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Savoirs, « le sel de la vie »

« Comment les jeunes peuvent-ils se construire s’ils ne trouvent pas de sens dans tout le temps passé à l’école ? ». La question guide l’itinéraire d’Armelle Le Gall, enseignante de lettres classiques. Elle partage son cheminement pédagogique nourri par « la force des jeunes ».

Elle est « tombée petite dans l’éducation », persuadée tôt que « c’est le savoir qui nous grandit ». Le savoir sous toutes ses formes et les paysages sont pour elle essentiels. Elle trouve là des réponses quand les difficultés semblent insolubles. Elle puise dans la littérature et les décors de la Bretagne, qu’elle chérit, les clés et les ressources qu’elle partage volontiers. Son approche pédagogique tient sans doute de tout cela et du plaisir de la réciprocité des apprentissages née des interactions avec les élèves.

Sa première expérience d’enseignement a été à la fois une déconvenue et un déclic. Étudiante encore, future professeure de lettres classiques, elle intervenait auprès de demandeurs d’emploi. Elle échange avec la directrice sur les premiers devoirs qu’elle a corrigés.

Prendre conscience

La discussion amène une prise de conscience lorsqu’elle se rend compte que ses corrections ne tiennent pas compte du public à qui elles sont destinées, des adultes à la fois face à des difficultés sociales et scolaires et qu’elle renvoyait vers ces difficultés. « Je n’avais pas vu que dans ma façon de rédiger mes commentaires, je pouvais être blessante, avec une hauteur un peu hautaine. Cet évènement a fait que, quoi qu’il arrive, je n’oublie pas l’humain derrière l’élève dans un système qui peut mettre en difficulté. »

Son CAPES en poche, elle est nommée dans un petit collège du bord de mer, avec une équipe « de l’ancienne génération », un établissement qu’elle pensait rapidement quitter et où elle est restée vingt ans. « Avoir un poste fixe, de la stabilité est un avantage. Cela m’a permis de prendre le temps de réfléchir, de travailler en projet, d’ouvrir les langues anciennes à tous les élèves. »

Travail en 6ème sur les Métamorphoses d’Ovide : Philémon et Baucis en 2014-2015

Travail en 6ème sur les Métamorphoses d’Ovide : Philémon et Baucis en 2014-2015

Et puis, de jeunes collègues arrivent et les deux générations partagent l’envie de bien faire, d’apporter sa petite pierre à l’édifice de l’éducation. Les manières de travailler différentes enrichissent son approche. Elle tient avant tout à montrer la richesse de la langue, à partager le plaisir de « trouver des mots pour dire » avec des recherches dans les dictionnaires, les encyclopédies.

Tester

« Je leur dois tout à ces gamins. Avec eux, j’ai testé plein de trucs. » Elle utilise le numérique pour les productions des élèves et en apprend avec eux quelques astuces. « Cela permettait de rendre visible des choses que je trouvais extraordinaires. Les productions étaient émouvantes, de qualité. »

Elle enseigne ensuite dans un lycée d’une taille conséquente. Là aussi, elle s’attache à instaurer une relation de confiance pour apprivoiser les élèves, les amener à écrire, à produire, malgré la crainte de la note. La tâche est plus ardue que dans son ancien collège où, au fil des années, les liens se sont tissés avec les parents et les collégiens favorisant une cohérence autour de l’élève.

Au lycée, la vie pédagogique est rythmée par les évaluations, l’objectif du bac, les examens blancs, les devoirs à rendre. « Quand prend-on le temps de comprendre ce que l’on est en train de faire, de s’interroger sur ce que sont la littérature et les langues anciennes ? C’est compliqué le lycée pour ça, pour le manque de temps. Pas pour les élèves. »

Chercher, s’amuser, se régaler

Elle mise sur le travail en projet pour que les lycéens et elle s’apprivoisent, trouvent ensemble, par le partage et l’expression, du sens dans les apprentissages qui se construisent. Elle voit l’énergie circuler, les connexions entre les idées comme des petits fils qui se rejoignent et accroissent cette énergie. Elle fait des liens entre les textes à travailler, s’en amuse, se régale des questions qu’ils suscitent et des réponses qui fleurissent, vit les prises de parole comme une reconnaissance. « Comment les jeunes peuvent-ils se construire s’ils ne trouvent pas de sens dans tout le temps passé à l’école ? ». Leur permettre d’obtenir le bac, certes, mais aussi, nourrir les élèves pour que la littérature, le savoir les aident pour surmonter les difficultés, elle perçoit ainsi son rôle d’enseignante.

Travail sur les figures de style, Seconde, 2016-2017

Travail sur les figures de style, Seconde, 2016-2017

Elle s’amuse dans la recherche constante des manières de transmettre pour que chacun trouve sa nourriture dans un véritable échange où l’élève se sent considéré comme une personne à part entière. Elle cherche les moyens de contourner et de surmonter les difficultés dans une progression où l’exigence a son mot à dire.

Elle est attachée aux valeurs de la République, au sens profond des trois mots qui composent sa devise. « On doit pouvoir aider le jeune à se construire avec ces valeurs, faire du vivre ensemble une réalité. Il faut s’interroger sur comment on l’applique dans l’enseignement de tous les jours. Comment on écoute les élèves, comment ils apportent leur part, comment ils cheminent avec nous. »

Échanger, discuter, tisser des liens

Elle vit l’enseignement comme une grande famille, élargissant le cercle lors de formations ou sur Twitter pour échanger, trouver des réponses à ses doutes sur ses réflexions, se rassurer pour « voir si mes chemins n’étaient pas délirants. » Elle regarde dans d’autres académies comme celle de Créteil comment les difficultés de toutes sortes rencontrées par les élèves sont prises en compte. Elle se désole de ce que, trop souvent, « on a l’impression que les élèves dits en difficulté sont invisibles ou trop visibles, qu’on leur demande juste d’être dociles avec une orientation par défaut, souvent subie ».

La passion d’Armelle Le Gall pour son métier est si intense que le récit au présent s’impose malgré une parenthèse posée par une face douloureuse de la vie. Pour la première fois, elle s’est détachée de cette « pensée permanente qui peut nous habiter dans ce qu’on voit qui nous entoure, les films, les bouquins et de ce que l’on peut en faire avec nos élèves ».

Elle n’a jamais coupé le fil, continuant à discuter enseignement, à se régaler des initiatives qu’elle lit, de tous ces reflets d’une éducation épanouissante. Elle puise dans les travaux d’élèves publiés sur Twitter une émotion qui embellit le quotidien. Elle a tissé des liens avec une classe d’élèves allophones, guettant leurs dessins et leurs textes, réagissant, partageant. « Ce que produisent les élèves c’est une énergie, une nourriture pour les adultes. Cela peut faire écho chez beaucoup. » Elle se nourrit, reprend force pour retrouver des lycéens ou des collégiens, partager avec eux la beauté des textes et des paysages. Elle sait que cette force sera nécessaire « afin d’être aidante à nouveau » et qu’elle sera décuplée par la vitalité de la jeunesse.

Monique Royer