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Je ne retournerai pas en classe le 18 mai, mais…

Ces mots-là tournent dans ma tête et me cognent comme un uppercut permanent. Oui, les conditions matérielles m’inquiétaient, oui, les conditions de travail avec mes collégiens me souciaient. Comment envisager ce nouveau travail avec eux, pour eux, sans interactions à moins d’un mètre, sans outils à partager, sans manipulations communes, tous masqués à deviner nos expressions ? Malgré tout, j’avais envie de retourner dans une salle, avec des élèves et pas seulement leurs voix et leurs visages sur un écran, aussi chouettes soient-ils… D’essayer ce nouvel enseignement que nous allons devoir inventer.

Mais je n’irai pas le 18 mai. J’ai la chance, et je la mesure, d’avoir une équipe de direction qui proposait des conditions très rassurantes pour la reprise en présentiel. Pas plus de deux demi-journées de cours pour les enseignants afin de préserver le distanciel. Du gel hydroalcoolique à disposition et un public prioritaire selon les professions et les situations personnelles face au distanciel. Des axes de circulation, des entrées et sorties échelonnées. Pas de cantine, malheureusement, la nôtre est trop petite et le personnel d’entretien aura assez à faire, même avec notre aide.
Et finalement, que faire, me lamenter face à cette situation ? Ou continuer à exploiter les potentialités du distanciel ?

Mon fonctionnement convient très bien à mes élèves. Je leur ai proposé un planning hebdomadaire pour s’organiser, créé en PDF inscriptible (pas d’impression à réaliser) ou à recopier. Beaucoup l’ont repris tel quel, d’autres l’ont adapté, avec mon aide ou seuls. Ils sont fiers et heureux de me le renvoyer chaque semaine pour me montrer leur travail. Il faut dire que cet envoi donne lieu à une réponse personnalisée mettant en avant leurs réussites.

Je propose pour chaque niveau des modules tactiléo[[https://edu.tactileo.fr/ ]] sur un sujet, un par partie du cours le plus souvent. Cela permet aux élèves, soit de tout faire en une fois, soit de séquencer le travail sur plusieurs périodes de la semaine[[J., élève très assidue depuis le confinement (pourtant, en classe, elle trouvait souvent d’autres occupations), préfère faire tout son travail par demi-journées sur une discipline : « j’aime beaucoup le format module, personnellement cela me permet de mieux retenir car c’est interactif, et aussi de finir la leçon en une seule fois. »]]. Avec un groupe de collègues d’histoire géographie EMC, nous partageons notre travail pour la relecture, les idées, les modules complets adaptés ensuite par chacun en licence CC-BY-SA[[J’en profite pour remercier ici ces professeurs de 6 académies (en me comptant) : Sébastien Lambert, Caroline Tambareau, Laurent Fillion, Géraldine Dubos, Aurélie Rodes, Valérie Degand, Anne-Sophie Martinez, Philippe Deldalle.]]. Chaque module existe aussi en diaporama à télécharger et tous les élèves doivent m’envoyer leur cahier photographié pour vérification, c’est dans ce mail qu’ils envoient aussi leur planning.

Un peu de « vraie classe »

L’établissement ayant pu prêter des ordinateurs à chaque élève n’en ayant pas à la maison, nos élèves sont assez bien équipés, pas toujours suffisamment au niveau accès internet et bande passante, mais cela suffit le plus souvent. De ce fait, chaque semaine, une heure de classe virtuelle sur la plateforme CNED est planifiée, le même jour, la même heure chaque semaine pour une classe, pour créer un rituel. Cette heure n’est pas obligatoire, mais elle réunit en moyenne une vingtaine d’élèves. J’ai plaisir à entendre leurs voix (peu souhaitent brancher la caméra, ce sont des adolescents), ils ont plaisir à se voir, se parler… Et mine de rien, me voir et m’entendre (si j’oublie de brancher la caméra, j’ai rapidement la demande), comme un peu de normalité, un peu de « vraie classe » (l’expression est d’eux). Durant cette heure hebdomadaire, il y a deux, voire trois temps distincts.

Le premier temps c’est un « quoi de neuf », chacun évoque ses petits bonheurs, ses soucis techniques, ses moments de moins bien, car ils en ont et ils le disent. Ils apprécient beaucoup le #challengebonnenouvelle qui consiste à partir à la recherche des bonnes nouvelles dans les médias, y compris donc, le bouche à oreilles (confiné bien sûr), le grand moment fut la vidéo des daims en Ile-de-France.

Le second temps est un moment de travail collectif, dans des groupes créés sur la plateforme, avec leurs documents spécifiques, ils travaillent ensemble. Les 5e ont vraiment aimés les haïkus géographiques, ils en réclament chaque semaine, mais le travail ne se limite pas à cela, ils font des recherches poursuivies via des plateforme de pad durant la semaine. Ces recherches sont ensuite présentées en groupe durant la classe virtuelle suivante.

Le 3e temps est venu des plus grands, il consiste à poser un maximum de questions en fin de séance pour qu’elle ne finisse pas et a commencé après les vacances de printemps. Le but, pratiquement avoué, est de faire durer ce moment d’échange, pourtant prolongé toute la semaine sur l’espace de la classe. Mais cette classe virtuelle, c’est un moment de partage, de réflexion sur le monde, sur l’histoire et surement sur le présent et leur esprit critique en développement aime s’aiguiser.

Alors, certes, je ne reprendrai pas en présentiel le 18 mai, mais je n’ai jamais quitté ma mission, même durant les vacances de printemps ils ont continué à réfléchir, au travers de défis et d’une classe virtuelle. Je sais que le lien n’est pas parfait, mais il existe et je vais tout faire pour le préserver.

Émilie Kochert
Professeure d’Histoire-Géographie en région parisienne