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Vers plus de compétences en acrosport

Cet article témoigne du passage d’une forme de pratique à une autre, dans l’optique de permettre à un maximum d’élèves de devenir plus compétents dans l’activité acrosport, en lycée.

Les élèves de 2de de notre lycée sont issus soit des collèges du sud d’Amiens, soit des communes des environs. Les deux types de population, rurale et urbaine, se remarquent dans les classes par leur hétérogénéité, tant sur le plan des savoir-faire que des savoir-être. Le vécu dans la discipline EPS est sensiblement différent selon l’établissement d’origine. Le niveau « perçu » est assez moyen, les élèves en difficulté se découragent rapidement, les élèves sportifs sont plutôt discrets.

Pour ces classes, nous avons fait le choix d’une double exigence : celle de l’engagement physique par l’augmentation globale du temps de travail et celle du savoir « vivre ensemble », avec la valorisation du travail à plusieurs.

Cette année, dans le cadre de la réforme du lycée, nous essayons de faire évoluer nos formes de pratique, pour permettre à un plus grand nombre d’élèves de valider réellement le niveau de compétences fixé par les programmes.

La compétence de niveau 3

« Composer et présenter une chorégraphie gymnique constituée au minimum de quatre figures différentes et d’éléments de liaison, pour la réaliser collectivement, en assurant la stabilité des figures et la sécurité lors des phases de montage-démontage. Chaque élève est confronté aux rôles de porteur et voltigeur. Les formations sollicitent des effectifs différents d’élèves (duo, trio…). Juger consiste à identifier les différents types de figures et valider les critères de stabilité et de sécurité. »

Les éléments de la tâche complexe présents dans le libellé de la compétence

  • une quadruple commande : composer, présenter, réaliser collectivement, juger ;
  • un contenu : un enchainement d’au moins quatre figures différentes sollicitant des effectifs différents ;
  • des exigences techniques : stabilité et sécurité des figures ;
  • des exigences de rôle pour chaque élève : porteur, voltigeur, juge.

A. Les choix retenus lors des deux premières années de fonctionnement

A.1. Les compléments à la tâche complexe, relatifs aux visées éducatives des classes de seconde

Le savoir « vivre ensemble » :

  • un nombre important d’élèves composent le groupe : six ;
  • l’obligation de changer de partenaire entre chaque figure ;
  • l’obligation de réaliser une figure avec l’ensemble des gymnastes du groupe ;
  • les filles et les garçons travaillent ensemble, le groupe est mixte.

​L’engagement physique : le groupe choisit entre deux scénarios de travail :

  • un scénario « sportif », axé davantage sur la performance en réalisant des figures difficiles nécessitant un engagement physique important pour réussir au moins six tableaux en une minute et quinze secondes ;
  • un scénario « santé », axé plus sur la maitrise demandant un engagement physique sur la durée en présentant au moins huit tableaux en moins d’une minute et quarante-cinq secondes1.

Situation complexe présentée aux élèves :

A.2. Trois critères d’évaluation :

  • le nombre de figures réalisées dans le temps imparti, noté sur 15 points : les figures sont comptabilisées si elles sont stables, c’est-à-dire présentées avec une immobilité totale de trois secondes. La figure a une valeur initiale qui peut être amputée de moitié pour une faute moyenne (hésitation, replacement léger des appuis…) ou en totalité pour une faute importante (point d’appui au milieu du dos, chute, précipitation, impulsion sur le porteur…). La note est proportionnelle au nombre de points cumulés à la présentation des figures ;
  • le nombre d’exigences, noté sur 3 points : toutes les exigences sont à présenter, une pénalité de 1 point est attribuée par oubli ;
  • la régularité de l’engagement, noté sur 2 points : elle est estimée individuellement, en demi-point sur une échelle de 0 à 2 points en fonction du comportement observé dans le groupe de travail. Le zéro est attribué à un élève qui ne fait aucun effort ou qui est perturbateur, le 2 à un élève engagé sur l’ensemble des leçons et moteur pour le groupe.

Ce que validaient les critères dans la compétence

  • Le rapport entre le temps et le nombre de figures valide la sécurité lors des phases de montage et de démontage, puisque le paradoxe immobilité et rapidité oriente les réalisations sur la précision des appuis et des placements.
  • La rapidité recherchée valide indirectement une partie du « présenter » de la compétence, puisque les gestes parasites (se recoiffer, parler, se rhabiller…) diminuent la concentration et augmentent le temps de réalisation. Elle valide également et indirectement une partie du « composer » de la compétence, puisque le choix de l’ordre des figures a une incidence sur le temps global réalisé.
  • Le critère du « nombre d’exigences » valide en partie le « composer » de la compétence, parce qu’il vérifie l’intégration des exigences, mais ne nous renseigne pas sur les justifications des choix de composition.
  • Le critère de « la régularité de l’engagement » ne participe pas directement à la validation de la compétence, il permet de valoriser une attitude porteuse de progrès.
  • Le temps apparait comme un critère pertinent, pondéré, mais non indépendant, parce qu’il valide plusieurs aspects de la compétence. La validation ne peut donc pas reposer sur ce seul critère.

