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Aide aux profs : une belle aventure humaine

L’idée de l’association est née de sa propre difficulté à obtenir des conseils. En proie à une envie de quitter la classe, il rencontre la cellule d’assistance aux enseignants de son académie qui lui indique deux voies : chef d’établissement ou secrétaire d’administration. Ni l’une ni l’autre ne lui conviennent et, au fil de ses recherches, il repère une annonce du Cned pour recruter un responsable de formation en Histoire-Géographie et obtient le poste qu’il occupe depuis 15 ans. Ayant collecté des informations entre temps, il s’étonne de l’opacité du système, de la méconnaissance des mécanismes de détachement, de mise à disposition, vers les associations reconnues d’intérêt public, les syndicats, dans les structures du ministère de l’Éducation nationale ou d’autres ministères.

La loi de 2003 apporte un espoir mais sa réelle application depuis 2010 cantonne les évolutions professionnelles à un changement de discipline ou de niveau d’enseignement. Il décide de partager ses connaissances des méandres de la deuxième carrière avec ceux, qui comme lui, souhaitent franchir le pas. Son offre ne rencontre pas d’écho dans l’administration, alors il se tourne vers le bénévolat et la forme associative.

Au départ en binôme avec un webmestre, il forme une équipe de bénévoles qui comptera jusqu’à 4 conseillers mobilité de 2008 à 2012, sans trop savoir le nombre de personnes qui viendront « frapper à la porte en ligne ». Les débuts sont modestes puis un relais dans le Café pédagogique fait décoller les connexions, et les questions qui appellent des réponses individuelles.

De plus en plus d’enseignants

L’équipe réalise bénévolement plus de 4 000 pré-bilans de carrière, un outil conçu par Rémi Boyer. Ce sont d’abord des enseignants malades ou las de relations conflictuelles avec les élèves ou les parents qui s’adressent à l’association. Au fil des ans, les questions de mobilité s’imposent et depuis deux à trois ans des cas très lourds apparaissent, liés à un sentiment de harcèlement, de la part de l’administration, de la hiérarchie ou de collègues. Rémi Boyer constate que de plus en plus de profs souhaitent changer de carrière, n’envisageant plus la profession d’enseignant comme un métier à vie.

Quel que soit le type de transition envisagée, volontaire ou consentie face aux difficultés, le rôle d’Aide aux Profs est celui d’un accompagnement pour choisir une solution réfléchie, réaliste. Lorsque la seconde carrière se joue hors de l’Éducation nationale et même du secteur public, c’est la filière de l’aide aux personnes qui domine. « Ils veulent rester en contact avec les gens, dans le don de soi. Coachs, sophrologues, psychothérapeutes, ce sont des métiers où règnent le calme et le sens de l’écoute. » Mais il est très rare que la seconde carrière se joue dans le privé, elle se vit dans d’autres ministères ou dans les collectivités territoriales. Les conseils sont là pour mesurer les risques, envisager la transition en pesant bien le statut que l’on quitterait à l’aune des aléas d’une entreprise à gérer, « aider la personne à prendre la bonne décision, trouver des pistes pour sacrifier le moins possible ».

L'équipe d'Aide aux Profs

L’équipe d’Aide aux Profs

Une étudiante a, en 2014, analysé 2900 profils de la base de 2011 à 2013 et constaté qu’ils reflètent à 2% près les profils statistiques des enseignants dans les différentes académies. C’est sans doute pour cela qu’Aide aux Profs a reçu parfois l’oreille de l’administration, et suscité l’intérêt de nombreux médias. Au fil des années, des pistes se sont ouvertes, la seconde carrière s’est imposée comme une réalité alors que les années d’exercice des professeurs s’allongent, avec à la clé une lassitude de faire toujours le même métier, des difficultés à vivre le quotidien dans la salle de classe. Pourtant, il reste beaucoup à faire pour que l’évolution de carrière soit vue autrement qu’une progression d’un échelon à l’autre.

Un modèle obsolète ?

Pour Rémi Boyer, les choses sont à changer en profondeur, en délaissant le modèle immuable d’une carrière au long cours, pour une plus grande flexibilité. Il suggère une double politique de recrutement incluant une véritable place pour les contractuels, les trajectoires enseignantes à moyen cours avec une formation préalable de quelques mois pour professionnaliser les remplaçants, palier ce qui ressemble à une crise des vocations, accueillir des salariés qui souhaitent enseigner et de ce fait, créer des salles des profs plus hétérogènes. Il songe à un système décentralisé, régional, avec une gestion des ressources humaines confiée pour les contractuels aux collectivités territoriales en lien avec les besoins exprimés par les chefs d’établissement.

