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Dialogue entre tous, réussite pour tous
Exclus de la société, exclus du savoir ? La grande pauvreté conduit aux lisières des biens communs, ceux que l’on partage, qui nous semblent évidemment accessibles à tous : apprendre à l’école notamment. Créée en 1956 par le père Joseph Wresinski, ATD quart monde a fait de cette nette exclusion ignorée par le grand nombre, l’objet de son combat dont sont nées de multiples initiatives. Travailler dans la durée, partager le quotidien pour mieux comprendre, faire avec et ne pas faire pour, toutes observent les mêmes principes.
Bruno Masurel, permanent volontaire au sein de l’association depuis 1978, a participé à des actions, à Lille, à Reims, à Marseille, à Dakar, consacrées à la culture, à la formation ou aux enfants sénégalais confiés aux marabouts. Son engagement est étranger à ses origines, lui qui ne vient pas d’un milieu pauvre, mais prolonge une expérience estivale au sein de l’association lorsqu’il était étudiant pour « comprendre ce qu’est la pauvreté, être auprès des jeunes ». Le volontariat est devenu permanent, dans un choix de vie où le salaire se limite au SMIC et l’horizon quotidien celui d’une grande proximité, un univers de pauvreté partagé. « On ne lutte pas contre la misère pour gagner de l’argent » sourit-il. L’engagement dans la durée, aux côtés des plus pauvres, est un moyen sûr de construire ensemble et non à la place de.
Après son expérience sénégalaise, le volontaire choisit de s’arrêter un peu pour réfléchir sur l’école, l’éducation et les barrières invisibles qui en limitent l’accès aux plus démunis, thème important pour ATD Quart Monde. Les bibliothèques de rue lui avaient déjà montré ce précieux déclic lorsque le livre est enfin perçu comme une source de plaisir. Pourquoi l’école ne le permet que rarement aux exclus, pourquoi l’illettrisme perdure, pourquoi des choses apprises se désapprennent sans coup férir ? C’était l’époque du mouvement « Ensemble, changeons l’école », autour du « manifeste pour une école créatrice d’humanité » de Marie-Danielle Pierrelée. Un projet de collège innovant voit le jour à Garges-les-Gonesse puis reste dans les cartons faute de soutien. L’idée se transformera ailleurs du côté de Bordeaux, à Clisthène, mais ceci est une autre histoire.
Bruno Masurel s’installe ensuite en Ille-et-Vilaine. Il reprend l’animation du groupe « Familles école grande pauvreté », impulsé par le recteur William Marois. Le groupe échange et produit en 2004 un premier outil de formation « Famille, école, grande pauvreté : Dénouer les nœuds d’incompréhension ». Il fonctionne encore aujourd’hui, malgré les changements de personnes, comme un trait d’union, un lieu de rencontre devenu indispensable. Le groupe lance en 2007 le projet « En associant leurs parents à l’école, tous les enfants peuvent réussir ! », pour mieux comprendre les conditions d’une coéducation.
Ce projet passe par une réelle implication de la population du quartier de Maurepas, l’association d’acteurs de l’école, de la collectivité territoriale, de la recherche, des centres sociaux et de l’éducation populaire. Autre ingrédient précieux : il a grandi avec le temps propice à un ancrage et aux changements en profondeur. A la rentrée 2007, deux écoles s’impliquent pour répondre à la question « si on veut que les parents les plus éloignés de l’école s’y impliquent, comment s’y prend-on ? ». Comment faire pour que l’éducation soit réellement partagée avec une reconnaissance des rôles de chacun ? La Ville de Rennes met à la disposition du projet un animateur, dans le cadre de son projet de réussite éducative, titularisé depuis.
Inspirée d’ATD Quart Monde, la méthode des « groupes de pairs » est appliquée, afin qu’au sein de chaque groupe, celui des parents, celui des enseignants, la parole et les échanges se libèrent. Les liens se tissent entre des gens qui se côtoyaient mais ne se connaissaient pas, travaillaient peu ensemble. Des thèmes tels que « souvenirs d’école », « parle-t-on le même langage », « qu’est ce que pour nous la réussite » ou « la confiance » sont explorés, à la demande des participants ou sur proposition de l’animateur. Une volontaire allait à la rencontre des parents absents pour les convaincre de venir eux aussi participer. Les réunions sont enregistrées et retranscrites de façon à rendre la parole exacte. Les parents ont ainsi conscience de la portée de leurs réflexions sur l’éducation que les enseignants entendent, saisissent pour nourrir leurs propres échanges. Les témoignages restitués sont ceux d’une réelle incompréhension, d’une fracture entre deux mondes et même de peurs réciproques. Le dialogue entre les deux groupes ouvre la voie à de nouvelles représentations et au partage de la même préoccupation pour la réussite des enfants, chose impossible si les uns et les autres n’œuvrent pas ensemble.
