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Un goût d’inachevé

Il y a eu 30 ministres de l’éducation en tout depuis le début de la 5ème. Seul un ministre (ChristianFouchet) a duré cinq ans, de 62 à 67, c’est-à-dire l’équivalent d’une scolarité du primaire. Sinon la moyenne c’est deux ans…
On peut partager le constat d’Antoine Prost dans son dernier livre (“Du changement dans l’École” – Seuil) qui déplorait le manque de continuité dans l’action éducative. Benoît Hamon sera donc le 31ème ministre.

Que restera t-il de l’action de Vincent Peillon ? A t-il été un bon ministre ? Il est trop tôt pour le dire. Des réformes ont été engagées mais seront elles poursuivies ? Car au-delà de la personne, c’est d’abord la continuité de la politique qui est en jeu. L’élection présidentielle s’est jouée en partie sur la priorité à la jeunesse. Mais la promesse était surtout quantitative (60 000 postes) et destinée à ramener au bercail de la gauche des enseignants qui s’étaient dispersés dans l’élection précédente. Mais sur un plan qualitatif, on ne peut pas dire que François Hollande ait jamais manifesté une appétence particulière pour la pédagogie…

Ministre de la parole et de l’action

Avant de parler du bilan et des enjeux pour la suite, il faut quand même revenir sur l’homme. Enseignant lui-même, formateur, Vincent Peillon connaissait son sujet, il est arrivé au ministère avec une vraie vision et une envergure intellectuelle qui a donné un a priori favorable au moment de sa nomination. Il s’était préparé à la fonction et avait entamé des consultations et négociations dès l’année 2011.
Et puis surtout, il a parlé de pédagogie ! Ses discours étaient revigorants après des années de technocrates et politiciens sans autre horizon que la calculette. Et la notion de “refondation” qu’il a forgée et portée se voulait une synthèse habile entre la nécessaire évolution du système et une référence aux valeurs qui sont au fondement de la République et de la démocratie. Et une réponse aux enjeux du XXIe siècle pour reconstruire une école juste et efficace. Il fut donc un ministre de la parole. La politique a besoin aussi de cet outil pour indiquer le chemin.
Il fut aussi un ministre de l’action car, lorsqu’on regardera dans le rétroviseur on constatera que les chantiers qu’il a engagés sont importants. La loi de programmation et d’orientation est une étape importante et qui peut être féconde. Reste à savoir si l’élan de ce qu’on n’ose plus appeler la refondation sera poursuivi… Et si, au final, il en restera plus qu’une simple restauration.

“Refondation” a été un mot piégé car il a pu susciter de grands espoirs. On a pu reprocher à Vincent Peillon une certaine grandiloquence. Et des réalisations marquées, elles, par des compromis et donc perçues comme trop modestes.
Les compromis ont du d’abord être passés avec Matignon et l’Élysée. C’est Jean-Marc Ayrault qui a, semble t-il, imposé une concertation durant l’été 2012 par crainte de blocages syndicaux, alors que les négociations menées préalablement montraient qu’on aurait pu avancer plus vite. Cela a retardé le calendrier de la refondation qui n’a pu être votée finalement qu’en juin 2013. Et par ricochet, cela a télescopé la réforme des rythmes avec les municipales, et donné des arguments supplémentaires à ceux qui plaidaient pour une concertation de l’ensemble des personnels avant le vote de la loi. Paradoxalement, c’est cette attente qui a favorisé l’expression des postures syndicales et les blocages qui se sont remis en place très vite après la fenêtre de tir du début du quinquennat.

Des pesanteurs

Si le parti socialiste s’était doté dans son projet d’un volet conséquent sur l’éducation, si Vincent Peillon avait travaillé sur les premières mesures, on peut cependant se demander si la mise en œuvre concrète a été vraiment efficace. Autrement dit, le cabinet a-t-il été à la hauteur ? Marqué par un certain turn over, on y retrouve l’éternel poids des technocrates, interchangeables, sûrs d’eux, impatients et peu au fait des subtilités du système. Cela a particulièrement été sensible dans le cas des rythmes scolaires, mais aussi dans le dossier de la formation. Dans ce cas précis, la complexité a été renforcée par la coexistence de deux ministères à part égale. Et c’est le Ministère de l’enseignement supérieur qui a imposé sa loi à un Ministre de l’éducation accaparé par une réforme des rythmes dont on ne soupçonnait pas la difficulté.

