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ESPÉ : en route !
Un très mauvais départ
La réforme des ESPÉ souffre de deux fautes originelles majeures : elle ne s’est pas appuyée sur un bilan des IUFM (institut universitaire de formation des maitres), et elle a maintenu la place invalidante du concours qui clive la formation en deux phases radicalement discontinues, la formation véritablement professionnelle ne s’effectuant qu’en seconde année. Prendre le temps d’un bilan sérieux aurait permis d’identifier les deux acquis majeurs des IUFM : d’une part, les diverses méthodes d’analyse de pratique qui permettent d’initier une démarche réflexive chez les enseignants débutants ; d’autre part, la production d’un mémoire construit sur la relation entre recherche et pratique, et qui donne corps à cette démarche réflexive. Un bilan aurait aussi permis de mesurer à quel point la réduction de la phase de formation professionnelle à une seule année obligeait à faire subir aux professeurs stagiaires une succession assommante de cours et d’évaluations nécessairement mal coordonnés, mal associés à leur stage en établissements, et au final contreproductive, puisqu’elle confortait nombre d’entre eux dans le préjugé que la seule vraie formation était celle du terrain.
La mise en œuvre précipitée et non réfléchie de la réforme va aggraver ces défauts. Elle maintient la réduction de la véritable formation professionnelle à une seule année et elle suppose une collaboration accrue entre les ESPÉ, les universités et les rectorats, c’est-à-dire des institutions dont les cultures, les intérêts et les pratiques sont assez radicalement différents, et dont les relations, si elles ne sont pas clairement encadrées, deviennent facilement conflictuelles. Les querelles de territoires ont d’ailleurs d’ores et déjà oblitéré un peu partout la réflexion sur le fond. Les contenus de formation risquent donc d’être, encore plus qu’auparavant, surchargés, mal coordonnés et déconnectés des stages.
Difficile de faire preuve d’optimisme dans un tel contexte. Je ne vois que deux signes très lointains d’espoir : le pragmatisme des nouvelles générations de jeunes enseignants, qui les conduira peut-être à exprimer une demande de plus grande cohérence de leur formation, et le fait qu’en raison de la mastérisation, de nombreux formateurs se sont investis plus activement qu’auparavant dans la recherche en éducation, ce qui peut améliorer la relation entre pratique et recherche, qui demeure une garantie majeure de la qualité de la formation.
Vincent Troger
Maitre de conférences à l’ESPÉ de l’académie de Nantes
L’avenir sera ce que nous saurons en faire
Dans la mise en place des ESPÉ, les délais toujours très courts ont contribué à limiter la réflexion sur l’articulation entre les finalités (définies de façon claire par la consultation et le ministre) et les modalités concrètes des nouveaux masters. On a plutôt bricolé l’existant, faute de temps pour concevoir des systèmes différents. La rentrée se fait dans une certaine confusion, qui contribue à brouiller le message. Il serait toutefois prématuré et injuste de ne voir que les difficultés des démarrages pour prédire un échec de la refondation.
Ici, la préparation est rendue encore plus difficile par la mésentente entre les structures (universités, rectorat, ex-IUFM) ou des états de quasi-faillite. Là, on voit se profiler un déséquilibre entre la formation des professeurs des écoles sous-dotée et la formation des professeurs de collège et lycée qui profiterait davantage du souffle nouveau.
Renouer des relations entre les universitaires, le rectorat, les corps d’inspection et les enseignants de l’ex-IUFM n’est pas simple. Une longue tradition d’ignorance réciproque, des cultures différentes et des intérêts divergents, cela ne se résorbe pas du jour au lendemain. La notion de « formation professionnelle », par exemple, n’a pas le même sens ni le même contenu pour les unités de formation et de recherche (UFR) disciplinaires, les UFR de sciences de l’éducation et les formateurs ESPÉ. Une des conséquences est la difficulté à définir de façon satisfaisante pour tous les partenaires ce que doit être le contenu du mémoire, pièce majeure de la formation. Cette difficulté est un défi collectif qui favorise le renouveau du dialogue.
Le fait que le concours soit placé en fin de première année de master (M1) est un progrès par rapport à la situation précédente, dans la mesure où les étudiants reçus au concours 2014 seront stagiaires en M2, donc payés. Mais cela a de nombreux inconvénients, en particulier pour la formation des professeurs des écoles. Il fait courir le risque de sacrifier la polyvalence puisqu’en M1, les étudiants se concentreront sur les matières au concours et qu’en M2, entre le stage à mi-temps et le mémoire, le temps consacré à la formation pédagogique et didactique sera réduit ou saupoudré entre les différentes disciplines. La solution serait de créer des parcours pluridisciplinaires conduisant à l’enseignement du premier degré dès la licence.
À cette rentrée, une difficulté supplémentaire vient de l’année transitoire des M2 : ils ont la possibilité, s’ils sont admissibles au concours, de faire un stage en responsabilité d’un tiers de temps. C’est très complexe à mettre en œuvre et cela diminue considérable le temps de formation didactique.
