Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !
vitse-1.jpg

vitse-1.jpgUne enseignante détachée dans un réseau d’éducation prioritaire et passionnée de théâtre, un centre de ressources, « La Main à la pâte », qui permet des liens avec des chercheurs et des scientifiques, une ville qui fournit des moyens logistiques et humains pour des projets d’école, tout cela donne de superbes spectacles sous le label « Science en scène » et surtout un travail de fond durant plusieurs mois, qui implique tous les élèves d’une ou plusieurs classes. Rencontre avec Virginie Vitse, enseignante à Nogent-sur-Oise.
Votre projet s’appuie sur un lien entre démarche scientifique et création artistique pour aboutir à une représentation théâtrale ; c’est peu courant. Pouvez-vous nous décrire des situations concrètes avec les élèves ?

Je pense à un spectacle qu’on avait intitulé La Fée électricité. Les élèves avaient d’abord étudié le module sur les circuits électriques et le chemin du courant. Une scène se passait à l’intérieur d’une ampoule, les élèves ont joué le rôle du courant électrique qui traverse l’ampoule. On peut parler de transposition artistique d’un contenu scientifique.

Parmi les jeux dramatiques que je propose au cours de l’année, j’incite les élèves à se servir du contenu scientifique étudié. Par exemple, on fait souvent un jeu très classique, qu’on pourrait intituler « le ping-pong ». Il s’agit de se placer d’un côté ou de l’autre de la scène, en choisissant sa position par rapport au groupe. Ils doivent dire une phrase en contredisant le camarade qui vient de parler. Pour cela, je leur demande de proposer des hypothèses sur un sujet scientifique, sur la lumière par exemple. Ils énoncent ce qu’ils savent ou croient savoir, ils se contredisent et on retrouve une partie du débat scientifique qui a eu lieu en classe. Ces exercices peuvent parfois être repris tels quels pour le spectacle.

Sur la thématique de la lumière, on avait abordé l’alternance entre le jour et la nuit. Une des questions initiales du module scientifique était : « Pourquoi y a-t-il des jours et des nuits sur Terre ? » Avec une classe, on arrive à toutes sortes de réponses plus ou moins proches de la réalité. Certaines sont très poétiques et je m’empare de ces paroles d’enfants pour créer les scènes. Par exemple, sur la question de l’alternance entre le jour et la nuit, on obtient des réponses comme « pour se reposer », quand on s’attend à « parce que la Terre tourne sur elle-même ». Et puis, on avait aussi divisé le groupe en deux : d’un côté les partisans de la nuit, de l’autre ceux qui défendent le jour.

En quoi le théâtre est-il un moyen efficace pour faire acquérir des connaissances et des compétences scientifiques ?

Cela permet un réinvestissement sous forme de mémorisation et de réflexion sur le sujet.
La mémorisation, car on leur demande de restituer des connaissances, et à force de les répéter ils les intègrent. Je pense à une scène sur les volcans où les enfants disaient un texte de Maurice Krafft tout en réalisant sur scène une expérience qui montre un volcan effusif, ils ont dû recommencer cette expérience des dizaines de fois ! Le théâtre, c’est beaucoup de répétitions. Travailler avec le corps aide également à mémoriser ; par exemple, interpréter une danse qui reproduit les mouvements réciproques de la Terre et de la Lune permet de mieux les comprendre et donc de mieux les mémoriser.

La réflexion, car je pense que cela permet de prendre du recul sur ce qu’ils ont appris, on les fait entrer dans une autre dimension. On a des connaissances, qu’est-ce qu’on peut en faire ? On peut les croiser avec d’autres disciplines, on peut s’amuser avec.

Notre stratégie pédagogique est aussi d’emprunter des chemins détournés pour que les élèves comprennent, assimilent des notions. Concrètement, je travaille à théâtraliser des notions scientifiques que nous travaillons en classe parallèlement. Nous respectons ainsi le programme de l’école primaire et, pour ma part, ma lettre de mission qui est centrée sur les sciences. Même s’il a fallu convaincre les enseignants plutôt orientés vers les lettres qu’ils pouvaient donner un contenu scientifique à un projet théâtral et ceux plutôt orientés vers les sciences que le théâtre pouvait être un sacré plus à leur enseignement.

vitse-2.jpg

Pouvez-vous nous décrire les intérêts ainsi que les difficultés de cette démarche collective pour les élèves ?

On se rend compte dans ce genre de projet, peut-être plus que dans n’importe quel autre, de l’importance du travail collectif. Sans les autres, on n’est rien, on ne peut pas aller au bout, on a besoin de tout le monde. Les élèves en grandes difficultés sont naturellement pris en charge par leurs camarades. Et il arrive, comme l’an passé dans le projet sur le volcan, qu’une des vedettes du spectacle soit en fait un élève qui ne sait pas vraiment lire et écrire.