« Le rôle de parent, il doit être partenaire, il ne doit jamais remplacer l’enseignant. Le rôle de parent, il doit être compris par les enseignants, qu’on est là pour compléter à l’évolution de l’enfant ou de l’élève, pour lui », explique une maman. « ll faut que les parents aient compris que l’enseignant a envie que leur gamin réussisse. Il faut que les parents fassent confiance à l’enseignant », exprime une enseignante. Les solutions émergent de l’expression des difficultés. « Je n’avais pas de connaissance avec le monde éducatif. Je me dis qu’il fallait peut-être faire des formulations, des choses comme ça… Je ne savais pas faire ça. Je me voyais mal aller vers eux », dit-on d’un côté. Et de l’autre : « On sait que, dans l’école, on a certains parents qui sont totalement analphabètes. Comment amener ces parents-là à comprendre ce qui se passe dans l’école, surtout que la plupart du temps la liaison se passe par l’écrit ? » (Les parties en italique sont des citations d’enseignants ou des parents, extraites de l’outil de formation.)
Le dialogue donne le « la » à une certaine ouverture. A mieux comprendre comment se déroule la classe, comment l’enseignant porte attention à chacun et au groupe, les parents perçoivent la difficulté du métier. En comprenant les craintes nées d’itinéraires en milieu de grande pauvreté, les professeurs appréhendent la signification de la réussite éducative, celle d’une réconciliation avec l’idée même de sa probabilité. L’école ne doit plus être vécue comme une souffrance par les parents comme par les enfants. L’expérience se traduit par un outil pédagogique où les témoignages filmés sont complétés par une retranscription et des fiches pédagogiques. Le travail mené à Maurepas est reconnu en 2009 par une convention signée par l’inspection académique, la ville de Rennes, l’IUFM, la FCPE, la Recherche et ATD Quart Monde. De 2011 à 2013, des formateurs se mobilisent, aux côtés des acteurs du projet, pour en convertir les enseignements en un nouveau support de formation : « Familles école grande pauvreté : Quand parents et enseignants s’en mêlent ». Il est hébergé par Canopé.
Il a été inauguré avec la présence de George Pau-Langevin, alors ministre déléguée à la Réussite éducative. Ce soutien s’est accompagné de l’annonce de la circulaire sur les relations parents-école du 15 octobre 2013, qui insiste sur la nécessité de mieux impliquer les parents les plus éloignés de l’école. Dix huit mois après, le sujet reste actuel et prégnant. Plus de cinq cent trente demandes de codes d’accès à « Familles, école, grande pauvreté » ont été reçues par Bruno Masurel. Des acteurs de terrain, le tissu associatif ont développé d’autres projets en lien avec les projets éducatifs de territoire. Un appel a été lancé en 2009 sur le thème « en associant les parents, tous les enfants peuvent réussir », 21 initiatives en sont issues et leurs résultats ont été présentés le mois dernier à l’université Paris VIII devant 300 personnes. Des propositions ont émergé pour une Refondation de l’école qui gomme l’exclusion des enfants en situation de grande pauvreté de la réussite scolaire.
Deux rapports vont être publiés quasi simultanément sur le thème, l’un préparé par le CESE (conseil économique, social et environnemental), l’autre par Jean-Paul Delahaye, dans le cadre de sa mission « Grande pauvreté et réussite scolaire ». Bruno Masurel espère fortement que la parole des territoires exilés de l’éducation soit entendue, prise en compte. « Le savoir et l’éducation ne se résument pas à l’école, qui ne peut les transmettre seule. Nous l’appelons donc à “construire les savoirs avec l’intelligence de tous ”, parents, enseignants, partenaires du territoire » explique-t-il.
« Pour moi, si l’enfant a compris qu’il pouvait avoir du plaisir à apprendre, c’est une réussite. » exprime en écho une maman d’élèves. L’objectif est beau, son ambition nécessaire pour que l’école devienne enfin un lieu d’éveil par tous partagé.
Monique Royer
Le site « Familles école grande pauvreté : Quand parents et enseignants s’en mêlent »