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Une équipe qui fonctionne

Au collège Sophie-Germain de Nantes, une équipe enseignante expérimente l’interdisciplinarité et la coopération en sciences pour développer l’autonomie et l’engagement des élèves : rencontre avec Stéphane Gort, coordonnateur du projet et enseignant de sciences et technologie.
En quoi consiste votre expérimentation ?

Une partie de l’équipe expérimente depuis de nombreuses années déjà l’EISM (enseignement intégré des sciences et des mathématiques) en classe de 6e. Tous les enseignements scientifiques d’une classe sont dispensés par un même professeur, qu’il soit professeur de sciences physiques, de sciences de la vie et de la Terre, de technologie ou de mathématiques. Les cours sont préparés collectivement, afin que chacun puisse enseigner dans toutes les disciplines suivant une même progression. L’intérêt porte surtout sur le travail autour de compétences communes. En parallèle, le collège a développé une formation à la coopération concentrée en classe de 6e et, depuis la rentrée 2023, des enseignants se sont engagés dans l’expérimentation d’une classe de cycle 4.

Quelles sont pour vous les conditions favorables à l’engagement des élèves dans les apprentissages ?

Il faut en premier lieu que les élèves se sentent en sécurité. Une sécurité intellectuelle d’abord : il faut que les élèves se sentent écoutés. C’est pour cela qu’on joue sur la structure, tout en gardant des habitudes qui rassurent, car les enseignants restent les mêmes. L’équipe sur le projet est stable, ce sont des enseignants qui croient en ce qu’on fait ici collectivement. On favorise aussi la sécurité avec la coopération qui est mise en place en 6e.

Le deuxième point est le développement de l’autonomie et de l’engagement. On est encore en cours de réflexion, mais on est partis des trois axes de Philippe Foray : agir par soi-même, choisir par soi-même, penser par soi-même. On a décliné cela collectivement en échelle descriptive, pour que chacun dans sa discipline puisse guider les élèves vers l’autonomie.

On s’est inspirés aussi de l’approche des enseignants d’éducation physique et sportive. Dans leurs séquences, il y a toujours une articulation entre l’autonomie et l’engagement. Donc, on ne dissocie pas autonomie et engagement.

Comment repérer qu’un élève ne s’engage pas ?

On le voit par des observations répétées en classe : est ce qu’il est concerné par la vie de la classe ? Est ce qu’on l’entend ? Est ce qu’il donne son avis quand il peut le faire ? On ne va pas seulement regarder l’engagement dans le travail, mais dans tous les temps de vie créés dans cette classe, comme le conseil coopératif ou les DVDP (discussions à visées démocratique et philosophique), les débats. Mais aussi lors des moments informels où l’on peut voir l’estime de soi.

Pourquoi la formation à la coopération n’a-t-elle pas suffi à mettre en place de bonnes conditions pour l’engagement des élèves ?

En 6e, tous les élèves suivent une éducation à la coopération, mais, suivant les enseignants, ils ne vivent pas tous la même formation, certaines incohérences peuvent apparaitre. Lors d’un travail coopératif, tout le monde doit pouvoir être engagé et en tirer quelque chose, un apprentissage. Mais après, en classe ordinaire, ce que vivent les élèves, c’est souvent une approche du travail de groupe très classique, avec une répartition des tâches et une focalisation sur la production, sans que l’on relie la situation de travail vécue à l’analyse menée en éducation à la coopération. Puis, dès la 5e, les élèves retrouvent des fonctionnements classiques et nous nous retrouvons avec les mêmes problèmes que ceux qu’on avait évités en 6e grâce à l’éducation à la coopération. On a donc décidé de prolonger l’éducation à la coopération en 5e et 4e. Cela a été possible parce que qu’on a eu une évaluation de l’établissement et que la coopération était un de nos points forts. L’institution a donc levé certains freins et nous a permis de remporter l’adhésion de certains collègues sceptiques.

Pensez-vous que cette organisation aura un impact alors qu’elle ne concerne pas l’ensemble des enseignants de l’établissement ?

Dans la classe de cycle, les douze collègues engagés adhèrent au projet. Certains parce qu’ils ont pu mesurer l’impact du collectif pour résoudre des problèmes qu’ils n’avaient pas réussi à régler, comme le travail à la maison par exemple. Et certains ont déjà travaillé en EISM, ils ont des pratiques et des valeurs très cohérentes. Ce qui signifie que ces élèves auront vécu trois années de collège au minimum avec des pratiques coopératives. On a une forte adhésion des parents.

