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S’observer pour devenir plus compétent

L’idée d’une évaluation par niveau de compétences n’est pas nouvelle en EPS. Et pourtant, la construction d’un outil d’évaluation formative qui permette un véritable retour réflexif sur les apprentissages de la compétence visée n’est pas si simple. Un exemple dans une activité de rugby en classe de 6e.

J’ai bricolé une fiche d’évaluation reprenant le système des ceintures afin de :

  • permettre à l’élève de se situer dans son degré d’acquisition de la compétence ;
  • lui permettre de se mettre en projet d’apprentissage sur des points non acquis de la compétence ;
  • construire un outil pour échanger sur les ressources nécessaires, afin de réussir un niveau de compétence pour ensuite s’entrainer afin d’améliorer ces ressources.

 

D’abord un outil d’observation…

Chaque séance comportait un temps de match (quatre équipes de six dans la classe) en groupe mixte hétérogène avec observation, d’abord d’une équipe entière (de la deuxième à la quatrième séance), puis d’un joueur de l’équipe (environ à la cinquième séance). J’ai utilisé cette évaluation par ceinture dès la deuxième séance d’un cycle de neuf séances. Au début, je n’ai présenté que la ceinture blanche, puis j’ai progressivement ouvert, de séance en séance, les autres ceintures. L’outil a d’abord été un outil collectif (pour l’équipe) et a permis de réaliser des « débats d’idées » (1) autour du gain ou de la perte du match, en lien avec le nombre de fois où l’équipe a fait avancer ou reculer la balle. Cette mise en relation a permis aux équipes de comprendre la nécessité d’apprendre à ne plus fuir le contact pour gagner et à maitriser ce contact pour ne pas être pénalisé (ne jamais faire mal).

L’outil d’évaluation par ceinture a été ensuite un outil individuel, afin que chaque élève se situe et se mette en projet. Une fiche d’évaluation critériée a alors permis de faire un relevé quantitatif de chaque joueur. Cette fiche reprenait les indicateurs de l’outil « ceinture » et permettait de suivre les progrès, mais aussi les petites régressions. Pour cette fiche de relevé, des critères minimaux ont été retenus :

  1. le respect des règles ;
  2. l’avancée ou le recul de la balle ;
  3. les essais marqués ;
  4. le toucher ou le blocage de l’adversaire.

Puis, pour les meilleurs, un critère de perfectionnement a été introduit : la participation à un relai.

À l’aide de la fiche d’observation, l’outil ceinture a été d’abord rempli par l’élève lui-même, puis par son observateur, puis par l’enseignant après la séance (au début pour quelques élèves, puis pour la classe, avec ou sans l’aide de la vidéo). À partir du constat réalisé en fin de séance précédente, l’outil était redonné en début de séance aux deux élèves (observateur et joueur) avec la question : « Au vu de vos résultats, que faudrait-il que vous amélioriez aujourd’hui ? » Des dispositifs pour acquérir les ressources manquantes étaient alors proposés aux élèves.

qui devient un support précieux pour maitriser la compétence

Tout d’abord, « gagner une ceinture » relance la motivation de chacun. Ensuite, l’utilisation du même outil permet une compréhension plus abstraite de la situation. Il ne s’agit pas seulement de savoir-faire, mais également de connaitre des règles, des principes efficaces de jeu. Un aller-retour s’instaure entre l’action et la réflexion sur l’action, que l’outil seul ne permet pas, mais que l’outil suscite avec d’autres types de questionnements de ma part.

Le recours régulier à la pratique permet d’exercer la compétence avec des contextes évolutifs (les rapports de force des équipes sont en constante évolution, selon les progrès non linéaires des uns et des autres). Chaque utilisation de la fiche donne l’occasion de reposer la question du niveau de compétence acquis et des apprentissages à réaliser pour viser un palier supérieur. L’outil permet une mise en projet. Mais cette mise en projet serait bien insuffisante si elle n’était accompagnée, guidée par des apprentissages de techniques, de répétition de ces techniques en vue de fixer les principes d’action entrevus.

Au fur et à mesure de l’avancée du cycle, la validation devient fiable, les élèves acquérant progressivement une autre compétence : celle d’observateur. Cet outil facilite ainsi un retour réflexif sur ces apprentissages. Cette mise à distance des pratiques pour mieux y revenir participe à la construction de la compétence, en ce sens qu’elle articule les ressources motrices aux ressources cognitives et affectives. L’échange entre deux élèves qui s’observent l’un et l’autre sur des matchs différents se fait dans un mouvement de réciprocité, où le tuteur sera également tutoré par son pair, ce qui permet à certains élèves de travailler leurs qualités d’empathie. Ce qui est valorisé par l’enseignant est le progrès de tous, quel que soit le niveau initial. C’est ainsi que j’ai rajouté la ceinture verte, obtenue uniquement par trois élèves dans la classe, mais visée par six ou sept.

et expliciter les apprentissages réalisés

Ce qui m’a marquée dans cette expérience menée avec une classe de 6e, c’est la capacité de tous à être conscients du niveau acquis et des progrès à effectuer. Pour certains élèves (plutôt des filles, mais aussi quelques garçons de la classe), le monde du rugby était inconnu. Une telle pratique alliant l’action dans un contexte aménagé (mais gardant toute sa complexité) et la conscience de cette action a permis à mes élèves d’accéder à un univers culturel jusqu’alors inaccessible. La compétence acquise va bien plus loin que la seule compétence propre à l’EPS puisqu’elle permet, en sécurité et en confiance, une approche de la sphère corporelle proche d’autrui, une analyse et une mise en mots de la pratique.

