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La Cour des comptes prône la fin de la labellisation des écoles et établissements

On pourra voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. La Cour des comptes observe que l’éducation prioritaire n’a pas atteint les résultats escomptés (arriver à maintenir à 10 % l’écart entre les résultats des élèves en REP ou REP+ et les autres), mais qu’elle a permis de contenir le creusement des inégalités dans un contexte de dégradation socio-économique «insuffisamment contenue par les politiques de cohésion sociale et d’aménagement du territoire».

Au total, la politique d’éducation prioritaire concerne près de 20 % des écoliers et collégiens aujourd’hui, contre 10 % à son lancement en 1982. Le surcout est de 22 % par élève en REP+ mais le budget consacré à l’éducation prioritaire ne représente que 4% des moyens globaux des écoles et collèges en France.

Une politique emblématique

Didier Migaud, le premier président de la Cour, insiste : la Cour «ne remet nullement en cause les fondements» de cette «politique emblématique», ni son «bien-fondé». Mieux, «son utilité et sa légitimité sont solidement établies». Et les recommandations formulées quant à sa mise en œuvre visent à «en multiplier les effets et remédier aux faiblesses constatées».

Le rapport identifie ainsi quatre leviers : la réduction de la taille des classes, le renforcement de l’attractivité des postes d’enseignants, la révision des mécanismes d’allocation des moyens et du ciblage, et l’évaluation à partir d’indicateurs de performance propres à l’éducation prioritaire.

Des quatre, c’est sans doute le troisième qui retient le plus l’attention. Car la Cour des comptes recommande de «sortir du système binaire de labellisation de l’éducation prioritaire au profit d’une allocation des moyens plus modulée». Premier motif : les «effets pervers» induits par le label sur la mixité sociale, «les familles étant souvent tentées de mettre en place des stratégies d’évitement». Au risque de l’absence de transparence et pour les familles, et pour le pilotage de la «politique emblématique» ?

Le rapport prévoit en tout cas des mesures pour «favoriser la mixité scolaire en renouvelant les mécanismes d’affectation des élèves», notamment en associant à la carte scolaire les établissements privés sous contrat concernés. Cependant, Didier Migaud acte leur assez faible présence sur les territoires en question.

Ciblage des moyens

Deuxième motif pour cette «délabellisation» : le «défaut de ciblage», aboutissant à un saupoudrage des moyens supplémentaires sur les 1097 collèges concernés aujourd’hui (contre 503 en 1982).

Sur ce point, le rapport relève une forte concentration des difficultés: 67% d’élèves issus des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) défavorisées en REP+, contre 35% hors REP. Or, la Cour estime que l’écart de taux d’encadrement des élèves en REP et hors REP est trop faible pour avoir des «effets tangibles sur la résorption des disparités de niveaux» scolaires induits par les disparités de situations socio-économiques.

Et ce, en particulier dans le premier degré avec seulement deux élèves de moins par classe en éducation prioritaire par rapport aux établissements ordinaires. De fait, «les inégalités de niveaux scolaires sont déjà très largement acquises lors de l’entrée en 6ème ; les dispositifs déployés en collège ne font au mieux que stabiliser la situation». Il faut donc plus clairement cibler les moyens sur le premier degré.

À ce titre, si Didier Migaud salue le dédoublement des classes de CP et CE1 en REP+ mis en place par l’actuel ministre de l’Éducation nationale, il estime que «pour les autres établissements où la concentration des difficultés est moindre, une réduction moins significative de la taille des classes peut s’avérer suffisante».

Attractivité des postes, formation et évaluation

La Cour propose également des mesures pour rendre plus attractifs les postes en éducation prioritaire et insiste sur une recommandation qu’elle a déjà faite précédemment, mais restée sans suite : ne pas affecter dans ces établissements des enseignants ayant moins de deux ans d’ancienneté.

Des mesures incitatives pour les enseignants expérimentés sont également mises en avant, de même que l’élargissement de la possibilité pour les chefs d’établissement de recruter sur postes à profil (voir encadré ci-dessous). Sur le constat qu’une majorité des remplacements en REP+ est effectuée par des contractuels, la Cour incite à privilégier le remplacement par des titulaires remplaçants. La formation, initiale comme continue, n’est pas oubliée, avec notamment le renouvellement de la recommandation de renforcer la place des spécificités de l’éducation prioritaire dans la formation initiale des enseignants.

Tout cela dans un «objectif d’attirer puis de stabiliser des enseignants volontaires et mieux préparés».

Enfin, la cour souhaite que l’éducation prioritaire soit dotée d’outils d’évaluation «plus performants», reposant sur des indicateurs de performance qui seraient propres aux réseaux d’éducation prioritaire – dont on peut penser qu’ils serviraient aussi à mieux identifier les établissements devant bénéficier des financements de cette politique. Parmi ces indicateurs figurent les résultats d’évaluations standardisées des élèves «au début et à la fin des trois cycles, puis à l’entrée et à la sortie de chaque année». Didier Migaud salue donc bien évidemment la mise en place d’évaluations des acquis des élèves en français et maths à l’entrée en CP et 6ème, qu’il voit comme «une évolution favorable».