Au théâtre, chacun connait la partition de l’autre (son texte, ses entrées, ses sorties, ses déplacements, etc.). Ceci contribue à développer une responsabilité collective et donc une forme de solidarité et d’entraide. Au théâtre, connaitre son texte, c’est aussi savoir quand le dire et pour cela, il faut connaitre le texte de l’autre.
Les enfants sont très exigeants, cela provoque une émulation qui tire tout le monde vers le haut.

Du point de vue du théâtre (lecture, compréhension, interprétation de textes, etc.) et du jeu dramatique (improvisations, technique vocale, travail du corps, création de personnages), qu’est-ce que les élèves sont amenés à faire ?

Il y a deux grands volets : la partie « littérature » et la partie « jeu dramatique » qui sont travaillées simultanément. Au début, on découvre le texte de théâtre avec toutes ses caractéristiques, en leur faisant comparer un texte dramatique avec un texte narratif. On fait ressortir les différences, la façon de faire parler les personnages, les marques typographiques, l’absence de verbes introducteurs, le rôle des didascalies, etc. On lit des textes courts, on en écrit la suite.

Parallèlement, ces mêmes textes sont le support d’exercices de mise en voix et de mise en scène.
On travaille beaucoup sur l’exploration des manières de dire et des possibilités corporelles.

Les techniques de jeu théâtral viennent très progressivement. On commence toujours par donner confiance, accepter le contact, le regard de l’autre. Il faut que tout le monde se sente bien et investi dans un espace de jeu collectif.
On amène les élèves à parler fort et à bien articuler, à se placer correctement sur scène, à prendre le temps, à ne jamais se débarrasser de ses répliques par exemple, à se regarder, etc.

La collaboration avec mes collègues dépend de leur habitude ou non de l’expression dramatique. Mais on convient d’une règle : au début d’une séance, l’enseignant de la classe mène un exercice qu’on a vu lors de la séance d’avant. Puis, à mesure que le projet avance, on peut se répartir en demi-groupes, ou bien à la fin, je prends à part quelques élèves pour les faire travailler à tour de rôle telle scène.

vitse-3.jpg

On dit facilement que la recherche scientifique se nourrit autant de rigueur que d’imagination, que l’on n’aurait jamais dépassé les limites de ce que l’on connait déjà sans créativité. Pensez-vous que votre projet s’inscrive dans cette pensée ?

C’est difficile de répondre à cette question. Quand on travaille avec des élèves, on ne se place pas au niveau des savants, des chercheurs qui ont un esprit très créatif.
Ce projet contribue à ouvrir l’esprit des enfants, à ne pas se limiter à un domaine d’activité. Par exemple, quand on propose aux élèves d’observer le ciel, on les amène à imaginer, à éveiller leur curiosité. Plus on s’enfonce dans les profondeurs célestes, plus on a envie de savoir, plus on se rend compte qu’on ne sait rien ou pas grand-chose. Alors on imagine : « Tiens, à quoi pourraient ressembler des extraterrestres ? »

L’aboutissement de votre projet est une représentation théâtrale. En quoi est-elle utile ?

Pour moi, la pièce de théâtre devant un public est un aboutissement incontournable.
Tout d’abord, elle porte les élèves toute l’année, elle leur donne un but. Ils se projettent réellement, montrent de la persévérance et acceptent les exigences que cela implique.

Elle permet de valoriser le travail des élèves.
Elle implique les parents dans le suivi scolaire de leurs enfants. Il faut savoir que quand il s’agit de venir voir leurs enfants jouer sur scène, les parents se déplacent en nombre, on arrive quasiment à 100 % de présence. Les familles de nos quartiers se déplacent très rarement au théâtre, je trouve important de leur montrer un travail de qualité. On en profite également pour leur expliquer comment on a mené ce travail tout au long de l’année, par l’intermédiaire d’une sorte de making of. On fait aussi venir un scientifique qui anime une conférence sur le sujet traité, de manière ludique et en partie interactive.
Et puis, il y a une grande part donnée à l’émotion, certains parents nous ont dit « découvrir » leur enfant ce soir-là, « n’avoir jamais pensé qu’il serait capable de faire ça ».

Le théâtre transfigure les individus.
L’émotion et le bonheur que l’on peut observer lors de ces soirées sont inestimables, et marquent les esprits des enfants et de leurs parents durablement.
Enfin, l’estime de soi est renforcée.
Mais monter sur scène et donner le meilleur de soi-même n’est pas toujours facile. Je pense que c’est se faire violence et qu’il n’y a rien de naturel à se produire sur scène. C’est vrai que je les pousse jusqu’au bout de leurs possibilités, avec une exigence qui peut sembler excessive aux yeux de certains. Mais je crois qu’en éducation prioritaire, peut-être plus qu’ailleurs, on se doit d’avoir la plus grande exigence à l’égard des élèves. Je crois qu’au fond, ils apprécient, car c’est aussi une manière de les respecter et de croire en eux.
Ceci dit, à chacun aussi d’adapter son projet aux possibilités locales et ressources en termes de moyens. Reste qu’il est très riche de mêler ainsi sciences et théâtre, littérature, arts, etc.

vitse-4.jpg

À l’issue d’un tel projet, avez-vous pu évaluer quels étaient les acquis des élèves ?