Suite à ce premier cycle de rugby, j’ai poursuivi l’expérience et j’ai élaboré un « livret de compétences » gardant la même forme, activité par activité. La référence aux ceintures de couleur a alors permis aux élèves de savoir rapidement ce qui était attendu. Au fur et à mesure, j’ai gagné en temps sur les routines de remplissage de l’outil. En fin d’année, la remise des livrets aux élèves (qu’ils avaient illustrés) m’a permis de percevoir une certaine fierté d’un document rendant compte de leurs progrès.

Je ne voudrais pas que les lecteurs de cet article pensent que « cela fonctionne tout seul ». Cette expérience a connu des moments où l’apprentissage et l’évaluation ont été plus hésitants. Si, d’un point de vue personnel, la construction de cet outil m’a contrainte à réfléchir à la progressivité des apprentissages et à rendre plus accessibles les critères d’évaluation pour tous les élèves, cela n’a pas été un processus linéaire, mais un travail avec de nombreux essais et erreurs.

Cathy Patinet
Professeure d’EPS en collège à Chantilly (Oise)
 ZOOM
Précisions sur la compétence recherchéeLa compétence du programme collège présentée dans cet article est la suivante :« Dans un jeu à effectif réduit et sur un terrain de largeur limitée, contexte donné, rechercher le gain d’un match par des choix pertinents permettant de conserver et de faire avancer le ballon jusqu’à l’en-but adverse face à une défense qui cherche à freiner ou bloquer sa progression. »La formulation de cette compétence rappelle le sens prioritaire de l’activité proposée : la coopération et l’opposition collective nécessitant de nombreuses ressources cognitives, stratégiques, motrices, affectives.

« S’inscrire dans le cadre d’un projet de jeu simple lié à la progression du ballon »

Le texte précise ce qu’il y a à apprendre pour les élèves de ce niveau : « avancer collectivement avec la balle ». « Le projet de jeu » nécessite l’identification, individuelle ou collective des conditions de l’action, de sa réussite ou de son échec pour élaborer un projet d’action et le mettre en œuvre, raisonner avec logique et rigueur, apprécier l’efficacité de ses actions, développer sa persévérance (lien avec le pilier 3 et le pilier 7).

« Respecter les partenaires, les adversaires et les décisions de l’arbitre »

Les programmes d’EPS déclinent, dans la compétence demandée, des aspects méthodologiques et sociaux prioritaires : organiser et assumer des rôles sociaux et des responsabilités par la gestion et l’organisation des pratiques et des apprentissages (lien avec le pilier 6).

Il s’agit bien d’une compétence « spécifique »1 au sens où l’entend Bernard Rey, puisqu’elle est très contextualisée par les règles, le sous-effectif et la configuration du « terrain de largeur limitée ». Mais bien d’autres paramètres agissent pour mobiliser l’adaptation à cette situation. La classe de 6e est mixte au sens sexué et culturel. Certains d’entre eux (plutôt des garçons) ont déjà vécu des expériences de rugby, quand d’autres (plutôt certaines filles) rentrent sur un stade pour la première fois. Mais cette compétence, telle qu’elle est décrite dans les programmes, concourt aussi à une certaine « généralité » dans la capacité à tenir des rôles et à se mettre en projet collectif.

La gestion des ressources affectives est incontournable, à ce niveau, pour acquérir la compétence, car de nombreux élèves appréhendent la chute ou le contact. Pour apprendre à avancer, il faut se sentir protégé dans un contact corporel proche. Jouer en cherchant à ne pas faire mal à l’autre nécessite alors de construire l’attraper par ceinturage et l’accompagnement en touche ou au sol et bannir les percussions, raffuts, et cravatages. Si la compétence recherchée permet à chacune et chacun d’agir de façon adaptée en situation, selon ses ressources propres, certains élèves maitrisent des procédures de base dans l’échange de la balle en mouvement ou dans la capacité à bloquer un adversaire, quand d’autres ne les ont jamais testées, encore moins automatisées. Un détour par l’acquisition des « procédures de base » (ici des techniques de réception- transmission en mouvement et des techniques pour attraper et bloquer l’adversaire) est indispensable pour les élèves les moins expérimentés.

Notes
  1. À distinguer des « compétences spécifiques » plus fermées des anciens programmes de collège en EPS.