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Connaissez-vous les professeurs d’éducation socioculturelle ?

Dans les lycées agricoles, une discipline singulière et largement méconnue, née dans les années 1960, se distingue : l’éducation socioculturelle. Cette matière est animée par un corps d’enseignants spécialisés, les professeurs d’éducation socioculturelle (sans équivalence dans l’Éducation nationale) – au nombre de 515 titulaires en 2005 –, dont la mission est d’accompagner les élèves dans le développement de pratiques artistiques et culturelles. Inspirée par les principes de l’éducation populaire, elle a été instaurée pour pallier un prétendu « retard culturel » des jeunes ruraux, en stimulant chez eux un esprit critique.
À travers les témoignages recueillis lors d’entretiens avec dix professeurs d’éducation socioculturelle, cet article entend montrer l’étendue de leur périmètre d’action et les effets de la récente introduction de l’agroécologie dans les référentiels de formation.
Un décret datant de 1966 fixe pour la première fois les conditions de recrutement des professeurs d’éducation socioculturelle. Ils doivent être titulaires du certificat d’aptitude au professorat d’éducation culturelle (Capec). Au même moment ont été créés les animateurs socioculturels dans l’enseignement agricole, qui intervenaient initialement dans les écoles et les collèges rattachés, à cette époque, au ministère de l’Agriculture.
Les professeurs d’éducation socioculturelle étaient, au départ, perçus avec une certaine méfiance dans les lycées agricoles, car on les soupçonnait de vouloir « gauchiser » l’enseignement.
Historiquement et encore aujourd’hui, ils sont recrutés grâce à leurs expériences dans les associations d’éducation populaire. Les enseignants interrogés, parfois d’anciens étudiants d’écoles d’art, ont pour la plupart travaillé dans les métiers de la médiation artistique et culturelle avant d’intégrer les lycées agricoles en tant que contractuels puis sont devenus titulaires.
Une expérience est souvent évoquée comme une étape conduisant à l’entrée dans l’enseignement : l’intervention dans les écoles et les collèges pour mener à bien des projets d’éducation artistique.
Toutefois, les plus jeunes sont souvent recrutés directement après des études dans l’enseignement supérieur. Ils gardent une expérience dans l’animation puisqu’en tant que titulaires du Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA), ils ont encadré de jeunes publics, notamment dans les centres sociaux et les colonies de vacances.
Les enseignants en éducation socioculturelle emploient un même slogan pour donner du sens à leur métier, qu’ils empruntent au sociologue Bertrand Hervieu : « apprendre à regarder par-dessus la haie ». Leurs actions sont guidées par le souci de vouloir éveiller la curiosité de leurs élèves.
Renforcée par un décret de 1984, l’éducation socioculturelle a désormais un rôle d’animation et de développement des territoires ruraux. Toutefois, bien que constitutive de l’identité de l’enseignement agricole, cette éducation socioculturelle reste marginalisée et régulièrement mise sur la sellette par des coupes budgétaires répétées qui réduisent sa place dans les lycées agricoles.
Trois domaines se dégagent des récits des dix professeurs témoins, correspondant à leurs missions officielles : l’éducation à l’animation sociale et culturelle, l’éducation artistique et l’éducation à la communication.
Les enseignants mettent d’abord en avant leur rôle dans l’animation sociale et culturelle. En effet, ils privilégient une approche de leur métier pensée comme celle d’animateurs en milieu rural.
Cette représentation ne découle pas seulement de leurs expériences professionnelles antérieures, mais correspond également aux missions qu’ils exercent : si les deux tiers de leur temps de travail devant les élèves sont consacrés à l’enseignement, un tiers de leur service est affecté à la gestion des associations culturelles et sportives rattachées aux lycées agricoles. Les temps d’animation en lien avec le territoire sont perçus comme le cœur du métier par les enseignants interrogés.
