs éducatifs et l’équité de moyens pour les collectivités ?

En 2013-2014, l’État a voulu résoudre ce problème en instaurant les projets éducatifs de territoire (PEDT) : contre un engagement de qualité inscrit dans un document rédigé par la commune ou l’intercommunalité et signé par l’Éducation nationale, le préfet et la CAF, un financement de 50 € par élève est octroyé (90 € dans les zones urbaines et rurales prioritaires).

C’était probablement insuffisant2 mais constituait un soutien clair et sans autre condition que de disposer d’un projet éducatif.

En 2016, plus de 90 % des communes avaient signé un PEDT. Pour beaucoup, cela a permis une constitution de services internes dédiés, de mobilisation de l’éducation populaire, de propositions nouvelles d’activités pour les enfants. Certes, la trajectoire vers des activités de qualité partout et pour tous était encore longue, mais il fallait consolider cet effort et non l’anéantir en une décision.

Marche arrière : l’effondrement du périscolaire

Dès 2017, la possibilité d’un retour à la semaine de quatre jours, actée précipitamment par le nouveau gouvernement, a eu pour effet de replacer une grande majorité de communes dans l’exception internationale des quatre jours de classe hebdomadaires. Elle a automatiquement privé ces mêmes communes du fonds de soutien, avec un effondrement du nombre d’heures d’accueil de loisirs. Entre 2016-2017 et 2023-2024, on est passé de 2,9 millions de places en accueils périscolaires à 2 millions.

Pire, depuis la rentrée 2025, même les villes restées à quatre jours et demi (cinq matinées de classe) se sont vu retirer leur financement, le fonds étant purement et simplement supprimé. Si les CAF continuent de soutenir les temps périscolaires, l’État s’est totalement désengagé de ce champ.

Dès lors, les inégalités d’accès à ces loisirs éducatifs – les seuls pour beaucoup d’enfants des classes populaires – se sont accrues. Les communes qui ont les moyens (ou qui se les donnent), tant en ingénierie qu’en encadrement qualitatif, ont pu consolider leur niveau d’intervention. Le baromètre de l’Andev 2025 le montre bien parmi ses adhérents.

Beaucoup d’autres, en revanche, ont dû substituer des garderies ou des études aux accueils de loisirs déclarés en accueil collectif de mineurs (ACM). Elles se sont ainsi extraites de l’obligation d’équipes composées à 80 % au moins d’animateurs et animatrices diplômés, voire ont adopté des taux d’encadrements déjà assouplis.

Pourtant, les PEDT continuent d’exister et d’être renouvelés en nombre, certes bien moins important (un tiers de communes avec un PEDT en 2025, un tiers en cours de renouvèlement et un tiers sans aucun projet). Au printemps dernier, l’État a souhaité relancer cette dynamique à travers une note de service interministérielle sur la continuité éducative.

Un élan possible avec la baisse démographique

En effet, il y a urgence à remettre les projets éducatifs au cœur du pilotage pour réaliser des alliances éducatives entre école, collectivités et associations sur l’ensemble du territoire national. Les cités éducatives3, si elles ont permis d’avancer en ce sens, ne concernent encore qu’une petite partie des élèves.

Entre 2016 et 2029, il y aura plus d’un million d’élèves en moins dans le premier degré, c’est considérable ! Comment accepter alors qu’il serait impossible de mettre à minima les mêmes moyens dans les prochaines années qu’en 2016, avec une telle baisse démographique ? Comme pour le nombre d’élèves par classe, ne manquons pas cette occasion historique de réhausser les moyens par enfant sur les temps péri et extrascolaires !

Mais si les moyens humains et financiers sont une condition essentielle, ils ne sont pas suffisants. L’État doit rejouer son rôle pour assurer l’équité territoriale dans la capacité à construire des projets éducatifs. Il doit travailler avec les associations de collectivités à une réelle articulation des temps de l’enfant qui reste un impensé.