On a souvent dénoncé ici-même le poids de la hiérarchie intermédiaire de l’éducation nationale. Ces différentes catégories (inspection, administration centrale, présidents d’université, certains chefs d’établissement) n’ont pas tous intérêt à voir changer l’École. Car cela remettrait en question des “territoires” et aurait des enjeux de pouvoir. Le système a donc une force d’inertie et de résistance qui a bien souvent contribué à l’empilement des dispositifs et même leur perversion. Le maintien d’une partie de cette hiérarchie qui avait appliqué avec zèle et un certain autoritarisme les réformes Darcos et Chatel et en particulier les programmes de 2008 dans le primaire, a contribué aussi à l’agacement des enseignants et notamment des professeurs des écoles.

Car l’autre facteur de blocage qui n’avait peut-être pas été assez apprécié en haut lieu, c’est la “frustration relative” chez les enseignants. Après cinq ans de sarkozysme, de suppression de postes et de rigueur budgétaire, couplé avec un profond sentiment de déclassement, le monde enseignant est plus épuisé et désabusé que désireux de changement. C’est ce sentiment qui l’a emporté et qui a bloqué en grande partie les réformes. D’autant plus que cela se combine avec une impasse économique. Avec la promesse des 60 000 postes durant la campagne, François Hollande avait tout mis sur la table. Et il ne restait plus aucune marge de manœuvre pour une réelle revalorisation pourtant nécessaire. Et pourtant 60 000 postes, si on les rapporte au nombre d’établissements, ça fait juste un (ou deux) enseignants en plus…

Selon toute vraisemblance, Vincent Peillon, à qui l’Élysée reprochait sa gestion du dossier des rythmes, ne voulait poursuivre qu’à la condition que le pacte de responsabilité n’affecte pas la programmation et les fameux 60000 postes. Il n’aurait pas, semble t-il, obtenu cette garantie. Dans le contexte plus global de la sanction de la politique du gouvernement, cela n’en est que plus inquiétant. On peut penser aussi que les résultats aux municipales n’enterrent, à coup de dérogations et d’aménagements, la réforme des rythmes. Mais voulait-il vraiment rester ?

Vers la continuité de l’action

Déception, goût amer, frustration, sentiment d’abandon… Pour les pédagogues convaincus de la nécessité de changer l’école, les sentiments sont nombreux après ce remaniement. Il y a évidemment une déception et une crainte que l’élan déjà entamé par les résistances et la force d’inertie ne se perde complètement. On sait que souvent après une phase de réforme et de tensions, le ministre suivant est nommé pour “pisser sur les braises”(expression de Jack Lang après l’épisode Allègre).

Cela ne préjuge en rien de l’action de Benoît Hamon. On notera que son ministère retrouve le champ de l’enseignement supérieur qui n’avait pas été accordé à son prédécesseur. Cela peut permettre de relancer une meilleure coordination dans le domaine de la formation. Son passage à l’économie sociale et solidaire l’a peut-être convaincu du rôle clé que peuvent jouer les associations et en particulier dans la mise en œuvre des projets de territoire. Les chantiers ont été ouverts : il faut maintenant mettre en musique les dispositifs et s’assurer de la continuité de l’action. Saura-t-il s’imposer face aux pressions et aux inerties et blocages de toutes sortes ?

On peut surtout espérer qu’au-delà des réformes venues d’en haut, on fasse confiance à la capacité des acteurs de l’école à engager des changements “à bas bruit” dans leurs classes, dans leurs établissements. Changer l’école, comme le disait un vieux slogan bien oublié, c’est ici et maintenant…

Philippe Watrelot