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Réponse à « Misère du débat public sur l’école »

Dans un article que nous publions sur notre site, Olivier Vincent réagit à l’audition de Jean-Pierre Obin devant le Sénat. Au cours de cette audition, Jean-Pierre Obin a estimé, sur la question de la formation des enseignants autour du thème de la laïcité, que c’est à l’État de dire quels sont les auteurs et les références acceptables dans la formation des enseignants, écartant du coup des personnalités pourtant appréciées et compétentes sur le sujet et la possibilité de débats. C’est une position que nous ne partageons pas aux Cahiers pédagogiques, mais il nous a paru équitable et respectueux du débat démocratique de donner un droit de réponse à Jean-Pierre Obin.

Dans sa tribune, Olivier Vincent me fait de bien méchants procès, dénaturant à plusieurs reprises ma pensée, ainsi que mon action et celle de ceux, inspecteurs généraux et formateurs académiques qui ont travaillé avec moi depuis plus de vingt ans. Prenons les choses dans l’ordre où il les expose.

1. Je répèterais sur la scène médiatique depuis une quinzaine d’années les mêmes «anecdotes» pour affirmer que l’école « serait menacée par le fondamentalisme religieux de certains élèves ». La vérité est bien différente. Les dix inspecteurs généraux auteurs du rapport de 2004 ont fait leur boulot d’inspecteurs généraux. Sur un thème choisi par un ministre, ils sont allés enquêter dans une soixantaine de collèges et de lycées, ils ont recueilli les témoignages de parents, d’enseignants, de CPE et de personnels de direction (et pas des anecdotes, terme particulièrement désobligeant) et les ont rapportés au ministre en tentant d’en établir une typologie puis une analyse. Ce travail n’a pas été publié par le ministère, et je ne suis pas allé dans les médias pour en parler (sauf une participation en 2005 à l’émission d’Alain Finkelkraut, Répliques, face à Pascal Blanchard). Ce sont, en janvier 2015, la ministre de l’Ėducation nationale et le Premier ministre de l’époque qui ont exhumé ce rapport oublié, en ont parlé dans les médias et ont contribué à le faire connaitre.

Très récemment mon livre Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école a connu – à ma plus grande surprise – le succès médiatique et éditorial que l’on sait et m’a propulsé dans les médias. Hélas, comme l’écrit Richard Ėtienne dans sa recension élogieuse de ce livre, parue dans les Cahiers pédagogiques : « Publié en septembre 2020, cet avertissement a été tragiquement illustré par l’assassinat de Samuel Paty à la sortie de son collège le 16 octobre 2020. »

Mais pourquoi avoir attendu dix-sept ans (comme d’autres, qui aujourd’hui utilisent dans la presse le même mot désobligeant, quelle coïncidence !), pour dire tout le mal qu’il pense du rapport de 2004 de l’Inspection générale ? Non, je ne répète pas les mêmes histoires (sauf quand des journalistes m’interrogent sur nos constats de 2004): mon travail de formateur depuis mon départ en retraite en 2008 m’a permis, avec une équipe de collègues, de recueillir des centaines de situations professionnelles en académie, à la fac de Gennevilliers avec mes étudiants, à l’ESEN (École supérieure de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche). Certaines touchent aux religions à l’école. Nous avons publié trois livres d’analyse des ces situations, dont le dernier porte sur cette question.

2. Pour Olivier Vincent, je ne dirais mot des recherches empiriques sur les religions et la laïcité. La belle affaire, en 2004, elles n’existaient pas ! Elles ne se sont développées qu’à partir de 2015, Hugo Micheron explique très bien pourquoi (cf. p.69 de mon livre). C’est d’ailleurs pour mieux les faire connaître et les mettre en perspective que j’ai repris la plume sur ce sujet en 2017 dans un article publié dans la revue Le Débat : « L’islamisme à l’école ». J’y analyse notamment la convergence des travaux empiriques de Sebastian Roché, d’Anne Muxel et d’Olivier Galland, de Bernard Rougier, d’Hugo Micheron, entre autres, travaux qui auraient dû selon moi nous alerter.

Quant au concept de « fondamentalisme religieux » je ne l’utilise pas, car le danger ne me semble pas être dans une religiosité rigoriste, mais dans une idéologie et un projet politique révolutionnaire et totalitaire que les chercheurs, écrivains, essayistes, islamologues qui travaillent sur le sujet nomment, depuis Bruno Ėtienne, l’islamisme : je pense bien sûr à Bernard Rougier mais aussi à Abdelwahab Meddeb, à Mohamed Sifaoui, à Kamel Daoud, à Mahnaz Shirali, à Tahar Ben Jelloun, à Bouallem Sansal et à tant d’autres qui, pour le nommer, le dénoncer et s’y opposer, ont vécu ou vivent sous sa menace.