Ces mesures sont présentées comme formant un tout, «parce que cohérentes», et dont «les effets ne pourront se mesurer que dans le temps». «Elles auront toutes un effet bénéfique par elles-mêmes, mais les effets seront beaucoup plus importants si elles sont mises en cohérence», ajoute Didier Migaud, tout en rappelant que «le dernier mot appartient toujours aux pouvoirs publics».

Cécile Blanchard


Pour aller plus loin :
Lire le rapport

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Où en est l’éducation prioritaire ? Par Françoise Lorcerie
«Il faut que la politique d’éducation prioritaire soit réellement prioritaire , entretien avec Marc Douaire
«Il faut bien recentrer l’éducation prioritaire !», entretien avec Marc Douaire

Les Orientations et recommandations de la Cour des comptes

Orientation n° 1 : fortifier l’autonomie, la responsabilité et l’évaluation des réseaux de l’éducation prioritaire renforcée
1. Renforcer le pilotage académique en intégrant au projet stratégique un volet « éducation prioritaire », en exigeant des bilans annuels de sa mise en œuvre et l’élaboration d’un référentiel académique de l’éducation prioritaire ;
2. expérimenter la constitution d’établissements publics de réseau ; établir des contrats permettant de leur allouer des moyens conditionnés à la mise en œuvre d’actions et attribuer au chef d’établissement, responsable du réseau, les marges de manœuvre nécessaires à la bonne utilisation de ces moyens.

Orientation n°2 : doter l’éducation prioritaire d’outils d’évaluation plus performants
3. Systématiser les évaluations des élèves du socle commun de connaissance, de compétences et de culture (au début et à la fin des trois cycles, puis à l’entrée et à la sortie de chaque année) par des tests standardisés dématérialisés ;
4. alimenter des bases de données exhaustives sur les élèves, les écoles et les établissements et produire des indicateurs de valeur ajoutée des collèges et des réseaux ;
5. utiliser ces données pour conduire de manière systématique des analyses de la performance des dispositifs mis en œuvre en éducation prioritaire.

Orientation n° 3 : concentrer l’action publique sur le premier degré en mobilisant les leviers à fort rendement
6. Cibler les moyens enseignants sur le premier degré ;
7. étendre le dédoublement des classes à l’ensemble du cycle des apprentissages fondamentaux (grande section de l’école maternelle et deux premières années de l’école élémentaire) ou à l’ensemble des classes du cycle 2 dans les écoles qui concentrent de manière aiguë les difficultés sociales et scolaires (équivalent REP+) ; mettre en œuvre une réduction de moindre intensité dans les autres classes (équivalent REP).

Orientation n° 4 : ajuster la gestion des enseignants aux besoins de l’éducation prioritaire
8. N’affecter en éducation prioritaire que les enseignants disposant d’au moins deux ans d’ancienneté ;
9. élargir la capacité des chefs d’établissement à recruter sur profils pour les postes d’enseignant situés en éducation prioritaire ;
10. ouvrir la possibilité d’une affectation temporaire d’une durée de trois à cinq ans sur les postes en éducation prioritaire assortie de la garantie de retour à l’affectation d’origine ;
11. améliorer le régime indemnitaire des enseignants en éducation prioritaire en introduisant des éléments variables d’une part liés à l’investissement individuel et à l’implication au sein des équipes pédagogiques, d’autre part modulés en fonction de l’attractivité de l’académie ;
12. renforcer la place de l’éducation prioritaire dans la formation initiale des enseignants et accentuer l’effort de formation continue des enseignants affectés en éducation prioritaire ;
13. faciliter le remplacement dans les établissements et les écoles qui concentrent les difficultés en leur donnant une priorité et en privilégiant le recours aux titulaires remplaçants.

Orientation n° 5 : revoir le processus d’identification des bénéficiaires et réviser les mécanismes d’allocation des ressources
14. Répartir l’ensemble des établissements (et des écoles lorsque les données le permettront) en plusieurs catégories homogènes, définies en fonction d’un indice synthétique de difficulté tenant compte de leurs caractéristiques propres ;
15. utiliser ces catégories pour allouer les moyens spécifiques de l’éducation prioritaire et distribuer les moyens non spécifiques à l’ensemble des écoles et des établissements en tenant compte du profil des élèves scolarisés, afin d’introduire un continuum dans le dispositif d’allocation et réduire les effets de seuil des mécanismes actuels.

Orientation n° 6 : favoriser la mixité scolaire en renouvelant les mécanismes d’affectation des élèves
16. En partenariat avec les collectivités territoriales, faire évoluer la carte scolaire et les modalités d’affectation des élèves afin de favoriser la mixité et créer un observatoire de la mixité auprès du recteur chargé de rédiger un rapport sur la mixité dans l’académie tous les deux ans ;
17. associer les établissements privés sous contrat concernés aux processus d’évolution de la carte scolaire et inciter à scolariser des élèves qui reflètent mieux les caractéristiques sociales et scolaires de la population de la zone de recrutement.