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Fin de la trêve des confineurs : comment faire ?

Comment pouvons-nous gérer la reprise de l’école ?

L’exercice est difficile, dans la mesure où, en France comme dans bien d’autres pays, des informations nous arrivent en rafale, parfois contradictoires.

Cette coupure scolaire d’une durée exceptionnelle n’a qu’un seul équivalent : les vacances d’été. On peut donc déjà dire, pour ceux qui reprendront avant le mois de septembre, qu’il y aura cette année deux rentrées des classes ;

Enseignants comme tous les autres personnels, nous aurons besoin de temps sans les élèves, mais les élèves auront – eux – besoin de temps avec nous : comment faire ? Ce sera une vraie rentrée scolaire, qui méritera une vraie pré-rentrée et on ne peut imaginer que les adultes et les élèves reprennent le même jour.

Du côté des personnels, n’oublions pas qu’il n’y a pas que des enseignants.
Il y a les agents : il faudra bien qu’ils rentrent avant les autres si on veut que les établissements soient propres après plus d’un mois sans ménage.

Il y a, dans le second degré, les personnels de vie scolaire, CPE, assistants d’éducation, personnels médico-sociaux, qui auront besoin d’un temps collectif de démarrage.

Comme les autres personnels, les enseignants auront besoin d’un temps dédié à la parole entre adultes, d’échanger sur ce qu’ils ont vécu personnellement pendant cette période, sur ce qu’ils ont professionnellement mis en place, avant de se réunir pour dessiner l’organisation de la période qui s’annonce.

Quant aux directeurs, proviseurs, gestionnaires, ils vont devoir repenser toute l’organisation de l’établissement, modifier peut-être les rythmes et les emplois du temps, surtout si tous les élèves ne sont pas invités à reprendre en même temps, mais aussi prendre en compte les contraintes sanitaires et préparer la logistique nécessaire.

Rétablir le lien

Aussi bien dans le premier que dans le second degré, il faudra accepter de perdre encore un peu de temps pour en gagner ensuite, et prendre le temps de parler avec les élèves de ce confinement, comme les adultes l’ont fait entre eux.

  • Il nous faudra prendre le temps de les écouter et qu’ils s’écoutent,
  • d’écouter leurs récits de confinement.
  • Peut-être certains auront vécu des choses lourdes dans ce huis clos. 
  • Il nous faudrait, à nous, éducateurs, être attentifs à tout ce qui se dira en parole et aussi à ce qui se dira autrement dans les relations, dans les jeux, les attitudes.

Mais, attention, nous n’avons pas toujours les outils professionnels pour cela. La conduite de ces temps particuliers est délicate, elle suppose de conjuguer des compétences multiples. Même si toutes les écoles n’en bénéficient pas au même niveau, nous devons mobiliser les infirmières, psychologues scolaires, assistants sociaux de nos établissements : ce sont des experts dont les compétences nous seront essentielles.

Il nous faudra allonger les récréations : si certains élèves n’aiment pas les cours, les devoirs, les contrôles, ils aiment l’école, qui signifie pour eux, vie sociale, amitiés, expression de soi, qui leur permet de grandir à l’écart des parents. Pour eux, le bonheur majeur de la reprise, ce seront les retrouvailles amicales : il ne faudra donc pas hésiter, au moins la première semaine, à allonger la durée des récréations.

L’évaluation

Les enseignants seront tentés, et trouveront même sans doute nécessaire, d’évaluer leurs élèves pour faire le point sur leurs acquisitions et programmer leurs enseignements pour les quelques semaines qui restent, donc dans une démarche de régulation/accompagnement. Mais les élèves le ressentiront-ils ainsi ? Le plus grand danger, c’est que cela soit ressenti comme un outil de jugement de ce qui s’est fait ou pas à la maison, des performances de la famille à accompagner ses enfants, et cela risque fort d’être vécu comme une intrusion de l’école dans la vie privée.

Nous sommes donc face à un paradoxe et pour cela, les enseignants vont devoir ruser et la mise en place de dispositifs de coopération entre élèves, et de travaux de groupes pourront les y aider.