Il ne manquerait pourtant pas grand-chose pour articuler les projets d’écoles avec les projets pédagogiques des accueils de loisirs. On raisonne encore aujourd’hui trop en juxtaposition, comme si ce qui se passait en dehors de la classe ne regardait pas les enseignants et enseignantes ; comme si ce qui se passe dans la classe ne peut pas intéresser les animateurs et animatrices.

Sans se centrer uniquement sur la question bloquante dans le débat du nombre de matinées de classe, il y aurait beaucoup à faire pour partager les expériences, croiser les regards professionnels, proposer des parcours individualisés toute la journée et toute l’année aux enfants à besoins spécifiques, etc. Le croisement des compétences est aussi un croisement sociologique fécond, tant l’écart entre le niveau scolaire et social des enseignants et des animateurs s’est accentué depuis le début du XXIe siècle. Et ce n’est pas uniquement l’enjeu du premier degré mais aussi, de plus en plus, celui du collège.

Penser les rythmes éducatifs des ados

La Convention citoyenne sur les rythmes de l’enfant a bien pris en compte les âges scolaires jusqu’au second degré. Il est en effet essentiel de se pencher enfin sur les rythmes éducatifs des adolescents. Le slogan présidentiel du 8 heures – 18 heures au collège, s’il n’a pas beaucoup de sens en soi, souligne une vraie problématique à traiter.

Je ne m’arrêterai pas ici sur les horaires scolaires malheureusement souvent peu adaptés aux rythmes chronobiologiques des adolescents. En revanche, comment ne pas relever la rupture entre l’école primaire, où les enfants sont pris en charge toute la journée, et le collège, où l’après-classe n’est pas vraiment pensé ? Il ne suffit pas de déplorer le temps passé isolé à la maison, le manque d’activité physique et de temps de socialisation. Il est possible de penser un projet éducatif partagé aussi à l’âge du collège.

C’est un défi pour la plupart des départements, qui voient encore leur rôle d’un point de vue bâtimentaire ou de gestion du personnel technique. C’est pourtant une nécessité sociale et un enjeu d’égalité devant l’accès aux loisirs éducatifs à un âge crucial de la construction des individus. Les acteurs ne manquent pas (personnels de vie scolaire, communes, associations, etc.) qui pourraient proposer un continuum éducatif à partir et autour du collège. Les exemples en ce sens abondent, notamment en éducation prioritaire. C’est aussi un élément non négligeable de l’attractivité des collèges publics.

La question des rythmes scolaires est aussi une question budgétaire, qui est elle-même une question politique. Notre société considère-t-elle comme essentiel de proposer un projet émancipateur pour tous les enfants, aux différents moments de la journée comme aux différents âges ?

Si nous répondons oui, les outils pour le réaliser existent déjà et le mouvement associatif n’attend que cela pour retrouver des perspectives positives. Manque un peu de volonté politique, de méthode et d’une vision d’ensemble. Il en va de l’ambition collective dans lequel doit s’inscrire tout projet éducatif.

Damien Berthilier
Ancien élu local et ancien président du Réseau français des villes éducatrices, créateur en 2020 de Territoire éducatif, cabinet qui accompagne les collectivités dans leurs projets éducatifs de la petite enfance à la jeunesse

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Sur notre librairie

Couverture du numéro 587, "Scolaire, non scolaire".

Couverture du n° 564, « La coéducation permanente »

Notes
  1. En réalité, une des nombreuses dispositions inscrites dans la loi de refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013, mais c’est souvent la seule disposition qui est retenue dans la mémoire de cette période…
  2. Lors de la conférence que nous avons organisée avec Étienne Butzbach en 2023 pour les 10 ans de la loi de Refondation de l’école, Vincent Peillon et Jean-Paul Delahaye ont expliqué le manque de soutien au sein du gouvernement pour faire de cette réforme un engagement interministériel qui soutienne les collectivités et le secteur de l’animation à la hauteur des besoins.
  3. Créées en 2019, les cités éducatives sont animées par une « troïka » composée d’un collège chef de file, de la préfecture et de la commune. Au nombre de 200 aujourd’hui, elles sont déployées dans la plupart des quartiers prioritaires pour faire vivre une alliance territoriale et financer des projets de la petite enfance à la jeunesse.