Son quotidien professionnel lui rappelle le manque de dimension humaine dans le suivi des parcours individuels. « Au CNED, j’ai rencontré mal de profs en réemploi, affectés par des maladies, les hasards de la vie ou démolis par le métier. » Leur accueil dans le centre d’enseignement à distance est pour la majorité une transition. Il leur faudra tôt ou tard réintégrer un établissement, remettre le pied dans un contexte source de souffrance ou alors épuiser progressivement leurs droits à congés de longue maladie, avant la mise en disponibilité d’office sans salaire et la retraite pour invalidité avec des revenus faibles. « Le quota de reclassements ne pourra bouger que par un vote de l’Assemblée nationale et les difficultés de santé au fil de l’âge vont s’accentuer avec l’allongement des carrières. » L’approche humaine de la gestion des personnels passera par les cases de la politique et de l’arbitrage budgétaire.

Continuer autrement

Au fil des ans, Aide aux Profs est devenu un interlocuteur de référence pour tous les enseignants qui souhaitent changer de métier. Les bénévoles investis de l’association ont eux aussi évolué, professionnellement et personnellement, et les énergies pour répondre à chacun de façon personnalisée se sont étiolées. Pour continuer l’aventure autrement, Rémi Boyer a réalisé en juin 2014 un partenariat avec l’entreprise Whaller, qui développe des solutions de réseaux sociaux privés pour un accompagnement technique. Le résultat aboutira à un outil comprenant des espaces d’échanges thématiques et un système documentaire et d’entraide pouvant fonctionner efficacement en autonomie). Une initiative bienvenue car la réforme du collège, dans sa version éditoriale au Cned, avec quatre niveaux de cours à produire la même année, a fortement empiété sur le temps qu’il consacrait auparavant au bénévolat.

De ce fait, l’association vit une transition. Les dix ans passés ont été ceux d’une écoute quotidienne de difficultés, de face à face avec des histoires personnelles pleines de douleurs et une exigence « de traiter tout le monde avec une égalité parfaite, sans préjugés, sans a priori, sans discrimination ». L’avenir pour l’association se dessine en se centrant sur la mobilité externe.

Pour l’initiateur d’Aide aux Profs, c’est aussi une page qui se tourne, « une période très intense humainement », de personnes croisées, côtoyées, qui lui ont appris beaucoup. Il retient les belles rencontres, les livres écrits et la fierté de son père de les voir éditer, et prodigue des remerciements pour les bénévoles qui l’ont accompagné, pour sa femme, ses enfants qui ont compris le manque de disponibilité lorsque les journées se prolongeaient soir et week-end, et pour tous ceux qui l’ont soutenu sur le web. « Je suis heureux d’avoir vécu cela, que nous ayons aidé directement près de 12 000 enseignants, d’avoir aidé un système à réfléchir, même si j’aurais aimé qu’il agisse mieux. Moi qui étais un enfant très réservé, hyper timide, je n’aurais jamais imaginé pouvoir faire ça, communiquer autant. »
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Colloque

La page se tournera au troisième et dernier colloque d’Aide aux Profs. Après « Souffrir d’enseigner, peut-on l’éviter ? » puis « Auto-entrepreneur, un métier d’avenir après prof ? », le thème développé le 15 juin 2016 sera ouvertement positif : « Le potentiel opérationnel des compétences des enseignants : de la compétence pratiquée à la compétence transférée ». Cette notion de compétences transférables est pour lui être un facteur d’attractivité du métier en les valorisant par leur intérêt pour d’autres domaines et secteurs. « Des chefs d’entreprise de 10 à 200 salariés me contactent maintenant pour recruter des compétences pédagogiques liées au numérique. »

Jean-Michel Blanquer, ancien recteur, interviendra sur les moyens humains et financiers à mettre en œuvre dans une académie pour une gestion personnalisée des emplois et compétences. Bruno Devauchelle, enseignant-chercheur dans le domaine des Tice, parlera des compétences nées du numérique. Didier Cozin, spécialiste de la formation tout au long de la vie, expliquera comment devenir formateur, savoir vendre ses prestations, et utiliser son DIF (droit individuel à la formation). Des professeurs devenus entrepreneurs ou salariés du privé viendront également témoigner. Rémi Boyer vivra ce colloque comme le point d’orgue d’une belle aventure à l’orée d’une « nouvelle étape », d’une nouvelle carrière, lui qui, après « dix ans de double activité, au service des autres » souhaite prendre le temps de vivre autrement.

Monique Royer

Inscriptions au colloque d’Aide aux Profs ouvertes jusqu’au 10 juin.