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Se rencontrer pour partager la vie, la beauté

Nourdine Bara vit avec les mots et les textes, les fait vivre, les fait apprivoiser dans des lieux qui leur offre la liberté, les fait respirer en prise avec les beautés surprenantes de la vie. Auteur, comédien, metteur en scène, organisateur d’agoras, avec « Cours dehors », il invente et scénographie des rencontres où la culture crée les liens.

Le projet « Cours dehors » est né pendant la crise sanitaire avec l’idée de déconfiner la culture dans une rencontre entre des habitants des différents quartiers de Montpellier, ceux du centre-ville comme ceux de La Paillade, son quartier, celui où il a grandi, un quartier populaire à la réputation entachée. Le principe est simple : sur un thème, un groupe s’engage sur la route avec cinq invités qui attendent sur le parcours pour incarner le thème du jour. « L’idée est de créer un lien commun, de provoquer la rencontre, de la stimuler par le truchement de la culture, de susciter le goût des autres ».

La rencontre, le dialogue entre les participants naissent aussi de la surprise des témoignages dont on ne sait à l’avance ni d’où ils vont surgir, ni par qui ils seront exprimés. Le projet rejoint d’autres idées concrétisées par Nourdine Bara. Dans une boulangerie de La Paillade, il invite à des échanges littéraires, des gourmandises en mots côtoient les pains et les gâteaux et, là aussi, les convives viennent de partout.

« Je spécule que tout le monde a quelque chose de son expérience de vie à partager. La culture, celle du livre entre autres, permet l’équité dans la relation quand il devient le motif d’une rencontre qui se veut moins brutale. Il s’agit d’organiser des rencontres qui affranchissent ceux qui y participent de s’ériger tantôt en inquisiteur ou de se retrouver dans la position de suspect. La culture permet de ne pas précipiter les uns sur les autres, forts de questions souvent d’inspiration médiatique, politique… Une telle approche de l’autre met en danger une rencontre si espérée. » Ce qu’il fuit, ce sont les approches où l’on se met « au chevet des quartiers populaires ». Dans ces quartiers comme ailleurs, la vie pulse. Alors, il cherche à « aller dans le vif de l’émotion, au cœur de l’humain ».

Attention aux jeunes

Il porte une attention particulière aux jeunes, à ce qu’ils vivent dans le climat anxiogène de l’époque, le visage masqué à l’école et avec des cours suivis à distance, « tout pour désenchanter une scolarité ». « Cours dehors » s’adresse en priorité à eux, pour « malgré tout, provoquer quelque chose qui tempère, pour enthousiasmer les gamins et que ni leurs rêves ni leur idée d’avenir ne sombrent ».

La proposition est de déconfiner les cours, de les mettre à l’abri à l’extérieur, cet endroit sécurisé où le virus se propage moins. Il dit n’avoir oublié aucune sortie scolaire et en a retiré la certitude que « ce qu’on apprend dehors est plus durablement ancré en soi ». Il ne se prétend ni enseignant, ni pédagogue. « Je fais de la mise en espace en trouvant une prolongation dans la vie de tous les jours d’un travail scolaire dont il s’agit de ne rien perdre. » Pour une classe du collège des Escholiers de la Mosson, il a imaginé un itinéraire autour du conte avec des interprétations surprenantes. Le vigile du supermarché a raconté des blagues, un rappeur a interprété un texte, une actrice a lu une aventure de Nasreddine Hodja, un habitant a parlé de l’histoire du quartier. « Le plus fabuleux c’est qu’ils découvrent qu’ils sont des êtres culturels, qu’ils habitent d’un quartier culturel avec des habitants qui vivent cette culture. »

Victor, Olympe et Jean-Jacques

Le premier dimanche de mars, cinq lycéens sont venus présenter des textes de l’oral du bac, chacun dans un lieu différent, devant un public venu les écouter ou des passants qui se sont arrêtés pour tendre l’oreille. Rousseau, Olympe de Gouge, Victor Hugo ou encore La Fontaine ont ainsi été lus et commentés. « Un lycéen s’est permis de dire que la fin du roman d’Hugo n’était pas terrible. Ils étaient marrants et impliqués avec une irrévérence prometteuse. Ils ont découvert le seul rapport qui vaille avec la littérature : la passion. »

