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Restauration scolaire : « On a de vraies marges de manœuvre »

Quand on parle d’alimentation et d’école, on pense évidemment à la cantine scolaire ! Petite plongée dans le cœur de la machine, avec Jean-Jacques Hazan, chargé de mission d’Agores (Association nationale des directeurs de la restauration publique territoriale) et consultant auprès de collectivités.
Comment sont élaborés les menus de la restauration scolaire ?

Les services de restauration emploient généralement des diététiciennes qui interviennent sur deux aspects, technique pour faire les menus et acheter les denrées, et éducatif pour l’éducation au gout et des animations. Quand je m’occupais de la restauration dans le XIIe arrondissement de Paris, nous avions une diététicienne à temps plein, attachée à la qualité des produits. Mais ce n’est pas le cas partout. Pour les petites communes, les services d’une diététicienne peuvent être mutualisés.

La question des achats est un enjeu stratégique pour les villes, partagé entre les cuisiniers et les diététiciennes, sinon on achète sans savoir ce qu’on va faire avec.

La logique du menu est conditionnée par un plan alimentaire élaboré par les diététiciennes : il faut respecter les règlementations et recommandations alimentaires, l’arrêté de 2011 relatif à l’équilibre nutritionnel sera révisé cette année. Ce plan est ensuite décliné en menus. Par exemple, la recommandation est de consommer de la volaille, oui, mais sous quelle forme ? C’est là que le cuisinier peut entrer en jeu si la cuisine est faite sur place : il intervient dans le choix des produits frais, dans celui des morceaux sélectionnés pour les viandes, par exemple.

Les cuisines scolaires servent beaucoup d’aliments transformés voire ultratransformés, il faut y faire attention. Cette tendance est née des choix budgétaires, amenant par exemple à avoir du personnel moins qualifié en cuisine, et de la place disponible pour cuisiner. Si la cuisine est trop petite, on ne peut pas y faire grand-chose et on est contraint de recourir aux produits transformés. Mais les attentes de la société changent : les parents d’élèves veulent maintenant des repas de meilleure qualité.

Combien de cantines cuisinent sur place ?

C’est impossible à dire, il faut regarder les références des produits déjà prêts dans les menus. Un peu moins de 50 % de la restauration scolaire est déléguée à des entreprises privées, mais les repas ne sont pas forcément livrés : l’entreprise peut investir les lieux pour cuisiner sur place. Quelques villes signalent dans leurs menus le « fait maison », mais malgré les demandes d’Agores et de certains députés, la loi n’a pas intégré l’obligation de mentionner la gamme des produits pour que parents et élèves sachent mieux ce qu’ils consomment.

Il y a six gammes de produits utilisés en restauration collective (de 1 à 6) : le cru brut, le surgelé, cru ou cuit, les conserves, le cru préparé (carottes déjà lavées et égouttées, voire découpées, etc.), le tout prêt (carottes râpées, betteraves cuites) et les aliments déshydratés. Plus le produit se rapproche de la cinquième ou sixième gamme, moins il y a d’intervention du cuisinier. C’est le produit d’une stratégie sur les couts de main-d’œuvre, sur la place disponible en cuisine, etc. Alors qu’on devrait plutôt réfléchir aux économies sur les denrées : les produits frais bruts, de saison et locaux coutent beaucoup moins cher que les produits transformés. On peut passer des accords avec les producteurs, par exemple pour la viande : grâce à l’achat de bêtes entières ou de bas morceaux, on peut optimiser les couts, mais aussi le nombre de bêtes abattues.

Interbev, le groupement interprofessionnel des éleveurs, a développé un simulateur pour savoir combien de bêtes il faut abattre selon la quantité de morceaux qu’on veut distribuer. C’est là aussi un enjeu important tant pour les éleveurs que pour les consommateurs. Il vaut mieux acheter une bête entière et la consommer entièrement plutôt que laisser l’éleveur avec des morceaux qu’il n’arrivera pas forcément à vendre. Pour améliorer les approvisionnements, le rôle des cuisiniers est donc important, mais il faut aussi savoir acheter.

Les menus de cantine évoluent-ils vers des menus moins carnés ?

Oui, depuis assez longtemps déjà, mais ce n’était pas forcément formalisé. Les menus sans viande ni poisson sont proposés déjà depuis une dizaine d’années.