Le problème qui nous a demandé beaucoup d’énergie l’an dernier, c’est que le chef d’établissement a imposé que les parents choisissent d’inscrire leur enfant dans la classe de cycle. Nous, on voulait que cette classe soit représentative socialement de la population de l’établissement mais toutes les familles n’avaient pas les capacités de ce choix. Notre établissement est très atypique : on a 25 % de familles CSP +, 70 % de classes défavorisées et très peu de classes moyennes. Les enfants de familles CSP + viennent ici pour le projet de l’établissement (coopération, accompagnement, etc.).

Il a donc fallu travailler toute l’année pour recruter des élèves de tous milieux. Et on s’est retrouvés devant le problème qu’il y avait par exemple en 5e trop de demandes de non-boursiers garçons CSP +. On a donc décidé de mettre un nombre de places pour les filles, les garçons, les boursiers, les non-boursiers et de procéder par tirage au sort si besoin. La classe compte cinquante élèves, ce qui pose d’ailleurs des problèmes administratifs, car les logiciels ne sont pas conçus pour cela.

Comment vous avez prévu d’évaluer l’effet de cette organisation sur les apprentissages des élèves ?

Nous avons mis en place les échelles descriptives par domaines du socle et non par discipline, ce qui nous a permis de constater un effet de nivèlement. Pour les élèves les plus performants, on voit un plafonnement : ils sont tout de suite dès la 6e sur le niveau « excellente maitrise », mais ils stagnent en 5e, progressent un peu en 4e et puis stagnent de nouveau en 3e. Notre hypothèse est qu’on ne leur propose pas des tâches suffisamment complexes pour qu’ils travaillent à des niveaux d’excellente maitrise, comme ils seraient capables de le faire. Un des objectifs de la classe de cycle est de permettre à ces élèves d’aller très tôt se tester sur des niveaux de maitrise satisfaisante ou d’excellente maitrise de fin de cycle. On va les laisser choisir le niveau où ils veulent travailler, se tester, et s’ils n’y arrivent pas ils pourront toujours redescendre. À l’inverse, est-ce que des élèves en fragilité vont progresser davantage ? C’est ce qu’on va essayer de mesurer.

Notre deuxième indicateur est la capacité à s’exprimer, à parler de soi, dans un objectif de développement personnel évidemment, mais aussi pour le parcours avenir, pour qu’ils puissent faire des choix d’orientation plus éclairés. C’est une des autres dimensions qu’on a mises en avant dans le projet.

On y est parvenus ponctuellement dans les groupes d’accompagnement personnalisé. J’ai eu par exemple une élève qui a terminé son collège avec une excellente maitrise partout et qui est partie en Bac pro bois, parce que c’est ce qu’elle voulait. On lui a dit qu’elle pouvait faire autre chose, elle a été capable de choisir. Beaucoup trop d’élèves vont dans des filières sans savoir ce qu’ils vont y faire. Pour choisir, il faut déjà avoir une idée de qui on est et de ce qui nous intéresse vraiment.

Vous avez des aménagements prévus au niveau de l’espace, des locaux ?

Pour l’instant aucun. Par contre, dans le cadre de l’expérimentation, on va avoir une formation « espace et pédagogie », pour découvrir comment adapter les espaces de nos classes pour maximiser le développement de l’autonomie. On a déjà des pistes, mais la formation va permettre de le travailler collectivement. Et puis on a déposé un projet CNR (Conseil national de la refondation) « Notre école, faisons-la ensemble » pour l’achat de mobilier, de matériel, dans l’idée d’un aménagement un peu flexible.

Par exemple, pour avoir dans la salle des pôles différents : un pôle pour travailler individuellement, un pôle pour expérimenter, mais que ce ne soit pas figé, que ça puisse revenir dans des configurations plus classiques pour ne pas condamner des espaces. Avoir six à sept tableaux au mur pour des moments de classe mutuelle. Certains aménagent les espaces et cherchent ensuite à changer leur pratique, nous on fait d’abord bouger notre pédagogie et verra après ce dont on a besoin pour la faire fonctionner.

En quoi votre organisation va-t-elle permettre une augmentation de ce qu’on appelle le temps de fréquentation du savoir ?