Il leur a fallu du courage à ces jeunes, pour prendre le micro, parler devant des adultes inconnus. Ils sont venus volontairement, un dimanche, avec l’envie de partager. Ils ont reçu en retour de l’écoute et de la considération. « C’est quelque chose qui fait du bien aussi aux adultes, on attrape à la volée des informations, on retourne à l’école. » Il perçoit la littérature comme un objet de domination que l’on présente de façon cérémonieuse, guindée comme pour impressionner. « Et là, on oublie les quartiers populaires. J’aime l‘idée que le livre ait une place dans nos vies de tous les jours. »

Les déclinaisons de « Cours Dehors », avec l’idée que les thèmes traités soient incarnés par des témoins, sont infinies. « C’est vaste, tout marche. L’extérieur est bienveillant, les gens sont plus preneurs dans la rue de ce genre de spectacle. La rue et la vie sont pourvoyeuses de belles choses. » L’initiative existe depuis un an et demi et est encore au stade du laboratoire. À chaque idée, il va trouver des relais pour la diffuser auprès des jeunes et plus largement des publics intéressés pour assister à ces rencontres.

Une démarche volontaire

Des écoles le contactent aussi, mais pour l’heure c’est principalement l’association « Plume et Compas », créée et dirigée par Marie-Hélène Gosse, qui mobilise un grand nombre d’élèves originaires des quartiers populaires vers ces itinéraires qui auront prochainement pour intervenants des avocats puis des médecins. Des policiers et des pompiers sont déjà venus participer.

Pour chaque thème, c’est une démarche volontaire de venir exprimer à la vue de tous son métier, ses passions, sa façon d’incarner la vie. « Il n’y a pas de sujet casse gueule. Contrairement aux idées reçues, le quartier peut accueillir à peu près tout. Tout se passe bien quand on aborde un sujet avec l’idée d’en tirer le meilleur. »

Cette semaine, des étudiants de l’école supérieure de journalisme vont rencontrer cinq habitants qui nourrissent des relations différentes avec la presse, dont un jeune qui avait été choqué par un article du Monde diplomatique sur la Paillade et avait répondu par une tribune rédigée avec le correspondant du journal local. « Les quartiers populaires sont mal racontés dans les médias car on les connaît mal. » En convoquant la rencontre dans les rues, les cours et les jardins du quartier ou du centre-ville, les idées reçues battent en brèche, la rencontre se vit dans une expérience joyeuse et « chaque cours dehors amène sa leçon de vie ».

Car c’est avant tout cette rencontre que Nourdine Bara veut favoriser, en imaginant en amont les conditions pour qu’elle soit belle et surprenante, en choisissant les intervenants, en les faisant surgir de derrière un arbre, en les plaçant assis sous un abribus ou dans un jardin pédagogique au milieu des chèvres. Amateur du cinéma de Fellini et de Kusturica, il recherche toutes sortes de lieux en excluant ceux empesés de dorures. Il traque la magie dans la ville. Il mise sur les surprises, les inattendus, les impromptus. « C’est la rue, le dehors qui magnifie les choses. » Il souhaite avant tout que chacun décèle la beauté des êtres, des lieux et des textes, marier le tout dans une expérience affranchie des barrières sociales et des à prioris. « Nombreux sont ceux à avoir perdu le rapport juste de ce qui constitue une jeunesse belle, celle des quartiers populaires. Nous, nous allons à l’encontre du récit dangereux selon lequel la jeunesse est perdue. »

Monique Royer

Le site de Nourdine Bara.


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Apprendre dehors

Après les confinements successifs, l’intérêt pour les pratiques d’éducation en plein air est grandissant. Inscrites dans l’histoire de la pédagogie, elles sont non seulement mises en œuvre à l’école, de façon régulière ou lors de sorties de terrain plus ponctuelles, mais aussi dans le périscolaire. Il s’agit dans ce dossier d’interroger ce qui s’apprend de spécifique dehors.