Pour cela, il faut encore prendre son temps. Si ce temps est élastique dans le premier degré, où le professeur organise son temps dans une journée de 6 heures, il est beaucoup plus contraint au collège et au lycée, où les séances de 55 mn sont de base.

Les équipes de direction auront donc un grand rôle à jouer :

  • Pour calmer le jeu : Si les enseignants sentent une pression venue d’en haut pour qu’ils affichent en juin des résultats avec leurs élèves, ils ne vont pas pouvoir leur laisser le temps de reprendre ensemble le fil des apprentissages et cela va désavantager encore une fois les plus fragiles.
  • Pour engager une modification des emplois du temps, en privilégiant des séances d’1h30 ou 2h

 

Les programmes

Les énergies sont en temps normal, et particulièrement en fin d’année scolaire, tournées vers le bouclage des programmes.

Jean-Michel Blanquer a déclaré : Le but n’est « pas de finir le programme coûte que coûte, mais de se socialiser ». Chacun doit donc avoir le courage de refuser de « rattraper le temps perdu » et résister à la tentation de l’emballement jusqu’à la fin de l’année pour « terminer le programme ».

Mais il faut alors aller au bout de la logique : si on ne finit pas les programmes en 2019-2020 il faut être capable d’en tenir compte l’année scolaire suivante, et là aussi accorder une importance toute particulière à la préparation de rentrée, et au suivi du devenir des élèves.

Dans le premier degré, un retard dans les programmes est beaucoup moins pénalisant dès lors que ceux-ci sont rédigés par cycle et que l’on peut donc « lisser » ce retard sur une période dépassant largement l’année scolaire.

Dans le second degré, les équipes disciplinaires auront à réfléchir, chacune dans son domaine, quels points des programmes il conviendra de privilégier pour le temps qu’il reste de l’année scolaire (et donc, en creux, ce qu’il faudra accepter d’abandonner provisoirement) : c’est en ce sens que la reprise, pour une courte durée, exigera une concertation importante, y compris l’année suivante, pour prendre en compte cet événement et réorganiser les contenus et la programmation des enseignements.

Les parents aussi

Ce sont des acteurs de la communauté éducative à part entière, et d’autant plus au cours de ces dernières semaines.

On leur a confié des tâches pédagogiques et ils souhaiteront probablement, plus encore qu’auparavant, conserver un œil sur ce qu’il se passe ?

Les équipes de direction auront à mettre en place une réflexion sur les modalités de communication avec les familles et la façon de reconnaître leur rôle de co-éducateurs (pas de co-gestionnaires ou de co-pédagogues !). Cette réflexion s’inscrira dans le long terme mais devra commencer dès la reprise, car il s’agit de ne pas attendre que des familles se plaignent d’être soudain mises à l’écart après avoir été tant sollicitées.

Dans un premier temps, on peut conseiller aux responsables d’établissements, en coopération avec les enseignants :

  • De créer sur le site web de l’établissement une rubrique « après confinement » et de l’alimenter copieusement avec l’aide de tous les personnels de l’école
  • D’envoyer un mail hebdomadaire aux parents pour leur indiquer les nouveautés sur le site : au-delà de l’information elle-même, on montre ainsi à la fois le dynamisme des équipes et l’attention que l’on porte aux familles
  • D’utiliser et de développer les fonctionnalités de l’ENT dédiées aux familles (avec le consentement préalable des enseignants pour les outils de communication directe) et de redonner éventuellement le mode d’emploi de ces fonctionnalités.

Cela permettrait d’amorcer la machine, mais ensuite, c’est chaque équipe, avec les spécificités de l’établissement scolaire, qui développera sa propre stratégie, si possible en concertation avec les parents eux-mêmes.

Au cours du débat avec les plus de 200 participants, réponses aux questions :

Faut-il adapter les contenus des programmes ?