Ce qui m’a interpelé dans le dispositif d’évaluation

La situation complexe choisie permet d’inférer la validation de la compétence, mais c’est une validation pour le groupe qui ne garantit pas la construction de la compétence chez tous les gymnastes du groupe. D’ailleurs, les groupes qui réussissent sont les groupes avec un leadeur positif qui décide et organise, le plus souvent une fille. La validation du « composer » en revient donc à un élément du groupe pour l’ensemble. C’est une validation égalitaire à priori, mais inéquitable le plus souvent, puisque dans certains groupes, la personnalité de leadeur ne s’impose pas, ou, au contraire, plusieurs individualités s’opposent.

La réponse à la situation complexe se construit durant les trois leçons qui précèdent l’évaluation sommative. L’effort de mobilisation se dilue dans le temps, les discussions prévalent sur l’action et les résultats ne sont pas toujours proportionnels à l’investissement. C’est en contradiction avec les écrits qui nous éclairent sur la notion de compétence. Gérard Scallon conseille de « concevoir des situations dont le traitement est d’une durée limitée, pour laisser de la place à plusieurs situations d’une même famille au lieu d’une seule2 ». Ce point de vue rejoint celui de « la règle des deux tiers », c’est-à-dire qu’il s’agit de donner à l’élève au moins trois occasions indépendantes l’une de l’autre de démontrer sa compétence. On considère qu’un élève maitrise, s’il réussit au moins deux des trois occasions qui lui sont offertes, le droit à l’erreur est permis.

Ce qui m’a interpelé dans le dispositif d’apprentissage

Le cycle d’apprentissage se déroule sur neuf leçons de une heure quarante effective et, classiquement, en deux phases.

La première concerne la découverte des figures, la deuxième est centrée sur l’élaboration de l’enchainement.

Même si, au cours de la première, le concept d’enchainement est abordé, les notions centrales de « composer », « présenter » et « juger » de la compétence ne font pas l’objet d’un réel apprentissage. Pourtant, la mobilisation des ressources devrait être développée parallèlement à leur maitrise graduelle.

B. Les nouveaux choix

À partir de ces réflexions et constats, j’envisage d’aborder l’acrosport différemment. Je choisis comme situation complexe la construction de mini-enchainements de trois figures. Je garde le critère du « temps minimum de réalisation » pour valider la sécurité des montages et démontages des figures.

La compétence se développe progressivement, grâce à des commandes différentes au fil des leçons. Ces constructions sont réalisées par quatre gymnastes, menés par un apprenti chorégraphe et jugés par un apprenti juge. Cette structure se répète trois fois, de façon à ce que chacun tienne un des deux rôles organisateurs pour le groupe.

Un exemple :

La forme de pratique retenue pour l’évaluation de fin de cycle laisse plus de place à l’incertitude :

  • des groupes de six élèves, formés par tirage au sort « guidé » à des fins d’équité ;
  • présentation de trois mini-enchainements de trois figures, avec un tirage au sort de la contrainte à respecter pour le choix des figures. Par exemple : « trois postures différentes de porteur », « trois figures sollicitant le groupe musculaire des abdos-lombaires », « trois trios » ;
  • chaque présentation est prise en charge par un chorégraphe et un juge référents d’un groupe de quatre gymnastes.

L’incertitude est ici garante de la mobilisation à bon escient des ressources intégrées progressivement au fil des leçons.

Pour conclure, ce travail par compétences, encore en phase expérimentale, semble ouvrir des perspectives intéressantes dans la formation des lycéens. Il permet assurément d’intégrer positivement les rôles sociaux de juge et de chorégraphe aux apprentissages moteurs.

L’approche par compétences m’a invité à interroger l’activité acrosport sous un angle nouveau et m’a guidé vers de nouvelles formes de pratique. Ces formes sont-elles envisageables pour les examens certificatifs d’EPS ? Peuvent-elles remplacer nos chères grilles d’évaluation « multi-cases », coupeuses de points en quatre ?

Martine Winckels-Panchen
Professeure d’EPS au lycée Thuillier d’Amiens

Notes
  1. Un tableau mobilise l’ensemble des élèves : un groupe de six peut présenter par exemple un tableau de deux trios ou de trois duos.
  2. Gérard Scallon, L’évaluation des apprentissages dans une approche par compétences, Éditions du Renouveau Pédagogique.