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Un homme dans l’espace : la science n’est plus ce qu’elle était !

Avril 1961. Le lieutenant Youri Gagarine, à bord de la capsule Vostok 1, effectue le premier vol orbital autour de la Terre. À son retour, il est fêté en héros de l’Union soviétique et de la science mondiale. Jeannette Vermeersch, cadre du parti communiste français, célèbre l’évènement en affirmant : « Aujourd’hui, c’est la fête de l’Ascension. Ce n’est pas l’ascension d’un être supposé, inventé, miraculeusement envolé. Non, c’est un robuste et beau jeune homme communiste qui est monté plus haut que le ciel ! » Certains rapportent que Gagarine aurait déclaré depuis la capsule ou lors d’une conférence de presse, à son retour : « Dieu n’existe pas, je ne l’ai pas rencontré. » Cependant, aucune source ne confirme l’existence de cette déclaration, il semble que ce soit une invention de Khrouchtchev. La frontière entre la science et la propagande était dépassée depuis longtemps, mais le succès de cette formule disait tout simplement : nous entrons dans un monde où la science donnera le sens de l’avenir. Plus prosaïques, les Cahiers pédagogiques ouvrent un dossier centré sur l’enseignement des sciences naturelles ! On y lit de nombreux textes qui défendent un enseignement actif centré sur la démarche scientifique, voire la « démarche expérimentale ». L’un des plus savoureux est celui d’André Gribenski, professeur au lycée Henri-IV, dont la lecture nous renvoie à un contexte scolaire assurément bien lointain, où la manipulation de grenouilles devant les élèves en classe ne faisait pas question. Mais les préoccupations de l’auteur quant aux finalités de l’enseignement des sciences naturelles ne sont pas du tout étrangères à celles qui motivent le dossier du présent numéro ! Yannick Mével
Les compositions de sciences naturelles dans les classes terminales

Les professeurs de l’enseignement du second degré sont des maitres à penser ; aussi notre rôle de professeur de sciences naturelles n’est-il pas de faire apprendre des sciences naturelles, il est d’enseigner les méthodes de pensée qui permettent d’acquérir quelques connaissances dans le domaine des sciences naturelles.

Les sujets habituellement proposés, pour les compositions trimestrielles ou au baccalauréat, ne répondent pas exactement au but de notre enseignement ; ils permettent surtout (à supposer que toute fraude soit exclue) d’apprécier et de juger la mémoire de l’élève et, au mieux, si le sujet a été conçu pour cela, son aptitude à composer, c’est-à-dire à grouper intelligemment des connaissances se rapportant à des chapitres différents du cours. Qualités importantes, mais que toutes les disciplines cherchent à développer ; contrôler ces qualités seulement, ce n’est pas vérifier que l’élève a tiré profit de l’étude des sciences naturelles.

Le mieux serait sans doute de réaliser une expérience dont les élèves devraient faire un compte rendu et interpréter les résultats.

Mais il peut n’être pas possible (par exemple, aux examens) de réaliser devant les élèves l’expérience sur laquelle porte la composition ; dans ce cas il faut la décrire, et le sujet prend la forme d’un énoncé de problème, énoncé forcément assez long. En voici un exemple, avec les résultats qu’ils m’ont donnés (classe de mathématiques élémentaires).

C’est ici une composition du deuxième trimestre, faite après l’étude des organes des fonctions de relation, notamment du système nerveux.

Sujet de la composition

« Une grenouille spinale est suspendue, par la mâchoire inférieure, à un crochet.

A. On trempe l’extrémité des doigts de la patte postérieure gauche dans de l’eau légèrement acidulée ; la grenouille fléchit le pied de cette patte, mais les autres parties de la patte ne bougent pas. On lave à l’eau ordinaire les doigts qui avaient été trempés dans l’acide.

B. On augmente un peu la concentration de l’acide et on recommence l’expérience ; la grenouille fléchit alors entièrement la patte (la cuisse fléchit sur le corps, la jambe sur la cuisse, le pied sur la jambe). On lave à nouveau les doigts qui ont été trempés dans l’acide.

C. On augmente encore un peu la concentration de l’acide, et on trempe à nouveau les doigts de la patte postérieure gauche dans l’eau acidulée ; la patte postérieure gauche fléchit comme dans l’expérience B, et la patte postérieure droite fléchit en même temps qu’elle, et de la même façon. On lave les doigts de la patte postérieure gauche, puis, lorsque tout mouvement a pris fin, on trempe dans la même eau acidulée les doigts de la patte postérieure droite ; les deux pattes fléchissent alors, comme précédemment. On lave les doigts de la patte postérieure droite.

D. On sectionne le nerf sciatique gauche dans la cuisse, puis on recommence les expériences du paragraphe C ; en trempant dans l’eau acidulée les doigts de la patte postérieure gauche, il n’y a aucune réaction ; en trempant dans l’eau acidulée les doigts de la patte postérieure droite, on observe que cette patte fléchit entièrement, comme dans l’expérience C ; en même temps, la patte postérieure gauche fléchit en partie : la cuisse fléchit sur le corps, la jambe sur la cuisse, mais le pied reste pendant. On lave les doigts de la patte postérieure droite

E. On détruit la moelle épinière, puis on recommence les mêmes expériences qu’aux paragraphes C et D ; il n’y a plus aucune réaction à la suite de l’excitation des doigts de la patte postérieure gauche, ni après excitation des doigts de la patte postérieure droite.

Les mêmes expériences ont été répétées sur plusieurs grenouilles, et ont permis les mêmes observations.

En utilisant les renseignements fournis par les diverses expériences, représenter, par des schémas annotés (et, s’il y a lieu, brièvement commentés), le trajet de l’influx nerveux (ou arc réflexe) dans les réflexes des expériences A et B. »

Résultats

Un tiers des élèves de la classe environ ont su faire ressortir, par des schémas simples et clairs, la différence entre l’arc réflexe correspondant au réflexe de flexion du pied, et l’arc réflexe correspondant au réflexe de flexion de la jambe de la cuisse : dans le premier, le nerf sciatique est à la fois la voix sensitive et la voix motrice ; dans le second, le nerf sciatique est seulement la voix sensitive, la voix motrice est un autre nerf. Quelques élèves ont donné le schéma d’arc réflexe qui figure habituellement dans les livres, accompagnés ou non de considérations générales et théoriques : de toute façon, cela ne répondait pas à la question posée. Les autres élèves se sont efforcés, avec des fortunes diverses, de raisonner à partir des résultats expérimentaux, pour en dégager la différence des trajets nerveux entre les deux réflexes (flexion du pied et flexion de toute la patte).

Quelques remarques importantes

L’expérience décrite était une expérience réelle : je l’avais faite, afin que les descriptions ne puissent contenir ni impossibilité ni inexactitude ; il s’agit de réfléchir et de raisonner sur du concret et du réel, non sur des constructions de l’esprit. La description d’une expérience doit être précise et minutieuse, de façon à n’omettre aucun détail qui soit nécessaire pour en interpréter les résultats, et de façon à ne contenir aucune ambigüité qui ne se trouve dans les résultats observés eux-mêmes.

Ces considérations étant remplies, une telle composition permet d’apprécier non seulement les connaissances que possèdent les élèves, mais la façon dont ils savent les utiliser pour qu’une expérience ou une observation leur apprenne quelque chose de nouveau ; et je reviens ainsi à mon point de départ, car apprendre à apprendre est le but que nous nous proposons en enseignant les sciences naturelles aux élèves du second degré.

 

André Gribenski

Professeur au lycée Henri-IV, Cahiers pédagogiques n° 27, avril 1961