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Approche curriculaire en technologie

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L’organisation du collège en cycles pose de nouvelles questions par rapport à l’évaluation des compétences. Comment donc évaluer autrement dans le cadre d’une réforme qui insuffle des changements, dont l’écriture curriculaire des programmes ?

Dans le cadre de la réforme des collèges, l’évaluation a besoin d’être repensée. Comment analyser les prestations et les productions de nos élèves pour qu’ils apprennent mieux ?

Dans les nouveaux bulletins, présentés par la ministre en septembre 2015, on découvre quatre niveaux de validation des domaines de compétences du socle : insuffisant, fragile, satisfaisant ou maitrisé. Chacun de ces curseurs correspond à un nombre de points non compensable entre composantes de ces domaines. Cette précision est importante, car la non-compensation est l’un des principes fondateurs de l’approche par compétence.

La question se pose donc, en technologie comme dans les autres disciplines, de pouvoir attester du niveau de compétence de chacun des élèves . Comment, à partir de leurs performances, les juger collégialement et sur quels indicateurs vais-je pouvoir m’appuyer ?

On pourrait par exemple utiliser un outil, qui articule famille d’indicateurs et curseurs d’évaluation.

Prenons un exemple dans le référentiel de technologie, le repère de progressivité « Participer à l’organisation et au déroulement de projets » peut se traduire de la manière  suivante :

Participer à l’organisation et au déroulement du projet
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L’élève participe à l’organisation de projets, il connait le rôle des différents participants.L’élève participe à l’organisation de projets, il connait le rôle de tous. Il connait la planification du projet en anticipant les tâches à réaliser.L’élève participe à l’organisation de projets, il connait le rôle des participants. Il connait la planification du projet en anticipant les tâches. Il sait se projeter et anticiper les tâches à réaliser.L’élève participe à l’organisation de projets, il connait le rôle des participants. Il connait la planification du projet en anticipant les tâches. Il sait se projeter et anticiper les tâches. Il sait préparer sa prestation pour une revue de projet, il présente des résultats.
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Réaliser, de manière collaborative, le prototype d’un objet communicant
Assembler des pièces données, avec l’aide de l’enseignant, pour réaliser en équipe tout ou partie d’un objet communiquantAssembler des pièces données, en suivant une procédure fournie, pour réaliser en équipe tout ou partie d’un objet communiquantRéaliser en équipe, à partir de quelques pièces fournies, tout ou partie d’un objet communiquant, en suivant une procédure formaliséeRéaliser en équipe tout ou partie d’un objet communiquant en suivant une procédure formalisée

Les tableaux ci-dessus définissent une échelle descriptive pour les trois années face à chaque attendu de fin de cycle et aident à construire une véritable progressivité. Le découpage en cycles nous laisse du temps pour construire les savoirs et cela nous permet de revenir plusieurs fois sur des notions ou des concepts incontournables. Les familles d’indicateurs doivent nous aider à donner une valeur à la production ou prestation de chaque élève. Des outils comme les cartes mentales, les narrations de recherche, les entretiens d’explicitations ou les journaux des apprentissages peuvent permettre d’évaluer les processus d’apprentissage des élèves. Tout cela donne du sens à leurs efforts et lie plus finement l’apprentissage et l’évaluation. Le second tableau s’inspire en partie de l’outil d’aide à la réflexion existant pour le cycle 3.

Prenons un exemple en technologie, avec un objet d’enseignement attendu en fin de cycle : « Simuler numériquement la structure ou le comportement d’un objet ». Cette compétence ne traduit en rien le niveau exigé, indique encore moins comment l’atteindre. Dans cet exemple, c’est la complexité du support d’étude qui va servir de curseur d’évaluation. Concrètement, une forme simple en 5e comme un volume élémentaire, un élément de système plus complexe en 3e. Ces attendus terminaux de fin de cycle peuvent être considérés comme un référentiel d’évaluation et donnent toute la légitimité au curriculum, en permettant de réfléchir à une progressivité sur un cycle de trois ans.

C’est en accompagnement personnalisé que l’on pourra travailler sur les erreurs des élèves et les aider à déplier leur pensée. Par exemple, j’utilise, dans ces séances, l’analyse des erreurs. Les élèves viennent de réaliser des pièces, puis ils en analysent les défauts de fabrication, en réfléchissant à leurs erreurs. Pour pouvoir expliciter les éventuels problèmes rencontrés lors du processus de fabrication, l’élève doit entrer progressivement dans le concept « forme-procédé-matériau ». Ce travail d’évaluation formative permet d’accorder un temps à chacun pour modéliser, intégrer et ancrer les savoirs.

