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Vingt ans durant, il a travaillé au sein du réseau Ritimo, regroupant en France des organisations mobilisées pour la solidarité internationale et le développement durable dans une optique d’information et de mutualisation. Il a coordonné des projets où l’éducation était constamment de mise, en lien souvent avec des établissements scolaires. Petit à petit, l’idée d’enseigner germe dans son esprit. Il se lance progressivement d’abord comme responsable pédagogique d’un Master actions humanitaires puis comme contractuel en lycée, chaque fois à mi-temps, en gardant un pied à Ritimo, afin d’éprouver son choix à la réalité du quotidien professionnel, « d’arriver tout doucement vers ce à quoi je m’engageais ». Il franchit définitivement le pas en passant le concours il y a deux ans. Depuis la rentrée 2019, il a posé son sac au lycée Edouard Herriot de Voiron. «Les raisons sont sans doute profondes. Le thème de l’éducation a marqué toute ma vie, en travaillant sur les questions de l’éducation à la solidarité internationale chez Ritimo. Et puis, sans doute ai-je eu envie de rendre à l’éducation ce qu’elle m’avait donné. J’ai étudié très tard alors que mes parents n’ont pas été très loin à l’école ». Il a choisi le lycée plus que l’université pour la simplicité des relations et la préoccupation constante de la réussite des élèves. Il place en exergue de son approche pédagogique le constat confié par son ancien président, féru de pédagogie, « On enseigne ce que l’on est ». Ce qu’il est passe par des engagements multiples envers les autres, ceux d’ailleurs, de pays tiers et souvent du Sud, en tant que salarié et militant. Il a étudié en Afrique, s’est engagé auprès de l’association Survie qui se mobilise contre les travers de la Françafrique. Il est parti un an avec sa famille en mission au Pérou. Aujourd’hui, dans le cadre du réseau Welcome, il accueille chez lui des demandeurs d’asile.

Alors, ses cours s’illustrent d’anecdotes tirées de son expérience. Les disciplines qu’il enseigne en section STMG (sciences et technologies du management et de la gestion) s’y prêtent. « Je suis astreint à un programme mais je mentionne régulièrement des expériences dans une approche interculturelle en proposant des comparaisons avec d’autres cultures qu’elles soient lointaines ou proches. » Les élèves curieux, sont ravis de ces récits, des fenêtres qu’ils ouvrent de façon incarnée, des relations qu’ils instaurent avec leur enseignant. « J’aime bien dire qui je suis sans raconter pour cela ma vie et connaître en retour les centres d’intérêts des élèves, susciter la proximité, casser cette barrière encore très forte en France. » Il apprécie son nouveau statut de titulaire pour s’installer dans la durée, construire des projets avec des collègues sur le thème de la solidarité internationale. Un événement autour de la migration dans son établissement est à l’étude avec une exposition, une pièce de théâtre et peut-être un projet au Maghreb. Sa connaissance du montage des dossiers, des portes auxquelles frapper et des sources de financement est précieuse. « L’école est un espace où on peut développer ce type de projet. L’institution pousse dans cette direction, les collègues sont réceptifs à l’idée d’ouvrir les élèves à d’autres choses ».

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Il a tant à raconter sur les parcours des migrants qu’il accueille aujourd’hui ou qu’il a rencontrés lors de ses séjours en Afrique et en Amérique du Sud. Les cours ne suffisent pas, ne sont pas le lieu pour développer les récits qui se résument alors à des anecdotes illustrant le cours. Et puis, il y a le désir d’écrire qui le taraude depuis longtemps et a pu se réaliser lorsqu’il a changé de métier. « Je me demandais comment on faisait pour écrire un livre. Les personnes que j’ai interrogées m’ont dit qu’il n’y avait pas de méthode particulière. Je me suis lancé, je teste mes capacités à écrire car cela exige de la discipline et des qualités rédactionnelles. » Il écrit sur le thème de son engagement, celui de la migration. Son premier roman, Petit go, est achevé[[Petit Go peut être commandé auprès de l’éditeur https://editionsthot.com/catalogue/livres-en-souscription/petit-go.]]. Il raconte le parcours d’un jeune ivoirien jusqu’en Europe, inspiré par des récits recueillis et en particulier celui raconté par le premier migrant venu passer un mois chez lui. Il était chauffeur de taxi et s’est fait voler sa voiture. Il a dû fuir son pays, menacé de mort par le propriétaire du véhicule, un haut gradé militaire. Il n’a pas tout raconté, taisant le trajet jusqu’au départ de Lybie. David Delhommeau a puisé dans d’autres récits, dans des documents, les éléments pour étayer cette partie. Il n’a pas tout retranscrit tant les horreurs rapportées pouvaient paraître invraisemblables. Il a commencé un deuxième roman autour de l’histoire de la dictature de Dadis Camara, président fantasque de la Guinée, dont les frasques étaient diffusées sur YouTube et moquées. « Un guinéen reçu il y a quelques mois m’a raconté l’histoire de ce dictateur, presque une caricature. Je suis allé voir les vidéos et je me suis dit qu’il y avait là une histoire à raconter en lien avec la Françafrique. »

Il envisage l’écriture avant tout comme une aventure littéraire. Son roman n’est pas un témoignage pourtant, il est sollicité par des associations pour venir parler des migrations. Il ne souhaite pas parler à la place de, préférant témoigner sur l’accueil des migrants en France, ce formidable élan de solidarité que l’on constate partout, en contraste avec la froideur frisant l’inhumanité de l’État. « Nous sommes plusieurs familles à nous relayer dans mon village de Chartreuse pour accueillir tour à tour pendant un mois un migrant. Régulièrement on apprend qu’il se passe la même chose dans un village pas loin. Le nombre de personnes impliquées, y compris chez les enseignants est impressionnant. La solidarité fonctionne mais elle n’est pas visible ». Le réseau Welcome, en favorisant les passages de relais dans un groupe de familles, permet un engagement pour ceux qui n’osaient pas, avaient peur d’un hébergement de longue durée. L’hospitalité implique un partage de l’intime, une dimension interculturelle au quotidien. Ce n’est pas si simple alors, savoir que la durée est limitée, que l’expérience pourra se renouveler, facilite l’engagement de ceux qui veulent agir concrètement pour ne pas laisser des gens vivre dans la rue. « Tous les migrants ne parlent pas de leur trajet. Ils sont plus ou moins bavards. Mais on sait que ce qu’ils ont vécu est terrible, qu’ils ont fui quelque chose ». L’accueil permet aussi de combattre des idées reçues au niveau du voisinage. Par des échanges impromptus ou organisés, le migrant qui vit à côté devient un être humain comme les autres, quitte la cohorte des images envahissantes qui nourrissent la peur de l’étranger pour redevenir un individu dans son intégrité. Il a sa propre histoire, des motifs de fuite et des espoirs qui lui sont particuliers, une famille souvent restée au loin et qui attend de lui une aide mensuelle. Certains ne sont jamais allés à l’école, d’autres sont diplômés. La violence ou la pauvreté, les deux mêlés aussi, les ont poussés à partir. Ils aimeraient se former, trouver un métier, vivre enfin dans de dignes conditions. L’élan de solidarité inclut des cours gratuits, des activités pour ceux qui, en attente du traitement de la demande d’asile, ne peuvent travailler. « Toutes ces histoires, il faut les faire connaître autour de soi, susciter les échanges avec les voisins pour lever les préjugés ». Et là aussi, il est question d’engagement pour que les yeux s’ouvrent, les regards s’humanisent, tout doucement, subrepticement, dans le simple contact au quotidien.

Monique Royer