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Valides ou non : tous vers la même compétence

En septembre dernier, Michel Bonhoure a reçu des mains de Roger Bambuck, ancien Ministre des Sports et athlète titré, une légion d’honneur pour récompenser son action auprès des élèves en situation de handicap. « Cela n’a pas changé fondamentalement ma vie. Je l’ai pris comme une reconnaissance du travail que font tous les jours les enseignants d’EPS ». La cérémonie qui s’est déroulée dans son collège, dans la salle de sport où il enseigne depuis 2001, lui est allée droit au cœur, aux côtés d’un champion qui a beaucoup œuvré pour l’ASH, l’Adaptation Scolaire et la Scolarisation des élèves Handicapés. Nul hasard dans la distinction choisie par d’autres que lui, la préoccupation de l’inclusion est une constante dans le parcours de cet enseignant qui dès le CAPEPS a choisi l’option rééducation.
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Comment permettre l’acquisition des compétences mentionnées dans le programme d’EPS à des élèves en situation de handicap ? : « On part de ce que la personne peut faire et non de ce qu’elle ne peut pas faire » souligne l’enseignant. Il prend comme exemple la natation : « Se déplacer dans l’eau de façon sécuritaire » est une compétence à acquérir. Elle sera évaluée sans tenir compte de la vitesse ou des techniques de nage mais en faisant attention à l’allongement ou encore à la respiration aquatique. Idem pour la mise à l’eau, le plongeon n’est pas indispensable, ce qui est regardé c’est le fait de rentrer dans l’eau avec une technique adaptée. A chaque pratique sportive, les questions sont les mêmes : « Qu’est-ce qu’on enseigne vraiment, qu’est-ce qu’on attend de l’élève, qu’est-ce qu’il apprend ? » avec un principe de base « On apprend la même chose mais pas de la même manière. C’est le traitement de l’activité qui est important. On retrace le chemin qui relie à la compétence ».

L’inclusion est aussi, et surtout, affaire de pédagogie et de travail en équipe. Avec la loi de 2005, l’école est passée de la perspective d’intégration où l’enfant doit s’adapter à l’école à l’impératif de mettre en place des dispositifs particuliers compensant le handicap pour permettre l’acquisition des savoirs et savoirs-faire énoncés par les programmes. Au collège Triolo, Michel Bonhoure bénéficie d’une décharge de 6 h pour assurer la mission de coordonnateur handicap et assure le suivi scolaire dans son ensemble des élèves en situation de handicap. Dans ce collège, trois dispositifs sont mis en place pour permettre à tous de progresser. Les élèves handicapés moteurs ne rencontrant aucune difficulté dans l’acquisition des savoirs sont inclus dans une classe ordinaire avec, le cas échéant, à leur côté un assistant de vie scolaire (AVS). Une ULIS accueille les enfants présentant un retard scolaire important dans une ou plusieurs matières. Ils sont accompagnés de manière individuelle ou collective pour renforcer leurs compétences ou en acquérir de nouvelles. Enfin, le dispositif « MP » (Milieu protégé), concerne les collégiens qui souffrent de pathologies ralentissant leurs apprentissages même s’ils sont scolarisés dans le niveau correspondant à leur âge. En français, histoire-géographie, mathématiques, anglais et EPS, les cours sont coanimés ce qui permet l’organisation de groupes de besoins mêlant valides et non valides, ou encore de scinder la classe en deux, selon les moments, les activités proposées.
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« La coanimation a fait changer les pratiques pédagogiques dans l’établissement. On n’est plus le seul propriétaire de son cours mais on le partage, ce qui permet des pratiques innovantes » témoigne Michel Bonhoure. Il raconte les compétences des enseignants mises en commun pour créer des situations fines, adaptées aux élèves en situation de handicap et qui sont réinvesties pour l’ensemble de la communauté scolaire. Ces pratiques se basent sur un volontariat suscité par des temps collectifs de sensibilisation et d’information sur les pathologies, organisés en début d’année. Des personnels paramédicaux interviennent, orthophonistes, ergothérapeutes ou encore kinés pour expliquer et répondre aux interrogations. Les élèves aussi sont sensibilisés pour arriver à se connaitre, à comprendre ce que vit l’autre. En sixième, des actions sont organisées dès la deuxième ou troisième semaine de cours. Pour les autres classes, la journée mondiale du handicap est l’occasion d’organiser des jeux, des forums, des pièces de théâtre. « Connaître les différences des autres permet d’avoir moins peur » souligne l’enseignant. L’arrivée d’un enfant en situation de handicap dans la classe est préparée et accompagnée. Pourquoi aura-t-il un AVS, et pourquoi des aménagements lors des évaluations et examens ? Aucune question n’est éludée pour ne pas laisser poindre un sentiment d’injustice surtout lorsque le handicap est invisible. L’accueil est préparé aussi du côté de l’équipe éducative pour mettre en place un PPS (projet personnalisé de scolarisation). Les AVS bénéficient eux aussi d’une formation, d’un accompagnement et même d’un protocole retraçant leur rôle et ses limites.

Toutes les trois semaines, des réunions sont organisées, associant chef d’établissement, coordonnateur handicap, coordonnateur ULIS, représentant de l’IEM (Institut d’Education Motrice), infirmière, enseignants et parents. Ce suivi transversal est fondamental pour favoriser la régulation d’un parcours scolaire parfois heurté par les manifestations de la pathologie. « Une opération peut arriver ou alors la fatigue ou une mauvaise réaction à un traitement. Si on ne régule pas de façon collégiale, la scolarisation de l’enfant perd de sa cohérence. Tout est ainsi mis en œuvre pour que l’élève garde sa place au sein du collège.» Certes, le collège Triolo a été placé dès sa création en 1976 sous le signe de l’inclusion des élèves handicapés. Son projet d’établissement en porte encore la trace avec comme premier point « assurer tout au long de la scolarité l’accompagnement des élèves en situation de handicap et en difficultés ». Plus de 10% des effectifs accueillis sont en situation de handicap. Dans certaines classes, on compte cinq AVS. L’inclusion est une véritable culture d’établissement dans un collège où des lieux sont aménagés pour que les élèves puissent recevoir des soins pendant leurs heures de permanence. Ce que raconte Michel Bonhoure de cette expérience va toutefois au-delà de la circonférence d’un lieu pensé et animé dans le sens de la loi de 2005. La différence comme un levier pédagogique est une donnée qui partout peut-être partagée. Les parents des enfants valides ne s’en plaignent guère dans un collège où les moyens accordés permettent le développement d’une approche pédagogique en groupes de besoins qui favorisent la réussite de chacun. L’approche transversale renforce la cohésion des équipes et un lien entre les apprentissages et les compétences.

Et même si Michel Bonhoure s’étonne encore de sa Légion d’Honneur, son récit donne mille fois raisons à ceux qui saluent une obstination à regarder les chemins de l’apprentissage comme une voie d’accès pour tous à la compétence. La construction d’un avenir où chacun a sa place est une affaire collective où l’imagination pédagogique tient lieu de sésame.

Monique Royer