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Les arguments « contre » et nos réponses

Certaines objections nous stimulent et nous obligent à être plus rigoureux et vigilants sur les dérives possibles.

La pédagogie différenciée est utopique

Il y a une disproportion entre le cout (temps, énergie, moyens matériels) et les bénéfices pour les élèves.

Elle n’est pas possible sans une mobilisation de tout l’établissement scolaire.

Elle n’est pas compatible avec les programmes actuels.

Elle demande un effort de formation très important, elle n’est réservée au mieux qu’à des « militants ».

Elle va à l’encontre des tendances lourdes de la société (élitisme, winneurs et loseurs).

On ne peut pas la mettre en place

Contre-arguments :

L’idée que la différenciation ne fonctionne que si « tout le monde le fait » relève de ce qu’on appelle les arguments maximalistes auxquels nous serions parfois tentés d’adhérer. C’est vrai, à quoi bon nous démener si nous ne sommes qu’une poignée ?

Mais le maximalisme est un bon allié du conservatisme. On peut se lancer dans la différenciation sans que tout l’établissement suive. Introduire davantage de différenciation peut être un premier pas, en rupture avec une pédagogie uniforme. D’ailleurs, certains font déjà, sans la nommer ainsi, de la différenciation, sans être des militants, seulement des professionnels avertis.

Par ailleurs, les programmes, lorsqu’ils sont davantage conçus comme curriculaires, comme des repères où l’important est avant tout que les élèves apprennent, autorisent, voire encouragent la différenciation des parcours, la variété des dispositifs et méthodes. C’est aussi l’esprit du socle commun qui invite à dégager des niveaux d’exigence progressifs.

Quant à être à contrecourant, après tout, c’est souvent une fonction de l’école que d’aider les élèves à résister à certaines tendances sociétales. Cependant, on peut dire aussi que la prise en compte des différences est valorisée dans notre société, au risque d’ailleurs d’un trop-plein de « moi, je ». Différencier, tout en visant le travail commun et la coopération, est la meilleure façon de lutter contre toute pensée unique et uniforme.

La pédagogie différenciée est dangereuse

Elle renforce les différences au lieu de produire de l’unité universaliste.

Elle exalte l’individu contre le collectif, elle est un instrument du libéralisme individualiste.

Elle propage le culte de l’enfant roi ou du jeunisme sous prétexte de respect de chacun.

Elle met au second plan les savoirs et est un agent d’une école « light ». Les bons sont retardés et les faibles sont coulés.

Elle a un aspect totalitaire (« la barbarie douce »)que des administratifs alliés aux pédagogues mystifiés ou mystificateurs tentent d’imposer au détriment de la liberté d’enseigner.

On ne doit pas la mettre en place

Contre-arguments :

Une certaine conception, qui n’est pas la nôtre, peut tirer la différenciation vers l’école à deux vitesses, sous prétexte de respect de chacun. L’école traditionnelle est loin, en réalité, de valoriser le commun et l’universel. D’autant que la ségrégation a longtemps existé dans les structures (classes et établissements « de niveau »), et c’est encore trop le cas aujourd’hui. Les études internationales montrent d’ailleurs que mettre les élèves plutôt en difficulté en contact avec des camarades plus performants va plutôt les tirer vers le haut, à condition que des pédagogies adéquates soient pratiquées.

La pédagogie différenciée, dans sa boite à outils, utilise d’ailleurs le monitorat et la coopération comme pièces maitresses, très loin d’un individualisme libéral.

Quant à la centration sur l’enfant dans sa singularité, elle peut conduire à des dérives si, par exemple, on confond ses désirs spontanés et ses besoins objectifs. Mais elle est essentielle dès lors que ce qui est privilégié, c’est le rapport de l’élève au savoir. On est très loin d’une mise au second plan des savoirs et de la culture dans la pédagogie différenciée bien comprise : c’est justement dans la mise en place d’ « itinéraires verts », de « chemins buissonniers » et de ruses d’un enseignant « passeur culturel » qu’on arrivera au but, bien mieux que les coups de menton ou les effusions lyriques sur les « savoirs émancipateurs ».

Jean-Michel Zakhartchouk
Professeur honoraire
INRP, Extrait dun texte paru dans Au risque de la pédagogie différenciée, 2001.