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De retour des rencontres internationales de la classe dehors : vives impressions

Que dire des Rencontres internationales de la classe dehors organisées à la mi-mai 2025 à Marseille ? C’étaient les deuxièmes pour l’autrice, après celles de Poitiers en 2023, qui nous livre un retour en toute subjectivité sur trois journées bien remplies.

Les RICD, c’est d’abord le pari d’un mode d’organisation initié par la Fabrique des communs pédagogiques : « On vous trouve un lieu à Poitiers ou à Marseille, on vous offre un espace en ligne pour déposer ce que vous avez envie de partager et on s’occupe du reste. » C’est cet esprit audacieux nourri de librisme (mouvement favorisant la culture libre et l’accès ouvert à l’information, sans droits d’auteur) et d’une bonne dose de culot – aidé certainement de quelques relations – qui ouvre des portes et offre de la légèreté, dans un contexte où les contraintes administratives et budgétaires étranglent de nombreuses initiatives.

Ce pari comporte des risques et, de sources sûres, à quelques jours de l’ouverture, quelques sueurs froides ont coulé pour permettre la mise en musique générale des différents ateliers. Le programme en ligne n’était pas non plus des plus lisibles pour s’y repérer et s’inscrire. Mais finalement, le numéro d’équilibriste a tenu et les funambules ne sont pas tombés du fil.

Ambiance bouillonnante

Sur place, c’est une formidable ambiance qui se dégage de ce bouillonnement organisé : on croise tour à tour, un médialab, un fablab, des food trucks, des groupes d’adultes en cercles sous un arbre, des élèves en gilet orange, des marcheurs qui en rencontrent d’autres et se saluent amicalement, des siesteurs en pause postprandiale, différents stands (le Frene, l’Office français de la biodiversité, l’éditeur Chroniques sociales, les Cahiers pédagogiques, etc.) permettant des échanges ciblés, un grand espace couvert pour les tables rondes.

Sous le soleil de plomb de Marseille, ce sont des collectifs qui se croisent, qui font ensemble et qui partagent. Les RICD, c’est le murmure de toutes ces voix qui, dispersées dans les différents lieux extérieurs du Parc du 26e Centenaire, de l’Inspé jusqu’en centre-ville, converge en synchronie. Les RICD, ce sont toutes et tous ces utopistes de la transformation écosociale qui, ici et là, discutent, inventent et tentent de reconfigurer les limites des espaces arpentables par les enfants dans les villes et les campagnes, au-delà des murs clos de l’école et de l’encombrement des voitures.

Les RICD, c’est cette opportunité où bruisse la possibilité d’un autre monde, celui où la cause des enfants et de l’école déborde, se répand de l’herbe à la canopée, explose les frontières scolaires et va frapper à la porte de représentants politiques. C’est donc ce moment où celles-ci et ceux-ci, devant tant d’élan, se déplacent et, dans un rare consensus transpartisan, présentent une proposition de loi en gestation pour le droit à une éducation par, avec, dans la nature.

C’est ce moment où on prend conscience des espaces disponibles dans lesquels les enfants et les enseignants peuvent se déplacer à proximité du milieu scolaire : sont-ils propices aux pratiques de classe dehors ? Y en a-t-il suffisamment ? Sont-ils respectueux du droit des enfants à disposer d’un environnement sain, comme la Défenseure des droits nous y enjoint ?

Enjeux

Il y a en jeu le potentiel d’autres rapports de pouvoir, dans et par la réappropriation des espaces, au-delà de la misérabilisation de certains quartiers, comme la redécouverte du ruisseau des Aygalades au nord de Marseille en est un exemple. Il y a en jeu la construction d’une identité écologique à l’intérieur même de l’école. Il y a en jeu un projet de société : prendre en compte l’environnement, la nature, le milieu, le vivant, peu importent les dénominations, dans la formation scolaire, extrascolaire et tout au long de la vie, pour que l’intégration de nos expériences de vie devienne une préoccupation fondamentale.

Les RICD, ce sont ces scientifiques qui sont aux côtés des professionnels de l’éducation sur les différents terrains formels et non formels et qui savent que, pour changer l’école et ses pratiques, il faut d’abord les comprendre et non les prescrire. Ce sont ces instants précieux où l’on croise la stature de Louis Espinassous, le regard vif de Maurice Welhoff, le sourire lumineux de Dominique Cottereau. Ce sont ces passeurs qui nous rappellent que derrière nous, il y a cinquante ans de développement de l’éducation à la nature et l’environnement, qui s’est bâtie souvent avec peu de moyens, des associations aux universités.

Des questions, quand même

Bien sûr, l’esprit critique (toujours) en éveil, on s’y pose des questions à ces RICD : pourquoi ces personnes si motrices lors de la première rencontre de Poitiers ne sont-elles pas présentes ? Comment la table ronde consacrée à la présentation du projet de loi a-t-elle pu être pensée sans que le public ne pose de questions (ce qui a finalement été obtenu !) ? Pourquoi certaines notions – développement durable, classe de découverte, classe dehors, sorties scolaires – s’amalgament-elles ? Que va devenir toute cette documentation réalisée par les participants ? Toute cette matière rassemblée fera-t-elle bien commun ? N’y a-t-il pas parfois trop d’angélisme par rapport au-dehors ?1 Quelles sont les dérives ou les récupérations potentielles ?

Pour autant, les RICD, c’est cette somme d’initiatives qui font sens par concentration de motivation, d’énergie et de vitalité. C’est cet espace-temps ouvert vers l’avenir : celui dans lequel les rapports à soi, aux autres humains, aux vivants non humains, aux éléments auront été nourris d’expériences scolaires vivifiantes et partagées. Pour employer un mot qui fut à la mode il n’y a pas si longtemps : les RICD c’est une certaine idée de la disruption !

Aurélie Zwang
Maitresse de conférences en sciences de l’éducation à l’université de Montpellier
Photos Sébastien Nadaud

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Sur notre librairie

Couverture du numéro 570, « Apprendre dehors »

Notes
  1. Pour rappel, et en augmentation constante, de nombreux adultes et enfants sont « à la rue » et voudraient un digne « dedans ».