3. Je serais hostile aux croyances religieuses et souhaiterais les exclure de la classe. Les bras m’en tombent ! J’invite Olivier Vincent à lire le vibrant plaidoyer en faveur d’un véritable enseignement du fait religieux et d’une formation des enseignants aux religions pratiquées par leurs élèves développé dans mon livre.

4. Concernant la FSU (Fédération syndicale unitaire), pas de fausse naïveté, on connait son histoire. Lors de la scission syndicale de 1947 opérée sur ordre de Staline, les dirigeants cégétistes, autrement dit communistes, de la FEN (Fédération de l’Éducation nationale) ont choisi, pour des raisons tactiques, d’y rester en y organisant une tendance minoritaire qui plus tard est devenu « Unité et action », matrice de la FSU. Ses dirigeants sont toujours restés très proches du PCF (Parti communiste français) et, depuis son effondrement, de l’extrême gauche.

Sur la question de l’islamisme, en particulier depuis l’assassinat de Samuel Paty, la FSU, tout comme l’extrême gauche, est divisée (c’est le mot que j’ai utilisé au Sénat) entre des républicains, minoritaires, et les alliés tactiques de l’islamisme, majoritaires. Ces derniers pratiquent un amalgame, potentiellement dévastateur pour les musulmans, entre islamistes et musulmans, poussant des cris d’orfraie dès que l’on dénonce les premiers en soutenant que l’on s’en prend aux seconds. C’est ce type d’amalgame qu’Olivier Vincent utilise lorsqu’il affirme que les dispositifs ministériels de signalement et de traitement des atteintes à la laïcité viseraient en fait « les élèves musulmans français ».

5. Je termine par l’essentiel : je piétinerais les libertés académiques en voulant «mettre au pas» les formateurs académiques et les Inspé. Y a-t-il meilleur défenseur des libertés universitaires que moi ? À chaque fois qu’un universitaire est dénoncé, empêché de s’exprimer, qu’on livre son nom à la vindicte, qu’on exige son exclusion, qu’on censure l’une de ses productions parce qu’il exerce sa liberté, je proteste, je m’insurge ! Récemment, par exemple, l’interdiction par la violence des Suppliantes d’Eschyle, celle de la pièce de Charb, celle de l’enseignement de Mohamed Sifaoui à Paris, la dénonciation nominative et publique de professeurs à Lille, à Grenoble, à Aix, mettant de plus leur sécurité en danger, m’ont particulièrement ému et révolté. Olivier Vincent aussi, je suppose.

La vérité est que cette liberté, dont ils devraient mieux jouir en étant peut-être plus courageusement protégés par leurs instances dirigeantes, ne donne aux universitaires aucune sorte de légitimité démocratique. Celle-ci ne réside que dans les représentants du peuple : le président de la République, qui nomme les ministres, et les parlementaires, qui contrôlent leur action.

La question éminemment politique de savoir quels enseignants nous voulons pour nos enfants et nos petits-enfants ne relève nullement de la liberté académique, mais pleinement de la légitimité démocratique du gouvernement et des élus du peuple. En vertu de quoi un ministre a non seulement le droit, mais surtout le devoir de contrôler la formation donnée aux fonctionnaires dont il est responsable. Et d’en rendre compte. Faut-il rappeler à Olivier Vincent l’article 15 de la Déclaration de 1789 : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. » Texte de niveau supérieur à la Constitution et encore davantage au Code de l’éducation, et où les universitaires ne sont semble-t-il pas mentionnés comme des exceptions.

Faute de place, je n’aborderai pas d’autres approximations qui m’ont ulcéré. Tout compte fait, rarement un texte n’aura aussi bien illustré son titre.

Jean-Pierre Obin
Inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale

À lire également sur notre site :

Misère du débat public sur l’école, par Olivier Vincent
« La formation des enseignants à la laïcité est une priorité. » Entretien avec Jean-Louis Bianco
Les rappels utiles de l’Observatoire national de la laïcité, par Françoise Lorcerie
Laïcité et signes religieux à l’école: quelle histoire ! 1882-2019, par Julien Cahon
« Parfois, engager parents et élèves dans un projet apaise un quartier tout entier. » Entretien avec Benoit Falaize à propos du livre Territoires vivants de la République

Et dans notre n°546, «L’histoire à l’école : enjeux», ces deux articles sur le même thème, non accessibles en ligne :
En même temps ! par Jean-Pierre Obin
Aimez-les ! par Françoise Lorcerie

 


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