Chaque élève va être exposé un temps plus long au savoir. Nous avons déjà engagé une réflexion sur les temps de travail personnalisés, elle va se concrétiser dans la classe de cycle. Il s’agit de trouver l’équilibre entre le collectif et l’individuel avec des structures et des façons de fonctionner bien différentes.

Quels sont les freins à la mise en place d’un tel projet et quels sont les points d’appui ?

Il faudrait un peu plus d’indulgence dans les équipes, accepter la diversité des approches et le droit à l’expérimentation. C’est parfois violent de la part des opposants au projet. Au niveau administratif, les outils ne sont pas prévus, il est impossible par exemple de programmer le LSU (Livret scolaire unique) avec nos entrées par domaines du socle, on est obligé de rester sur des entrées disciplinaires. Au niveau des programmes, suivant les disciplines, ils ne sont pas tous écrits par cycle ou par domaines du socle.

Par contre, nous ne sommes pas les premiers à expérimenter une classe de cycle. Nous communiquons avec les établissements qui ont déjà de l’expérience et qui font des trucs super dans leur coin. On échange par mail, sur les réseaux sociaux ou par téléphone, on se soutient. C’est très encourageant et motivant !

Propos recueillis par Sylvie Grau

Une classe de cycle, pourquoi ?

« Pour garantir des progrès pour tous : définir des objectifs atteignables pour tous, permettre aux élèves perdus de continuer à progresser en s’appuyant sur leurs savoirs et savoir-faire, quitte à avancer moins vite, encourager les apprentissages vicariants − issus de l’observation du travail de ses pairs − et favoriser l’engagement dans des projets personnels ambitieux aux élèves déjà d’un très bon niveau. Mais aussi pour favoriser l’autonomie des élèves et valoriser leurs particularités et leur singularité : les laisser maitres de leurs actes, de leurs choix et de leur pensée. » (Héloïse Pacteau, professeure d’arts plastiques)

« Pour moi, la classe de cycle va permettre aux élèves de s’enrichir de toutes leurs différences, de susciter curiosité et motivation, de réduire les comparaisons entre élèves, d’établir des objectifs d’apprentissage personnels, d’améliorer la connaissance de soi grâce aux interactions avec des pairs plus âgés et plus jeunes. J’espère qu’ils vont ainsi pouvoir développer leur autonomie et mettre à profit leur capacité de travailler en groupe. Le frein que je rencontre, c’est qu’il m’est difficile de repenser totalement mon enseignement, de penser à la structure, à la façon dont cela doit s’organiser, à la multitude d’activités variées à produire. » (Morgane Durocher, professeure de sciences de la vie et de la Terre)

« Depuis que la notion de cycle a été bien définie pour l’enseignement du français au collège, c’est-à-dire depuis la parution des programmes de la réforme de 2016, je ne donnais plus de sens à l’annualisation des apprentissages en trois niveaux d’attente. Pourquoi empêcher un élève d’accéder aux apprentissages d’un âge supérieur si celui-ci est compétent pour les aborder ? De plus, l’entrée dans les programmes de français par parcours, par questionnements obligatoires, ne prend son sens que si on permet à l’élève d’en explorer tous les aspects, sans que celui-ci se sente freiné par son âge. À mon sens, l’organisation de l’enseignement du français en classe de cycle est la mise en œuvre concrète de ce que préconisent les programmes. » (Véronique Camus, professeure de français)

« Ce que j’espère des classes de cycle ? Qu’une progression spiralée sur trois ans permette une meilleure appropriation des notions ; que suivre les élèves sur trois ans permette une meilleure adéquation entre niveaux des exercices proposés et niveau de l’élève (chacun reprendra là où il en était l’année précédente) ; un meilleur suivi et une évaluation plus pertinente ; des relations fortes avec moi, au service des apprentissages et de l’épanouissement de tous ; des débuts d’années facilités par le fait que la majorité de la classe connait déjà mon organisation et mes attentes ; une belle aventure avec les collègues de l’équipe de classe de cycle. Ce projet m’a déjà apporté un sentiment d’aboutissement de mon travail d’enseignant (je suis beaucoup plus proche de la fin de ma carrière que du début), dans la mesure où j’essaye d’intégrer à mon enseignement en classe de cycle le meilleur de ce que j’ai pu faire auparavant. Des questions demeurent, en particulier pour que l’organisation en plan de travail et en évaluation à la carte soient efficaces : les élèves devront faire preuve d’autonomie. Comment développer cette autonomie ? Comment l’évaluer ? » (Jean-Philippe Rouquès, professeur de mathématiques)


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