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Penser l’intersectionnalité en éducation ?
Ce colloque avait été longuement préparé par Fanny Gallot, maitresse de conférences en histoire à l’ESPE de Créteil et Lila Belkacem, maitresse de conférence en sociologie à l’Université de Créteil, assistées par un comité d’organisation pluridisciplinaire mobilisant 17 enseignants de l’université de Créteil (sciences de l’éducation, mais aussi histoire, géographie, sociologie, sciences de l’information, STAPS, ainsi qu’une formatrice CAFOC), et accompagnées par un conseil scientifique international de 23 membres.
Qu’appelle-t-on « intersectionnalité » ?
Ce néologisme forgé aux États-Unis dans les années 1980, dans la mouvance du féminisme noir, entendait au départ mettre au centre de la réflexion le caractère complexe des rapports de pouvoir dans lesquels sont prises les femmes noires. Pour ce courant de pensée, « la logique des discriminations est par nature “intersectionnelle”, comme le souligne la philosophe Elsa Dorlin : il n’y a pas d’approche additionnelle, sectorielle, viable —la classe + le “sexe” + la “race”—, la domination est toujours et en même temps un rapport de classe, de genre et de sexualité, de racialisation ». Ouvrir en ESPE une réflexion autour de cette notion, c’était inviter à réactiver et enrichir de façon ambitieuse la pensée critique des rapports sociaux en matière d’éducation scolaire. Il s’agissait de saisir la complexité des divers rapports de pouvoir dans lesquels sont insérés les individus pour de vrai, – enseignants, élèves, et leurs parents.Une approche critique
Le colloque s’inscrivait donc en continuité avec la tradition critique en éducation, mais aussi en rupture sur un point essentiel. En effet, lorsqu’une approche critique des rapports sociaux est introduite dans la formation des enseignants, c’est généralement l’approche néo-marxiste héritée de Bourdieu, dite encore « classiste », qui organise le questionnement, autour d’un constat qui porte sur la division sociale des publics et son impact en termes d’inégalités de parcours ou d’orientation, – la « sociologie de la reproduction ».Or cette approche laisse de côté beaucoup de questions qui surgissent du terrain aujourd’hui, et qui s’expriment en demandes en formation, voire en peurs des jeunes enseignants sur le terrain. Ces peurs touchent à des questions aussi cruciales que la gestion de la classe, la construction de l’autorité, la conception des situations d’apprentissage, la justice de l’évaluation, les sanctions… Et elles prospèrent, il faut bien le dire, sur la timidité avec laquelle les travaux français ont abordé jusqu’ici les questions touchant au sexisme et surtout à l’ethnicisation du social et des rapports scolaires. Les jeunes enseignants ne sont pas formés à ce qui les attend. Cette impasse n’est plus possible, elle est irresponsable lorsqu’on doit former des enseignants dont les premiers postes seront en Seine-Saint-Denis. Telle était la base de légitimité des journées d’étude de Créteil sur l’intersectionnalité.Une manifestation maintenue malgré l’adversité
Avant de se dérouler avec un beau succès (trois conférences de cadrage, suivies de 13 panels thématiques et trois ateliers présentant des réalisations), elles ont bien failli être supprimées. Prenant prétexte de l’engagement de certains membres du Conseil scientifique dans le militantisme aux côtés des jeunes issus de l’immigration, tout un éventail de petits mouvements spécialisés dans la défense « laïciste » des institutions républicaines ont lancé des accusations sur internet, dénonçant l’ESPE de Créteil à un moment particulièrement sensible puisqu’on était juste avant le premier tour des élections présidentielles. Les institutions (rectorat, ESPE, Université de Créteil, préfecture) ont paru hésiter, puis ont cédé à la crainte, avant de se raviser. Lors de l’ouverture du colloque, le président de l’université, ainsi que Loïc Vadelorge, historien, directeur du laboratoire ACP qui a fortement soutenu les organisatrices, et Eric Fassin, sociologue Paris 8, ont vigoureusement exprimé leur indignation devant ces attaques sur les franchises universitaires et les exigences de la formation. Mais dans l’affaire, les trente-deux enseignants qui s’étaient inscrits aux journées au titre du PAF, preuve de l’intérêt du sujet pour eux, se sont vus privés de colloque : stage PAF supprimé.