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À la recherche de l’établissement citoyen
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Il est clair que la recherche-action n’a pas toujours la meilleure presse. Pourtant, il serait inconséquent de négliger le livre de Daniel Bruder qui nous en raconte une par le détail et analyse les causes de son relatif échec. Professeur de lettres-histoire dans un lycée professionnel, l’auteur a la bonne idée de proposer un projet mené par un groupe citoyen qui va s’efforcer de promouvoir une éducation à la citoyenneté qui ne soit ni trop simplement pacificatrice (lutter contre la violence et faire connaître la loi aux élèves pour qu’ils l’appliquent) ni totalement détachée de la réalité concrète d’un quotidien difficile, s’il n’est pas toujours dramatique.
Dense et émaillée de références précises, la première partie s’attaque aux différentes approches de l’éducation à la citoyenneté. La dimension de l’établissement et du professeur citoyens n’apparaîtra que plus tard, ce que l’on peut regretter tant apparaît faible l’ancrage sur les travaux qui traitent de l’établissement, pourtant cités mais pas répertoriés dans la bibliographie. Le lecteur précautionneux s’arme ainsi d’une culture qui peut lui avoir échappé, surtout s’il a vécu sa vie d’élève dans un lycée classique et moderne puisqu’on ne saurait parler, à mon sens, de réapparition de l’instruction civique mais plutôt d’introduction à l’occasion de cette réforme essentielle qui consista à créer l’éducation, civique, juridique et sociale.
Curieusement, quand l’équipe passe à l’action, elle commence par l’élection des délégués. Il est vrai que la démocratie française est parlementaire mais il est établi que la confiscation par les élus du discours politique inciterait plutôt à explorer d’autres voies qu’un parlementarisme consultatif. Il faut lire et relire les pages où ces élections sont préparées et ritualisées. La démocratie n’est pas naturelle et elle se mérite. Ses formes protègent les citoyens comme les élus. Avec beaucoup d’honnêteté et de rigueur dans le traitement, l’auteur reconnaît qu’après ce premier succès, il est impossible au groupe citoyen d’aller jusqu’au terme du projet. En effet, on n’innove pas impunément. Le proviseur, dont on lit un entretien avec l’auteur en annexe, est obligé de jouer l’institution (c’est mon interprétation, car l’affaire n’est pas totalement dévoilée). La formation des délégués, c’est le pré carré des conseillers principaux d’éducation. Elle ne se fera pas en relation avec le projet d’où un échec pesant et persistant du groupe qui se décourage et diverge. L’écriture est l’occasion pour Daniel Bruder de surmonter cette crise et d’en tirer sa théorie de la citoyenneté en actes.
D’où une troisième partie, à mon sens un peu trop théorique et pas assez réflexive sur les obstacles qu’a rencontrés cette recherche-action. L’analyse institutionnelle connue de l’auteur permettait de comprendre pourquoi enseignants, CPE et équipe de direction ne pouvaient qu’opposer une force d’inertie à une entreprise intéressante mais menaçante dans sa remise en cause de l’actuelle partition de l’établissement entre les cours (où l’on apprend) et la cour (où l’on se comporte), le tout sous le regard bienveillant mais attentif d’un proviseur (le mot désignant celui qui garde un œil sur la marche du lycée). Émergent alors les deux concepts fondamentaux du livre : le professeur citoyen (mais est-ce à titre personnel ou professionnel ?, sur quelles heures et avec quels moyens ?) et l’établissement du même tonneau (la séparation des pouvoirs n’évoque que le juridique et le législatif ; encore faudrait-il se poser la question du rôle ambigu d’un exécutif qui, on le voit bien ici, a tout intérêt à garder le pouvoir au lieu de le partager, du moins dans le court terme). On pourrait discuter la seconde notion, qui sert de titre au livre, et lui préférer celle de cité à construire si clairement développée par Robert Ballion [[Ballion, R. (1993) Le lycée, une cité à construire, Paris, Hachette Education.]]. Peu importe, ce qui est essentiel c’est la conception, éminemment discutable et discutée au sein du CRAP-Cahiers pédagogiques, de l’établissement vécu comme un lieu où l’apprentissage de la citoyenneté républicaine et démocratique passe par des mises en actes et par des procédures de contrôle si chères à Bernard Defrance. « Je me suis demandé à bien des moments si ce projet n’allait pas à contresens des réalités scolaires les plus ordinaires. Est-il bien utile d’aller “flâner ” du côté de la citoyenneté alors même que le sens du rapport à l’école semble mis à mal ? », écrit l’auteur (p. 181). On ne peut qu’approuver ce doute et partager la réponse implicite qu’il donne : c’est bien parce qu’elle est aussi chargée de faire construire le sens du rapport au savoir que l’école est en demeure de créer des situations dans lesquelles les élèves comprendront que l’idéal républicain place tout le monde dans « la même galère » (p. 187), en raison de sa mission républicaine de faire réussir tous les élèves en reconnaissant leurs différences. Ce qui, soit dit en passant, remet en cause le slogan élitiste de l’égalité chances. L’école de la république ce n’est pas la loterie nationale !
Cet ouvrage et la démarche qu’il étudie retiennent l’intérêt au point qu’on aimerait en savoir plus sur les chemins de traverse qu’évoque l’auteur. Les éléments forts de ce récit et de cette analyse me semblent être l’évolution des convictions de Daniel Bruder qui ajoute la démocratie locale dans sa besace républicaine et la finesse de ses observations sur le comportement des acteurs de l’innovation proposée. Certes, nous souhaiterions qu’il aille un peu plus loin dans la description de tous les freins qui ont bloqué ce projet. L’éducation à la citoyenneté ne peut plus aujourd’hui rester extérieure aux acteurs, n’impliquer que des élèves peu dupes de l’injonction contradictoire que leur inflige un enseignement trop magistral de la citoyenneté. Tant que les professeurs et tous les acteurs de l’établissement n’adopteront pas eux aussi une attitude citoyenne dans l’exercice de leur mission, la grande victime risque d’être l’éducation. L’auteur n’oublie jamais qu’une grande partie de leur tâche réside dans l’acquisition de connaissances et de compétences par les élèves. Bref, un livre de réflexion et d’action qui donne à penser, à réfléchir et à agir !
Richard Etienne
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