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Comment la gauche a perdu l’école

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Journaliste à Libération, l’auteur est sans doute, dans sa profession, l’un des meilleurs connaisseurs du monde éducatif. On lit avec plaisir ses articles précis et bien informés, qui tranchent avec bien d’autres qui parlent de l’école de façon souvent caricaturale et vague.
L’ouvrage part du fameux 21 avril, couronnement d’un désamour entre la gauche et les enseignants, puisque ces derniers ont assez peu voté pour Lionel Jospin. Comment expliquer cela ? Comment la gauche a-t-elle pu ainsi perdre le contact avec ce monde enseignant qui traditionnellement l’a toujours soutenue ? Le livre ne prétend pas donner une réponse définitive, et c’est ce qui fait un de ses intérêts : Davidenkoff ne joue pas les donneurs de leçons et refuse d’instruire un procès ou de chercher des boucs émissaires. Trop facile par exemple de s’en prendre au seul Allègre ou à l’inverse au corporatisme enseignant. Mieux vaut analyser avec lucidité tout ce qui n’a pas bien fonctionné. Il semble que ce qui a manqué, c’est un discours clair sur les missions de l’école et bien sûr des pratiques déterminées et cohérentes qui en auraient découlé. Il y a eu à cet égard un trop plein de rôles assignés au système scolaire, ce qui a contribué à déboussoler le monde enseignant. Des occasions ont été manquées (l’échec de Savary au moment des négociations sur le privé, l’abandon du « deal » au moment de la revalorisation entre le ministère Jospin et la FEN…, sans parler de la communication calamiteuse du dégraisseur de mammouth), tout cela finissant par un discours conciliateur de Jack Lang et le refus de faire des choix. À noter que peu de choses sont dites sur le moment Chevénement, sinon que le slogan sur les 80 % niveau bac a eu de considérables effets pervers. On peut le regretter.
Le livre donne en fait surtout à réfléchir, de façon stimulante : sur les faux-semblants, sur les doubles langages si pratiqués dans le milieu, sur les inconséquences de la hiérarchie, sur le sentiment de persécution des profs. Davidenkoff note après d’autres cette bizarrerie : les profs se sentent mal aimés, alors que tous les sondages montrent qu’ils sont très bien considérés par la population qui reconnaît de plus en plus qu’ils font un métier « dur ». Tout le monde en prend un peu pour son grade, y compris les innovateurs parfois en proie à la tentation du purisme et manquant de stratégie. Au passage, l’auteur montre l’inanité du discours soi-disant républicain sur l’abandon des « savoirs », même si ce discours repris par des enseignants désabusés ou amers est un révélateur du « malaise ». Il fait un sort aussi aux discours enflammés contre la « privatisation » : « À accuser Bruxelles ou Davos, [les contempteurs de la privatisation de l’école], ils ne veulent pas voir Paris, Lyon ou Rennes. Moins encore observer leurs propres établissements. Qui n’ont pas attendu les mouvements altermondialisation pour laisser les intérêts privés définir les choix d’orientation des familles ».
On pourra contester certaines affirmations, trouver parfois le propos ambigu (sur le collège unique par exemple) ou certaines conclusions trop hâtivement tirées (les méthodes d’éducation nouvelle qui favoriseraient les classes moyennes exclusivement – ou comment transformer le pointage de dérives possibles en une réalité établie). Mais cet ouvrage destiné à un assez large public a le grand mérite d’évoquer nombre de recherches et de faits qu’il est indispensable de faire connaître.
Quant à la « solution » d’un grand débat public, on est partagé entre l’envie de l’approuver (n’est-ce pas aussi le vœu des Cahiers) et la crainte de se trouver devant un vœu peut-être pieux. Y a-t-il d’autre solution ?
L’ouvrage a été terminé avant que de nouveaux orages ne s’accumulent sur l’école. Un chapitre supplémentaire s’écrit peut-être : « Comment la droite ne parvient pas à gagner l’école ». On est loin de la fin de l’histoire, dans ce domaine comme ailleurs !

Jean-Michel Zakhartchouk


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