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Vive l’hétérogénéité ! Dix bonnes raisons de se méfier des groupes de niveau

Couverture du Petit Cahier n° 27 : Comment ne pas faire ds groupes de niveau

La différenciation plutôt que la séparation, le tutorat plutôt que la compétition, bref, l’hétérogénéité plutôt que les groupes de niveau. C’est faisable, par exemple, en français !

Les réflexions ci-dessous ne reposent pas sur des préjugés ou des considérations abstraites. Elles sont le fruit de quarante années de travail en collège d’éducation prioritaire avec des classes que j’aurais aimées souvent plus hétérogènes (quitte à ce qu’elles soient d’un effectif plus grand), et de l’observation de ce qu’ont pratiqué des collègues, avec souvent la meilleure volonté de bien faire.

  1. Des groupes de niveau, pourquoi pas ? Mais au sein de la classe ! On peut très bien donner des travaux différenciés, varier les niveaux d’exigence lors de certaines séquences. Cela s’appelle la pédagogie différenciée « simultanée », mais cela demande aussi de la formation…
  2. L’avantage de la classe hétérogène, c’est la possibilité de pratiquer cet outil trop peu utilisé : le tutorat entre élèves. Certes, il peut aussi concerner des groupes homogènes (si cela existe !), mais c’est moins intéressant. De nombreuses études ont montré que les élèves qui aident en tirent des bénéfices, y compris sur le plan cognitif.
  3. La classe hétérogène permet aussi ces beaux moments de mise en commun : on projette par exemple un texte d’élève qu’on essaie tous ensemble d’améliorer en proposant des solutions, on écoute des exposés oraux en tirant profit de ceux qui s’en tirent bien et en menant une analyse critique de ce qui ne va pas, avec obligation de proposer des pistes d’amélioration.
  4. Le travail avec des élèves ayant des difficultés particulières et en plus petit effectif : oui, bien sûr, cela existe dans la réforme du collège de 2016, c’est l’accompagnement personnalisé bien compris1. Un des avantages est que le groupe plus faible peut travailler par anticipation sur ce qui va être fait en classe, ce qui est valorisant pour ces élèves qui auront ainsi un temps d’avance !
  5. Si le groupe de niveau est permanent, au moins sur un trimestre, il est à craindre qu’on mélange des élèves ayant des difficultés sur des points très différents dans une discipline aussi multiple que le français. Certes, il existe des « bons partout » et des « faibles partout », mais combien d’élèves peu à l’aise avec l’orthographe ont de bonnes idées et une belle logique narrative dans la production d’écrits, par exemple ! Bon courage aux enseignants pour la répartition en dehors de cas indiscutables ! Et, au passage, bon courage pour leurs emplois du temps, lorsque toutes les classes en seront aux groupes de niveau, avec ces alignements compliqués, véritable casse-tête !
  6. Il y a fort à craindre que le groupe dit faible (et étiqueté comme tel, inévitablement) se livre à des activités de « bas niveau » justement. Ils ont du mal à rédiger et à lire des textes exigeants : retournons aux soi-disant « bases » et faisons beaucoup de conjugaisons et d’exercices de grammaire. D’ailleurs, ces élèves risquent de s’en satisfaire, loin d’un vrai « choc des savoirs » qui demande de la part de l’enseignant de l’imagination créative, des qualités de « passeur culturel » qui permettent d’aborder des textes pas toujours évidents. Et comment traiter spécifiquement le cas d’élèves dyslexiques qui risquent d’être cantonnés en permanence dans le groupe dit faible ?
  7. Comment traiter les questions d’évaluation ? Surtout avec des notes chiffrées. Les moyennes ne représenteront plus grand-chose, les élèves du « groupe faible » pouvant, sur des exercices plus faciles et souvent mécaniques, obtenir avec un peu d’efforts une bonne note, meilleure que celle de bien des élèves du « groupe fort », paradoxalement. Le problème se pose beaucoup moins dès lors qu’on évalue par compétences en distinguant un niveau d’excellence et un niveau d’exigence minimum, sur des tâches complexes.
  8. Une répartition permanente en groupes de niveaux ne peut guère permettre un travail interdisciplinaire, puisque trois classes au moins seront alignées (sauf si on tolère deux classes alignées, ce qui est encore plus discriminant).
  9. Quant au projet disciplinaire, l’écriture longue par exemple, il devient difficile si les groupes sont brassés au bout d’un trimestre, voire un demi-trimestre. Il est vrai qu’il est à craindre, hélas, qu’il y ait assez peu de brassage. D’ailleurs, si la montée dans le groupe supérieur est sans doute possible, qu’en sera-t-il de la « dégradation » ?
  10. Nombre de problèmes soulevés ci-dessus disparaissent si on limite le groupe de niveau à une ou deux heures maximum par semaine et s’il est ciblé sur une compétence, sur un problème.
Jean-Michel Zakhartchouk
Enseignant de français honoraire

 

Notes
  1. Benédicte Dubois, « Les sept familles de l’accompagnement personnalisé au collège », article paru sur le site des Cahiers pédagogiques le 18 avril 2016.