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Acteurs plus que victimes : des parents contre les inégalités

Je connaissais le Collectif du Petit Bard, qui avait fait sensation dans une réunion organisée par le CNESCO en 2017 : la parole directe, engagée des mères d’élèves de ce quartier populaire de Montpellier avait créé la surprise. Car pour une fois on ne parlait pas des parents des classes populaires, mais c’étaient eux (enfin, elles…) qui prenaient le micro, avec assurance, sans outrance polémique mais en appelant un chat un chat… et ça griffait !

Deux ans plus tard à Stains, je découvre (avec le retard de mon ignorance) que d’autres collectifs existent : à Marseille, à Créteil et dernièrement à Stains, avec une solide expérience et des questions ouvertes.

Ces femmes, combatives face à l’institution, insistent sur leur connaissance des institutions et leur volonté de faire des propositions à chaque pas de leur combat. Elles veulent être écoutées, reconnues comme légitimes[[Et pas confondues avec cette marque de « femmes voilées » (ce qui n’est d’ailleurs pas le cas de toutes) qu’on leur attribue si démagogiquement.]], quand elles parlent des enseignants absents et non remplacés, des moyens manquants dans les zones pauvres du territoire. Elles savent mobiliser : le taux de participation aux élections de parents au Petit-Bard est monté jusqu’à 70 %, une rareté.

Une de leurs propositions : animer des formations pour un public enseignant, comme cela a eu lieu à Montpellier dans un stage syndical du premier degré. Eh oui, des parents qui forment des profs sur le rapport aux familles populaires…

Autant dire que « les profs » ont été un des grands sujets, en dehors des questions de moyens sur lequel le maire de Stains est intervenu[[Le maire de Stains, Azzedine Taïbi est à l’origine du recours que cinq communes de Seine-Saint-Denis ont déposé contre l’Etat pour rupture d’égalité. Ce recours fait suite au rapport Cornut-Gentille de mai 2018 qui confirmait les inégalités criantes de traitement en Seine-Saint-Denis dans tous les secteurs publics.]]. Deux professeures des écoles de Stains ont affirmé qu’elles étaient également atteintes dans leur légitimité par les autorités, de même que les parents se sentent atteintes par l’attitude de nombre d’enseignants. De la tribune (elle était invitée à la première des deux tables rondes) Laurence de Cock[[Le dernier ouvrage de cette enseignante spécialiste de l’histoire de l’enseignement de l’histoire est École, paru à la rentrée 2019.]] a reconnu la difficulté fréquente des relations entre enseignants et familles populaires mais insisté sur un autre point, essentiel à son sens, la responsabilité des parents des ‘classes moyennes’ qui préfèrent le calcul à court terme (choix d’établissement, recours au privé) à l’attitude citoyenne et socialement intelligente : l’intérêt commun à ce que tous réussissent.

Concernant les enseignants, le point n’a pas été approfondi d’autant qu’en dehors des enseignantes citées aucun autre n’a fait preuve de présence – notamment du côté syndical. Mais la question a été posée, fortement mais sans animosité. Choukri Ben Ayed[[Sociologue en sciences de l’éducation.]] y a ajouté l’attitude des chercheurs en sciences de l’éducation, déplorant qu’aucun d’eux ne soit présent.

Les organisatrices, quant à elles, n’ont pas mis le monde enseignant ou de la recherche en accusation : elles affirment leur indépendance, mais, en sus de leur trois invités (il faut noter aussi la présence de la philosophe Christine Vollaire), remercient tous ceux qui mettent leurs compétences technique, musicales et surtout théâtrales (courte pièce présentée avant les tables rondes co-écrites par des habitantes) à leur service.

Mais elles le redisent : les choses ne changeront dans le sens de l’égalité que si les mères des enfants des classes populaires s’y mettent.
Elles veulent en être la preuve.