La loi ÉGalim de 2018 (pour l’amélioration de la répartition de la valeur et de la qualité des repas en restauration collective) a déjà généralisé l’expérimentation obligatoire d’un menu végétarien par semaine. La grande majorité des villes l’a appliqué, et la loi Climat de cet été a pérennisé cette organisation. Mais si c’est pour avoir du végétal ultratransformé, ce n’est pas intéressant, et en plus ça fait des repas gâchés : si le soja texturé peut s’approcher incroyablement de l’aspect et parfois du gout de la viande, il peut aussi être rejeté par les enfants. Et quel en est l’intérêt ? C’est une perte pour l’éducation au gout (qui repose sur de vrais produits bruts) et les enjeux environnementaux. D’où la nécessité de cuisiner les produits végétaux bruts. On peut faire des très bons repas végétariens avec des légumineuses et des céréales sans recourir à des ersatz de viande.

Agores et l’AFDN (Association française des diététiciens nutritionnistes) éditent d’ailleurs une newsletter qui propose chaque mois des recettes de plats végétariens à partir de denrées brutes. Il est très important de présenter des menus variés et équilibrés. L’enjeu de ces repas sans viande est d’avoir un équilibre sans toujours rajouter œufs, fromage ou soja, et avec des produits de bonne qualité. Il est difficile de changer les habitudes. En outre, il ne faut pas aller trop vite, car, par exemple, introduire beaucoup de légumineuses dans les repas peut faire craindre des problèmes digestifs.

Il faut davantage végétaliser les menus, mais progressivement, pour habituer les organismes et éduquer le gout afin d’éviter le gâchis. Même la culture professionnelle des cuisiniers, longtemps formés à considérer que seule la viande compte, doit évoluer. De façon générale, il leur faut parfois réapprendre à cuisiner les produits bruts. Il y a une dizaine d’années, j’avais participé à une formation de cuisiniers sur l’introduction du bio. On a vite vu que la vraie difficulté, ce n’est pas d’introduire le bio, mais les produits bruts, tout simplement.

Est-ce la seule tendance qui affecte la restauration scolaire ?

Non. Une autre tendance est la montée en gamme avec les labels de qualité (Label Rouge, Appellation d’origine protégée, etc.). En ce moment, je travaille beaucoup sur des retours à la gestion directe dans des villes qui achetaient les repas produits, livrés, servis depuis la fin des années 1990 ou début 2000 pour éviter les mises aux normes des cuisines. Elles n’avaient donc plus de personnel propre. Maintenant que les enjeux de contenu et de qualité sont importants, les villes cherchent à faire mieux. En reprenant la restauration, elles reprennent aussi le personnel de service, qu’elles doivent former aux achats. Cela fait plus de travail, mais aussi plus de qualité. C’est un mouvement intéressant qui peut s’accompagner d’une amélioration de la qualité et donc participe d’une action éducative.

On introduit aussi de plus en plus de produits bios. Ils sont plus chers, mais on se rattrape sur le calcul des quantités, l’amélioration des pratiques en cuisine et l’absence de gâchis. Pour des achats raisonnés se pose notamment le problème des saisons : salades et tomates sont mures quand les enfants sont en vacances. Connaitre le producteur permet d’optimiser les achats. Savoir acheter est une véritable compétence, très technique.

Concernant l’aspect éducatif, est-ce que les relations avec les enseignants sont faciles ?

Il y a peu de liens. Les différences sont fortes selon le rattachement de la direction de la restauration dans les services des mairies : est-elle avec l’éducation ou pas ? Elles tiennent aussi à la présence ou pas de cuisines centrales. Celles-ci livrent les repas (liaison froide), mais n’ont pas de contact avec les élèves et les enseignants, et cela manque. C’est différent s’il y a portage en liaison chaude : au moins les cuisiniers viennent dans les écoles au moment des repas, mais ça ne concerne que des petites cuisines centrales, avec peu d’écoles à desservir. Le cuisinier voit ce qui est consommé ou pas. Les relations sont encore meilleures si la cuisine est faite sur place. Les élèves devraient voir le produit avant de l’avoir dans l’assiette. Ainsi, j’avais organisé un jour une présentation d’une meule entière de morbier : les enfants ont mangé tous les morceaux qu’on leur a donnés. Quand ils apprennent à connaitre ce qu’ils mangent, ils gaspillent beaucoup moins ! Tout produit est mangé si les enfants sont accompagnés.