Des exemples

Toujours dans l’objectif de développer la métacognition indispensable à la prise de recul des élèves sur leurs apprentissages, je propose aux élèves de 6e d’utiliser un mur numérique consacré à l’analyse des erreurs de réalisation d’éléments de maquette.

Exemple : Repères de progressivité : participer à l’organisation et au déroulement de projets

Dans une classe de 5e, lors d’un moment d’échanges avec un groupe de quatre élèves :

Enseignant : « Dis-moi Louis, quel est ton rôle dans l’équipe ?

Louis :  — Je ne sais pas monsieur, ce sont les autres qui ont choisi pour moi, moi je ne voulais pas.

E : — Il n’y a pas un moyen de le savoir ?

L : — Si, demandez aux autres du groupe !

E : — Et toi, tu ne peux pas trouver l’information, tu ne sais pas ce que tu dois faire ?

L : — Si. Sur la fiche du groupe, je crois.

E : — Et que dois-tu faire comme travail, alors ?

L : — Je crois bien que je dois dessiner la pièce en forme de L, la n° 2.

E : — Comment le sais-tu ?

L : — Eh bien, j’ai regardé le dessin en 3D, et il est marqué avec mon nom, alors ça doit être ça.

E : — La prochaine fois, regarde tout de suite pour éviter d’attendre, essaye d’anticiper le travail à faire. »

En 4e

Repères de progressivité : réaliser, de manière collaborative, le prototype d’un objet communicant.

Pauline est une élève de 4e qui me demande au bout de dix minutes :

P : « Monsieur, pourquoi mettre la pièce du socle avant la pièce support dans l’assemblage ?

E : — Pauline, regarde la procédure et dis-moi si tu peux faire le contraire.

P : — Non monsieur, je crois que c’est impossible ça ne pourrait pas s’assembler, la rainure est plus petite de deux millimètres.

E : — Il faut absolument commencer par analyser ensemble la procédure d’assemblage. »

Ces deux exemples confirment qu’il est important de ne pas donner la réponse, tout au plus des pistes, en se mordant la langue, même si on pense gagner du temps. Prendre l’élève là où il en est, ne jamais penser qu’il ne sait rien, bien au contraire, il faut toujours le guider pour essayer de le faire entrer dans une posture réflexive.

En nous appuyant sur les niveaux d’exigence attendus, il nous est plus facile de conduire le questionnement des élèves, et de le rajuster au fur et à mesure des informations collectées.

En accompagnement, il importe de prendre le temps de faire les analyses, les entretiens, de différencier en tenant compte des résultats et des niveaux d’exigence définis. Il faut du temps pour apprendre, l’accompagnement personnalisé est un dispositif qui peut en faire gagner, il permettra d’aider les élèves pour qu’ils puissent plus facilement franchir un nouvel obstacle d’apprentissage. Le travail sur la construction d’échelles descriptives peut aussi être mis au service de l’évaluation formative.

Francis Blanquart
Professeur de technologie
Point de vue : tâches et situations complexes
L’introduction des tâches complexes et la posture réflexive qui en découle nécessitent en effet de modifier notre posture d’évaluateur, de développer notre expertise de l’observation. Il ne faut pas tomber dans le piège qui consisterait à n’évaluer que des connaissances et des capacités, activité de contrôle plus simple que la mise en place d’une véritable évaluation par compétence. Nous sommes peut-être dans la posture d’un enquêteur qui n’est pas seulement à la recherche d’indices, mais qui doit aussi pouvoir les croiser pour prendre des décisions sur la valeur d’une production, d’une prestation ou de la stratégie utilisée pour résoudre une tâche complexe. L’approche par compétences nous demande d’évaluer une « mobilisation des acquis », il faut donc que l’on enseigne à nos élèves à interpréter la situation complexe proposée, à traduire la consigne ouverte en ressources à mobiliser, à sélectionner à bon escient ces ressources et, surtout, à les combiner. Les ressources à mobiliser doivent figurer dans un document de structuration accompagné par des critères de réussite. Les situations complexes, les EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) et les projets sont des supports d’apprentissage et d’évaluation incontournables pour développer l’autonomie intellectuelle des élèves. F.B.