Oui, j’ai une évaluation assez précise en trois volets que je fais passer avant le projet, vers octobre, puis après le projet, au mois de juin, pour mesurer l’écart : la partie jeu dramatique avec quelques items sur l’articulation, la modulation de la voix, les expressions du visage et du corps, la mémorisation, etc. Je les prends par petits groupes et leur demande de se prêter à quelques exercices ; la partie « littérature » permet de voir s’ils sont capables d’écrire la suite d’un texte théâtral ; et enfin, il y a la partie « sciences » grâce à laquelle on vérifie l’acquisition des contenus scientifiques.

Mais je crois qu’il n’est pas possible de tout mesurer, et surtout pas immédiatement. Je pense que ce projet modifie chez l’enfant le rapport au savoir et par conséquent, la relation qu’il entretient avec l’école. Il permet de mieux comprendre le bienfondé de l’effort demandé par l’école : accéder à la connaissance et à la possibilité de réfléchir et de créer.

Pouvez-vous dire ce qui marque l’esprit des élèves suite à une telle aventure ?

Ce que je peux dire, c’est que les élèves s’en souviennent pendant très longtemps.
Comme je le disais précédemment, on ne peut pas toujours évaluer l’impact immédiatement après un projet. Je pense que ce type d’aventure germe en eux très longtemps, ils grandissent avec elle. C’est un temps fort de leur scolarité, un moment qu’ils ont beaucoup aimé à l’école. Il m’arrive de croiser des élèves que j’avais accompagnés il y a une dizaine d’années sur un projet théâtral et qui me parlent encore de cette expérience qui les a marqués.
Cette aventure les a bousculés, mais leur a donné confiance.

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk

Toujours la même face

Deux savants. A : Caroline, B : Ismaïl.
Entrée d’Ismaïl. Pleins feux. Ismaïl est seul sur scène, il fait les cent pas, les yeux rivés sur une feuille.
A (détendue) : — Salut !
B (d’un air grincheux, lisant une feuille) : — Salut !
A : — Qu’est-ce que tu as ? Tu as l’air mal luné !
B : — Je n’arrive pas à résoudre ce problème (geste d’énervement : il claque sa main sur la feuille), j’ai beau remuer ciel et terre mais rien n’y fait !
A : (A arrache la feuille des mains de B.) — Montre un peu pour voir (A lit le problème.). « Comment expliquer qu’il existe une partie de la Lune qu’on ne voit jamais ? » C’est pourtant clair comme le jour ton affaire ! (rire)
B : — Ah oui ? ! Eh bien vas-y, toi qui es si maligne, essaie de le résoudre !
A (résout le problème sans difficulté, avec un sourire sur le visage quand elle redonne la feuille à B) : — La rotation de la Lune est parfaitement synchrone avec sa révolution autour de la Terre : elle met 27,3 jours pour faire un tour sur elle-même. Ce synchronisme est dû à la puissante attraction qu’exerce la Terre sur son satellite. Le système Terre-Lune a ainsi atteint un équilibre, qui a pour conséquence directe que la Lune nous présente toujours la même face.
B (abasourdi) : — Rien compris !
A : — Bon, viens, je vais te montrer quelque chose.
Noir. Les enfants se placent pour la danse pendant le noir. Les deux savants regardent la danse lunaire exécutée par dix enfants sur une musique. Musique balayage chenillard pour la danse. Fin de la danse. Noir pleins feux.
B : — Alors là, j’en tombe des nues ! Mais finalement, est-ce que la Lune tourne sur elle-même ?
A : — Tu n’as toujours pas compris ? ! (elle tape dans les mains trois fois et trois danseurs arrivent : Maamadou, Prescillia-Jordan) Bon, prenons deux lunes. La première, celle qui tourne autour de la Terre. La seconde, la lune témoin, reproduit uniquement le mouvement de rotation de la première lune. Et maintenant, regarde bien ce qu’il se passe.
La lune 1 : — Eh oui, la lune fait un tour sur elle-même !
La lune 2 : — En même temps qu’elle fait le tour de la Terre.
A : — Il n’y avait pourtant rien de nouveau sous le soleil, mon ami ! Ce n’est pas que je m’ennuie mais je dois y aller, à bientôt alors ! Et sans rancune ! (A part.)
B (se retrouvant seul) : — Mouais… elle doit être née sous une bonne étoile, c’est certain ! Je l’aurai un jour, je l’aurai !
Noir.

Extrait du spectacle Le Soleil a rendez-vous avec la Lune.