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« La classe dehors, c’est aussi une question de santé ! »

©DR

Les parents se mobilisent pour la classe dehors. Après une tribune parue dans Le Monde le 21 mai dernier, c’est une pétition qui vient d’être lancée. Entretien avec Moïna Fauchier Delavigne, parent d’élèves, autrice et membre de la Fabrique des communs pédagogiques, à l’origine de cette initiative.

Pourquoi avoir décidé de mobiliser les parents en faveur de la classe dehors ?

Les parents ont leur rôle à jouer, c’est le principe-même de la coéducation. Il commence à y avoir de plus en plus de parents qui nous disent qu’ils aimeraient que leur enfant sorte, et ne savent pas comment faire pour que la classe dehors se fasse dans l’école de leur enfant, pour que les enseignants aient envie de le faire, s’y autorisent. Mais bien sûr, il ne s’agit pas de convaincre les enseignantes et les enseignants ou de les forcer à quoi que ce soit !

Que dites-vous aux enseignantes et enseignants à travers cette tribune et cette pétition ?

Nous leur disons que nous sommes leurs alliés. On n’exige rien d’eux, mais on exige que le gouvernement et l’État soutiennent les enseignants qui veulent faire classe dehors. Les bénéfices de la classe dehors sont prouvés, personne ne conteste que c’est bon pour la santé et pour les apprentissages, d’ailleurs, la Semaine francophone fin mai et les Rencontres internationales de la classe dehors l’an dernier, se sont déroulées sous le haut patronage du ministère.

Mais ce soutien est encore bien trop limité et reste très variable en fonction des académies, des circonscriptions… Nous disons donc au gouvernement que ça doit devenir une politique publique.

Il faut que les collectivités territoriales s’emparent elles aussi du sujet, parce que c’est également une question d’aménagement, d’accès à des espaces verts, de mobilité, de coordination entre services, de formation. Il faut des territoires plus vivables pour les enfants, pour s’adapter au changement climatique.

Nous voulons aussi dire aux enseignants de ne pas avoir peur de la réaction des parents. Ils sont nombreux à penser que les parents vont bloquer, avoir peur des risques, peur que les enfants se salissent, etc. Mais quand ils présentent leur démarche, la plupart des parents sont en général partants.

Quels sont les leviers d’action ?

La formation ! Les enseignants sont très peu formés, mais ils ont envie d’emmener leurs élèves dehors. Toutes les formations sur la classe dehors sont prises d’assaut, parce qu’il n’y en a pas assez. On parle de la formation continue, mais en formation initiale il y a très peu d’Inspé qui ont intégré la classe dehors dans les maquettes.

Dans la circonscription d’Allonnes, dans la Sarthe, l’IEN (inspecteur de l’Éducation nationale) a soutenu la démarche et proposé des formations. Résultat, 80 % des enseignantes et enseignants de la circonscription s’y sont mis !

Mais, pourquoi est-ce important de faire classe dehors ?

Il y a aujourd’hui une grave crise sanitaire chez les enfants, à la fois sur le plan de la sédentarité et de la souffrance psychique, mentale. On peut pas dire aux parents que l’école n’est pas leur affaire, alors que ce qu’on offre à l’école ne correspond pas à leurs besoins. En tant que parent, on a tout à fait le droit de dire que c’est problématique, que ce qui se passe à l’école aujourd’hui participe à la mauvaise santé des enfants, qui ne font pas assez d’activité physique et sont trop immobiles. Qu’un enfant passe la majeure partie des heures de la journée assis, c’est mauvais pour la santé, c’est l’OMS qui le dit. On peut pas continuer comme ça.

Ce n’est donc pas seulement une question d’éducation et d’apprentissages, mais aussi une question de santé.

Avec la perspective des Jeux olympiques, on parle de la nécessité de faire trente minutes d’activité par jour à l’école, mais qu’est-ce qu’on offre comme possibilités aux enfants pour que s’inscrivent là-dedans ? Ce programme ne bénéficie d’aucun financement, il n’y a pas de formation, et aucune obligation. Quelques enfants le font si leur enseignant est motivé, et c’est bien, mais c’est tout. Les enfants qui ont le plus besoin d’activité physique n’y participent sans doute pas tous. On pourrait profiter de ces trente minutes pour développer aussi le contact avec le vivant et encourager le jeu libre en nature, et non pas enfermés dans une salle de sport.

Justement, quels sont les bénéfices spécifiques de la classe dehors, au-delà de l’activité physique ?

Les enfants ont besoin de vivre des temps réguliers, en contact avec la nature, avec le vivant, avec les éléments. Et il faut que tous les enfants, quelles que soient leurs conditions de vie, puissent vivre ces expériences de nature. Même le tiers des enfants qui ne partent jamais en vacances. C’est d’autant plus important quand on sait à quel point l’école en France reste inégalitaire et qu’apprendre dehors est aussi bénéfique pour les apprentissages et la réussite scolaire.

Dehors, les mouvements sont plus riches, il y a plus d’opportunités, des textures différentes. Ce n’est pas un terrain adapté, comme une salle de sport toute plate. Il faut « une action complexe dans environnement complexe », comme le dit Louis Espinassouss, un pionnier de l’éducation nature. Il y a une dimension d’émancipation des enfants, dans un espace moins contrôlable, l’enseignant va lâcher un peu prise et les élèves auront plein de choix à faire. Cela développe la collaboration, l’esprit critique, et cela joue aussi sur les relations entre enfants et enseignants.

Enfin, la classe dehors, ça fait aussi du bien aux enseignants, ils le disent, et le bienêtre enseignant est également un gros sujet de préoccupation en France…

Propos recueillis par Cécile Blanchard

La tribune dans Le Monde

La pétition


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