Cette discipline s’est progressivement centrée sur l’acquisition de compétences professionnelles, notamment dans certaines filières de formation qui préparent à des emplois d’animateur, comme animateur nature, ou des emplois pour lesquels des compétences en matière d’animation sont attendues. Cela implique un apprentissage de la maitrise de savoir-faire pour réaliser des projets d’animation (prise de parole en public, travail en groupe, interactions avec les autres).
Dans les métiers de la protection de la nature, les élèves reçoivent ainsi un enseignement de la méthodologie de l’animation regroupant des techniques d’animation de groupe, de conduite de réunion, des techniques de l’enquête et de l’intervention. Les enseignants valorisent dans les entretiens le recours à des pédagogies dites actives dans ces cours, telles que les jeux de rôle, les exercices de simulation ou bien les pratiques de mise en scène.
Le périmètre d’intervention des professeurs d’éducation socioculturelle s’est aussi élargi à l’éducation à l’information et à la communication.
Par exemple, dans les formations de services aux personnes, préparant aux métiers du soin et de la dépendance, les élèves sont également formés à la communication pour mesurer l’importance du non-verbal dans les interactions ou encore diagnostiquer les difficultés à communiquer pour y remédier.
Au-delà de la formation à des métiers, les référentiels de formation insistent aujourd’hui sur l’importance de doter les élèves de moyens de garder le contrôle sur l’accès à leurs informations et sur leurs propres modalités de publication sur les réseaux sociaux. Les enseignants interrogés utilisent, pour cet enseignement, la méthodologie de projet et des pratiques d’expression et de réalisations conduites dans des ateliers.
L’enseignement artistique est leur second domaine d’intervention. Ils évoquent dans leurs récits l’importance du travail photographique et des supports audio (radio, podcast) qu’ils réalisent avec leurs élèves et avec l’accompagnement de professionnels. Ces expériences artistiques collectives sont pensées par les enseignants comme des leviers de transformation pour se mettre à distance des stéréotypes et des représentations communément partagées (sur le corps et l’identité de genre, par exemple).
Les enseignants s’appuient en grande partie sur l’implication de partenaires de l’établissement ou des immersions dans des manifestations artistiques organisées dans les espaces ruraux. Traditionnellement, leurs connaissances du milieu professionnel, liées à leurs engagements professionnels antérieurs ou personnels par le biais des associations, contribuent à orienter leur investissement dans ces projets.
Aujourd’hui, ces partenariats s’inscrivent sous la forme d’opérations et de dispositifs plus institutionnalisés (comme les artistes en résidence ou encore le dispositif Lycéens au cinéma) dans lesquels les lycées agricoles sont engagés, comme d’autres établissements de formation.
Les enseignants en éducation socioculturelle interviennent également dans des enseignements plus optionnels, sur l’art dans les paysages par exemple, impliquant l’enseignement des apports théoriques en histoire de l’art.
Cet enseignement socioculturel a été réorienté, au début des années 2010, avec l’introduction progressive de l’agroécologie dans les lycées agricoles. Cette nouvelle approche consiste à tenter d’adapter les systèmes de culture à l’environnement.
Les ateliers artistiques animés par les professeurs d’éducation socioculturelle sont redirigés comme des outils pour questionner les relations au vivant. L’expérience artistique est ainsi considérée comme un vecteur de la réflexion vers l’écologie.
Ces enseignants apprécient particulièrement contribuer à ouvrir les imaginaires des élèves. Cela les conduit à développer de plus en plus de partenariats avec des artistes, qui peuvent venir en résidence dans les lycées agricoles, pour des activités sur les thèmes de la nature et de l’animal, et plus globalement pour discuter de la notion de transition.
Les savoirs techniques développés par les élèves possèdent une dimension symbolique qu’il s’agit ici de questionner. L’agriculture dite productiviste est caractérisée par un dualisme entre l’homme et la nature, représentation que les enseignants tentent de déconstruire en repensant, à travers des projets avec les élèves, la place des êtres humains et des non-humains.
Pour autant, ils sont conscients de ne pas vraiment occuper la place centrale dans l’enseignement de l’agroécologie par rapport aux enseignements techniques et scientifiques en agronomie.
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