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Enfants en souffrance, élèves en échec

La souffrance propre à notre temps découle d’un défaut de parole, nous dit Francis Imbert. La « parole constituante » est absente dans un monde « sans loi » où se délitent les repères. Du coup, la règle, l’habitude, les « ça-va-de-soi » prennent la place manquante. Y compris du côté des enseignants où l’identification au « corps » (au sens de « corps enseignant ») figure la réponse la plus accessible aux difficultés du métier, là où il faudrait de l’initiative, de la mise-en-jeu de soi. La classe est perçue comme un face-à-face mortifère, une corrida (p. 143 et sq.). La judiciarisation de la société est aussi aux mains des enseignants (p. 138) et la demande de déscolarisation une demande courante ! La devise de l’école pourrait être : « Nul n’entre ici s’il n’est pas éduqué et bien éduqué si possible. » (p. 130) La formation est trop courte pour prendre conscience et distance avec cette fusion dans « l’abri du corps ». F. Imbert parle même de la « non-professionnalisation croissante des enseignants du premier degré. » (p. 80)
Il faut rétablir l’autorité au sens « étymologique », l’augmentation… devenir soi-même auteur pour permettre à l’élève de devenir également auteur de sa propre vie, de son apprentissage. Il faut retrouver les mots. Autoriser et s’autoriser. « Le véritable éducateur est celui qui croît en faisant croître. » (p. 226) La désymbolisation, due à la désintégration de l’autorité et du père, donne les enfants-bolides. C’est avec ces enfants-bolides et non contre eux (corrida, mains courantes) que l’école doit renouer les fils symboliques.
Il faut « soigner » l’institution autant que les personnes qui y circulent, y vivent et la font vivre. C’est la condition pour rouvrir des chemins et faire cesser la souffrance, l’arrêt, le surplace… (la souffrance au sens des colis « en souffrance »). L’autorisation passe par le groupe de pairs et par la relation au « père » : relations verticales et horizontales (ou latérales). Ce sont ces relations latérales et verticales que met en jeu (en travail, en mouvement) le « conseil », et c’est la prise en compte de ces liens verticaux et horizontaux qui fait la spécificité et l’efficacité de ce dernier, à la différence de l’idée d’autorité courante, autorité verticale (et descendante).
Un livre très savant, qui décrit souvent, selon une exigence universitaire, l’enchaînement et la succession des penseurs et des concepts. Chaque idée est illustrée de nombreuses citations dénotant une érudition immense, ce qui parfois ralentit la lecture et la perception du parcours emprunté. Ces illustrations ont des provenances multiples (littérature, cinéma, sciences humaines) et une temporalité un peu « brassée » (des citations du début du siècle dernier sont interprétées comme décrivant les phénomènes actuels et mêlées à des considérations contemporaines sur l’état de nos présents rapports sociaux).
Toutes les analyses et les nombreuses études de cas, les monographies de ce livre parfois un peu trop belles pour convaincre vraiment, convergent vers la défense du conseil de la classe et de la pédagogie institutionnelle qui font du partage de la parole d’une part, et de la création d’institutions pédagogiques, d’autre part, un moteur de la pédagogie elle-même :
Aussi ce livre se termine sur un appel à réagir à poursuivre l’échange de paroles sur imbertGRPI@aol.com

Roland Petit