On peut (on doit) articuler son enseignement au vécu et à l’environnement ne peut qu’aider à lui donner du sens. Pour autant, ce n’est probablement pas à la pandémie elle-même qu’il faut se référer : depuis des semaines, télévisions, radios, journaux ne parlent que de ça, au point que chacun se trouve saturé.

En revanche, et particulièrement dans le premier degré, on s’appuiera autant que possible sur ce qui a été réalisé pendant le confinement, particulièrement si des expériences de travaux collectifs ont eu lieu.

Nous disposerons d’une documentation exceptionnelle en triant ce qui a été produit pendant le confinement, en provenance des médias, des éditeurs, des groupements pédagogiques. Ces travaux peuvent produire, dans les trois cycles, des opportunités de travail en lecture, en productions d’écrits, en expériences scientifiques, arts plastiques… et bien sûr en histoire, géographie, enseignement moral et civique.

Concernant la classe de Terminale, et ce n’est qu’une opinion, on pourrait presque jeter le programme aux orties, et axer les quelques semaines à une véritable préparation des élèves à l’enseignement supérieur : enseignements indispensables et prévus par les textes, qui ont toujours été sacrifiés au bouclage du programme indispensable pour une bonne préparation à l’examen final. Il me semble qu’il y a une véritable occasion à saisir.

Quels dispositifs pour raccrocher les élèves perdus en route ?

La question est très large et concerne des publics différents, selon qu’ils étaient en situation de décrochage avant la pandémie, où qu’ils n’ont pas pu s’inscrire dans l’enseignement à distance.

Pour ces derniers, la question ne concerne pas que les établissements français : Dans de nombreux postes à travers le monde, la proportion de boursiers est particulièrement importante. Là aussi, les écoles ont perdu beaucoup d’élèves en route au motif qu’ils n’avaient pas d’accès aux technologies nécessaires.

Pour les ramener à nous, la solution n’est pas de les regrouper pour tenter, par des enseignements intensifs, de combler le retard accumulé. Le résultat ne serait pas du tout à la hauteur et même parfois inverse à ce qui est espéré. Je vais me contenter d’un certain nombre de mots clés : différentiation pédagogique, coopération entre élèves, travaux de groupes.


Pour aller plus loin

Un article de François Dubet : Après le virus, l’école sera-t-elle comme avant ?

Pour tous les enseignants, mais aussi pour les parents d’élèves qui se sont « initiés » aux questions pédagogiques, une série d’articles indépendants de l’actualité immédiate : La rubrique Antidote : Des remèdes aux mensonges et autres idées reçues sur l’école.
Ils sont regroupés dans un hors-série numérique téléchargeable gratuitement

Et quelle que soit la forme que prendra l’école d’après, le dossier « Urgence écologique, un défi pour l’école » sera toujours d’actualité (publication payante)

Sur le site du Café pédagogique :

L’Ecole d’après : Quatre questions à Benjamin Moignard

10 articles sur L’école d’après, de Philippe Meirieu, Najat Vallaud-Belkacem, Bruno Devauchelle, Marc Bablet, Rodrigo Arenas, Philippe Champy, Marc Douaire, Véronique Decker, Alain Bouvier, Marie-Aleth Grard. http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2020/EcoleApres.aspx

Sur le site des Echos :

Dix questions que soulève la remise en route des écoles le 11 mai

Un écho du webinaire sur la question des programmes et des cycles, au Sénat
« Toutefois, cette notion de cycle reste trop peu utilisée au profit des apprentissages par année scolaire. Ainsi, chaque année, on constate une volonté de « finir le programme » avant les vacances d’été. La spécificité de l’année scolaire 2019-2020 et les lacunes dans les apprentissages qu’auront de nombreux enfants représentent l’occasion de mettre à profit cette organisation par cycle pour septembre, avec une pédagogie à cheval sur deux années scolaires à l’intérieur d’un cycle. » (Commission de la culture, de l’éducation et de la communication – groupe de travail sur la reprise des écoles le 11 mai)
http://www.senat.fr/espace_presse/actualites/202003/suivi_covid_senat.html#c654174