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Dix reproches, dix propositions

S’il y a une réflexion nationale sur l’évaluation des élèves, c’est bien parce que quelque chose ne fonctionne pas bien dans l’évaluation telle qu’elle est actuellement.
Pour nous, on peut synthétiser la critique de celle-ci en dix grands reproches :

  1. Elle est trop générale et peu informative : l’aspect « sommatif » au sens propre consiste à additionner des compétences sous la forme d’une moyenne qui ne permet pas à l’élève de repérer les points qu’il doit travailler car son attention est souvent obsédée par l’addition (la note globale)
  2. L’évaluation actuelle est en même temps très pointilliste, avec ses points, demi-points, quarts de point, et conduit à succomber à la magie des chiffres, ceci étant renforcé par la fausse rigueur de l’informatique, quand des élèves ou familles s’imaginent significatif le passage de 8,37 à 8,89 !
  3. Elle crée de l’illusion, sous son apparence « scientifique », « objective » en créant la fiction que n’importe quelle note dans n’importe quelle classe de n’importe quel établissement en vaudrait une autre, en oubliant les différences entre ces classes, ces établissements ; (quoi de pire que la déception du brillant élève de collège de REP + qui voit ses notes baisser dans le lycée prestigieux où il a pu accéder, alors qu’il travaille encore plus !)
  4. Elle est plutôt dans constatation des lacunes et des manques que dans la capitalisation des progrès, le symbole étant la dictée où on enlève des points à chaque erreur, et même si les points négatifs du thème latin ont disparu (encore que…)
  5. Elle est peu fiable, comme le prouvent les écarts importants entre correcteurs dans les tests établis par la docimologie depuis un siècle pour des mêmes travaux d’élèves. Du coup, se développe chez les élèves l’idée d’arbitraire (« noter à la tête du client ») qu’ils limitent celle-ci aux matières littéraires, à tort…
  6. Elle est très individualisante. On a beaucoup de mal à évaluer le travail collectif et les résistances sont très fortes chaque fois qu’on s’y essaie (cas des TPE)
  7. L’évaluation est trop peu collégiale. Chez certains enseignants, 13, c’est déjà bien, tandis que c’est « faible » chez d’autres. Le 20 semble impossible dans certaines matières de la part de professeurs. Les normes en fait sont très variables, même si l’idée de critères de réussite clairs a progressé ces dernières années.
  8. Elle peut être démotivante, en ce que l’accumulation de mauvaises notes décourage, mais aussi en ce que l’obtention de la sacro-sainte « moyenne » semble un but suffisant à certains élèves qui ne se sentent plus l’obligation de faire mieux
  9. Elle peut conduire à des humiliations quand elle est rendue publique (l’annonce à haute voix des résultats, les remarques publiques désobligeantes, etc. bien mises en L’évaluation actuelle se limite à des domaines facilement évaluables (en apparence) et en néglige d’autres pourtant essentiels : l’oral, la capacité à coopérer, à s’investir dans un projet, les attitudes intellectuelles, etc. D’ailleurs, n’a-t-on pas tendance bien souvent à n’enseigner que ce qu’on peut évaluer facilement ?

De ces dix reproches découlent a contrario dix propositions :

  1. Evaluer davantage les progrès des élèves dans l’acquisition de certaines compétences, en partant de ce que savent déjà faire les élèves, vers ce que l’on est en droit d’attendre d’eux à tel niveau d’enseignement. Il faut former les enseignants à repérer les points d’appui, même fragiles pour ces progrès, ce qui est quelque peu un changement culturel dans notre système éducatif qui fonctionne plus à partir des manques.
  2. Distinguer ce qui est validé, de ce qui ne l’est pas encore. Une non-validation indique un domaine d’entraînement. Une validation reconnaît une compétence pouvant être mise au service du groupe.
  3. Il faut établir une déontologie de l’évaluation (pas de classement, pas de « publicité » des résultats, qui favorisent l’esprit de compétition dans son sens très négatif)
  4. Il faut radicalement supprimer les moyennes qui établissent des additions hétéroclites, alimentent des illusions (pseudo-compensations) ou donnent de fausses informations, et en premier lieu les moyennes générales trimestrielles.
  5. Il faut permettre aux équipes explicitement de substituer à un système d’évaluation élitiste un autre système qui indique les progressions et ce qu’il reste à apprendre.
  6. L’évaluation doit s’étendre à des activités qui dans notre système ont besoin de cette évaluation pour acquérir leurs « lettres de noblesse », mais aussi par ce que cela incite les enseignants à mieux analyser ce qu’ils attendent de ces activités en termes d’acquisition de compétences.
  7. Il convient de séparer ce qui relève de l’évaluation des apprentissages et ce qui concerne le comportement. L’évaluation des apprentissages ne peut être un instrument au service de la construction de son autorité, ou de la pacification de la classe (menaces en cas de mauvaise conduite, récompense si on a bien travaillé). Ce qui peut éventuellement être gagné à court terme est catastrophique à long terme quant à la représentation de ce que signifie « apprendre »
  8. Des formes d’évaluation collective oivent être encouragées, quitte à faire confiance aux équipes pour distinguer la part individuelle de chacun et la capacité à travailler en coopération.
  9. Mutualiser les pratiques d’évaluation est très fécond. Les projets interdisciplinaires, les échanges entre école et collège, mais aussi en collège au sein du conseil pédagogique, doivent permettre de tirer parti de ce qui se fait « ailleurs » afin de prendre du recul et d’aller chercher des bonnes pratiques dans d’autres environnements (par exemple, tirer profit de l’évaluation en EPS où on dissocie fortement performances dans l’absolu et compétences, ou encore en Arts Plastiques où on doit évaluer la créativité, ou en Langues vivantes avec l’outil CECRL)
  10. On doit mettre en place des moyens de communication aux familles qui leur permettent de comprendre où se situent les réussites et les difficultés, d’entrer en dialogue avec les enseignants et les élèves-enfants sur ces sujets, en privilégiant le contact personnel et en maniant avec précaution l’outil numérique (pas de surinformation avec des chiffres au jour le jour, mais des bilans réguliers et commentés)

La conférence sur l’évaluation doit, selon nous, élaborer des propositions réalistes, insister sur le fait que l’évaluation « positive » (terme préférable à « bienveillante ») n’a pas pour but unique de remotiver les élèves qui ont des difficultés, mais vise aussi à rendre l’évaluation plus efficace pour tous les élèves. Celle-ci doit être juste, ce qui veut dire combiner justice et justesse.

La question des notes ne doit pas devenir une querelle théologique. Si le CRAP-Cahiers pédagogiques est plutôt favorable à l’abolition totale des notes à l’école primaire et à une introduction progressive et limitée au collège, l’essentiel n’est pas là. Nous encourageons les « classes sans notes » car elles sont surtout le point de départ d’une réflexion, le but étant de développer d’autres types de pratiques et pas seulement de pratiques d’évaluation. SI évaluer par compétences nous parait un objectif à atteindre, plus encore nous prônons un « travail par compétences ».
Enfin, cette réflexion sur l’évaluation resterait théorique si elle ne conduisait pas à des évolutions dans la conception des examens.