Bien des aspects du chantier sont aujourd’hui encore en friche : la formation continue notamment, ou encore le fait que les nouveaux masters ont été pensés pour des étudiants qui réussissent (ceux qui seront admissibles à l’issue de la première année), mais très peu pour ceux qui échoueront (et il y en aura). Nous ne parvenons pas à échapper à ce symptôme de l’école et de l’université françaises.
Mais cette refondation ouvre des perspectives. C’est le cas pour l’encadrement du stage. Un stage « sec » n’est pas formateur. Le défi de l’encadrement de stage est de parvenir à développer des situations d’analyse des pratiques qui combinent les savoirs issus de l’expérience et ceux issus de la recherche, l’analyse centrée sur les questions relationnelles et de gestion de groupe ou de relation avec les familles et la dimension didactique (préparer des séances ou séquences collectivement, revenir sur ce qu’on a fait, etc.). Des compétences de formateurs issus des IUFM, de la formation continue et des corps d’inspection doivent être mises en commun pour relever ce défi.
Second exemple de défi : dans l’une des ESPÉ de notre rapide enquête, a été créée une unité d’enseignement transversale, trente-six heures par semestre pour tous les parcours, pour un enseignement dont l’intitulé n’est pas satisfaisant mais dont le contenu peut l’être, avec une journée commune à l’ensemble des parcours par semestre. Parviendrons-nous à en faire la base de la construction d’une culture commune aux futurs enseignants des différents niveaux, ou ces projets se réduiront-ils à un petit moment exotique et sans suite dans la formation ?
Troisième exemple : les effets de la redéfinition du concours sur la formation ne sont pas joués d’avance. Des équilibres et des combinaisons entre dimension académique (savoirs disciplinaires) et dimension professionnelle (pédagogie, didactique) qui vont se mettre en place dans la réalité des épreuves écrites et orales dépendront largement les évolutions de la préparation des futurs enseignants.
Jacques Crinon, Élisabeth Bussienne, Yannick Mevel
Formateurs ESPÉ
Une formation des enseignants en coopération avec les associations partenaires de l’école ?
Au-delà des injonctions et pétitions de principes, comment la refondation peut-elle enfin être l’occasion de travailler ensemble et non plus les uns à côté des autres autour de la formation des enseignants ?
Rêvons un peu. Qu’est-ce qui nous permettrait, au-delà des injonctions et des intentions, de travailler ensemble, associations partenaires de l’école et formateurs d’enseignants dans le cadre des nouvelles ESPE ?
Tout d’abord, commencer par mieux nous connaître localement pour mieux reconnaître nos champs de compétences et de complémentarité. Car si les formateurs d’enseignants issus des IUFM partagent déjà des traditions de collaboration avec nombre de professionnels de terrain : personnels enseignants, d’inspection et de direction en exercice dans le premier et le second degré, il s’agit maintenant de coopérer avec des intervenants issus de l’éducation populaire, de l’éducation culturelle et artistique, de l’éducation à la citoyenneté, de l’éducation à la santé, etc.
Or, comment institutionnaliser une coopération entre tous ces acteurs de la formation alors que selon les contextes et traditions locales, celle-ci était jusqu’à aujourd’hui fortement disparate d’une académie à l’autre, voire d’un département à l’autre, parfois d’ailleurs totalement inexistante ?
Comment, concrètement, inclure l’intervention de partenaires dans des maquettes de formation qui n’ont bien souvent pas prévu leur place ?
Comment, enfin, rémunérer leurs interventions lorsqu’ils ne font pas partie de l’institution et que cette dernière est, par ailleurs, à court de moyens financiers ?
Il s’agit maintenant de travailler chacun et chacune à son niveau local en demandant à se réunir autour des maquettes de formation, se saisir des directives ministérielles (travail sur l’approche par compétences et socle, éducation laïque à la morale…) pour offrir une formation qui articule au mieux recherches en éducation et pratiques innovantes, établir des conventions qui permettent à chacun d’être rémunéré et de clarifier les missions de chacun. Bref, il s’agit d’institutionnaliser au niveau de chaque académie et département ce qui donne sa légitimité à un intervenant. Comment inclure l’intervention de partenaires dans des maquettes dans lesquelles ils n’ont pas eu beaucoup eu droit au chapitre ?
Quoi de mieux alors pour dépasser nos préjugés réciproques sur les pratiques des uns et des autres que de se rencontrer ? Lançons donc les invitations ! Car malgré une grande diversité des contextes académiques de formation, l’un des points communs à toutes les académies concerne la difficulté à élaborer des pratiques de formation qui fassent coopérer nouvelles ESPE et associations du CAPE.
Allez, en avant ! Et chez vous, comment travaillez-vous cette question ?
Marina Ferruela