Un autre exemple, le menu « tout chou ! », né du constat que les enfants ne mangeaient jamais les choux-fleurs servis à la cantine. On proposait en entrée du chou rouge, en plat du chou-fleur, du chabichou comme fromage et des choux à la crème pour le dessert. Cette opération s’accompagnait de fiches pédagogiques autour du chou : c’était un prétexte à une action éducative, le chou n’était pas un fin en soi. Dix fiches étaient disposées dans les écoles : histoire du chou, géographie, comptines, exercices de grammaire, etc. On voulait montrer aux enseignants que la restauration scolaire pouvait jouer un rôle dans les apprentissages.

Le confort des cantines a-t-il aussi son importance ?

Oui, le confort des cantines, le temps dont disposent les enfants pour manger, le bruit, l’ambiance, etc. Finalement, c’est exactement la même chose qu’au restaurant ! Le service est très important. Quand le cuisinier est en lien direct avec les agents de service et les élèves, ça se passe mieux, la qualité globale de la cuisine s’en ressent.

La norme Afnor X50-220 sur la qualité du service en restauration scolaire préconise par exemple un taux d’encadrement, une surface minimale par enfant, une demi-heure à table, soit quatre-vingt-dix minutes de pause au minimum, des mesures du bruit, des formations communes de tous les adultes concourant au service.

Si les enseignants sont impliqués dans l’éducation alimentaire (souvent les professeurs des écoles ou ceux de SVT (sciences de la vie et de la Terre), par exemple), il y a un travail commun à faire avec la cuisine, voire les fournisseurs. Souvent, chacun travaille de son côté, ça ne favorise pas les acquis éducatifs dans la durée. Il y a beaucoup d’animations possibles en centres de loisirs aussi : ateliers de fabrication de pain, par exemple. Ces ateliers ne sont pas des activités occupationnelles, ils éduquent vraiment les enfants au gout, à la lutte contre le gaspillage, aux règles d’hygiène, etc.

En fait, on a de vraies marges de manœuvre quand on veut innover. Les règles des passages de marché et les règles d’hygiène sont un cadre dans lequel on a une liberté. Les règles ne sont rien de plus qu’une base de travail. On croit par exemple souvent que les œufs en coquille sont interdits en restauration collective, mais c’est faux ! Il y a juste une procédure spécifique à suivre, ce n’est pas impossible si la cuisine est organisée pour et avec les personnels formés. Un autre exemple : quand il n’a plus été possible de servir des steaks hachés à moins de 65 °C, j’avais décidé de ne plus en servir ; à cette température, les steaks arrivent dans les assiettes tout gris, immangeables ! On les a remplacés par de véritables steaks : le premier jour, tous les adultes encadrants et le personnel de cuisine ont aidé les enfants à couper la viande. Ça a impliqué aussi des discussions avec le fournisseur pour choisir la viande la plus adaptée. C’est aussi l’intérêt du boucher de fournir une viande que les cantines rachèteront !

La restauration scolaire, c’est une structure sociale et éducative qui nourrit. Une conception globale de la restauration scolaire comprend une entrée éducative, une entrée sociale, une entrée produit. On est très libres dans les possibilités d’actions : petits déjeuners, enfants dans les commissions de choix des menus, parents à la cantine, etc. Et toutes les actions éducatives qu’on entreprend avec les enfants ont des retentissements positifs dans l’alimentation familiale.

Propos recueillis par Alexandra Rayzal

Article paru dans le n° 571 des Cahiers pédagogiques, en vente sur notre librairie :

 

L’alimentation et l’école

Coordonné par Hélène Limat et Alexandra Rayzal

L’alimentation, un thème aussi essentiel à la vie que marginal à l’école ! Et pourtant il apparait dès qu’on s’interroge sur le fonctionnement du système scolaire dans bien des aspects : le bienêtre des élèves, l’organisation des établissements, les codes et règles, les représentations, les savoirs enseignés et les contenus d’enseignement.
Quelle place prend l’alimentation dans nos salles de classe, nos établissements, nos thématiques et nos cours ?