Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !
,

Réinventer sans cesse pour réconcilier avec l’école

Gwladys Duchanois est enseignante en lettres et en histoire-géographie dans un lycée professionnel. Elle crée et renouvèle les conditions pour que ses élèves retrouvent estime de soi et plaisir d’apprendre. Elle nous ouvre les portes de sa classe flexible, en donnant à voir le rôle primordial des enseignements généraux au sein de la filière professionnelle.

Elle avait envie d’enseigner et après un premier échec au concours, elle est allée vérifier que le métier lui plaisait avant de retenter avec succès la titularisation. Pendant cinq ans, elle est remplaçante dans le Jura en tant que TZR (Titulaire sur zone de remplacement). « C’était fatigant, car j’avais beaucoup de route, mais très intéressant, car il fallait se renouveler sans cesse. »

Elle découvre pendant ces années son attrait pour le lycée professionnel. « Le lycée pro est un choix. Ce sont ces élèves qui m’ont intéressée le plus. Ils sont souvent perdus, parfois complètement abattus par le système scolaire. Ils sont très curieux du monde qui les entoure ».

C’est lors d’un remplacement à Lons-le-Saunier qu’elle monte son premier projet de classe flexible, encouragée par le chef d’établissement. L’idée est née d’une réflexion approfondie pendant son premier congé maternité. « En tant que future maman d’élève, la question de l’école s’est posée différemment. Et puis, cela ne me convenait pas d’appliquer uniquement ce que j’avais appris pendant ma formation d’enseignante. J’avais envie de faire autrement. »

Des lectures et un blog

Elle trouve par hasard une page Facebook dédiée à la classe flexible. Les exemples présentés concernaient en majorité des classes de l’école primaire organisées en ilots en fonction des matières. Elle lit beaucoup pour adapter les modalités à son contexte professionnel où elle enseigne deux disciplines auprès de plusieurs classes qui se succèdent dans la journée. De retour au lycée, elle apprend sur le tas et teste différentes solutions. Elle raconte ses essais, ses découvertes dans un blog qu’elle nomme « Chamboule-tout », pour en rendre compte auprès de sa hiérarchie, prendre du recul et partager.

Lorsqu’elle est nommée en poste fixe au lycée Edgard-Faure de Morteau (Doubs), elle présente son initiative à son chef d’établissement. Elle est là encore encouragée et obtient une salle de cours permanente avec des aménagements fonctionnels et des plages horaires d’une heure trente à deux heures. La Cardie (cellule académique recherche développement innovation et expérimentation) valide le projet et lui attribue un financement. « L’objectif pour moi est de répondre aux besoins des élèves sur le plan scolaire mais aussi humain. L’élève est un adolescent et pas seulement un apprenant. » Le bienêtre est pour elle un ingrédient fondamental de la réussite scolaire.

Des publics différents

Elle enseigne auprès de lycéens de deux filières professionnelles fort différentes. La première, en horlogerie et bijouterie est sélective. La deuxième en usinage accueille des élèves, majoritairement issus de milieux défavorisés, qui n’ont, pour la plupart, pas choisi d’être là après un parcours scolaire pavé d’échecs. Quel que soit le public, pour adapter son approche pédagogique, elle puise dans les méthodes et outils de la classe flexible, de la classe coopérative et de l’évaluation par compétences, entre autres.
À la rentrée, elle présente son approche et son organisation pédagogiques aux élèves et à leurs parents. Le mois de septembre est dédié à une appropriation progressive du fonctionnement de la classe. « Au début, c’est plutôt imposé mais, progressivement, ils sont associés au projet, expriment leurs besoins, demandent du matériel. » Une charte du vivre ensemble est construite en commun.

En seconde, les deux premières semaines sont banalisées pour apprendre à travailler ensemble dans le cadre d’une classe flexible. « Je leur propose des jeux, comme le défi du chamallow, pour qu’ils acquièrent des automatismes de travail en groupe. » Les séances sont aussi l’occasion de réactiver ce qui a été appris au collège.

Des sorties et des erreurs pour apprendre

Pour tous les niveaux, le début d’année est une parenthèse pour renforcer, ou retrouver, l’estime de soi, se sentir capable d’apprendre et de réussir. « On organise des sorties persévérance, d’accrobranche avec difficultés par exemple, pour leur montrer qu’ils sont capables. Des expressions comme “je suis nul” ou “j’ai rien compris” sont proscrites dans la classe. L’essentiel est d’essayer, et tant pis si on se trompe. L’erreur fait partie des apprentissages. »

Tout au long de l’année, les cours fonctionnent avec des plans de travail. Ils débutent avec cinq minutes de présentation des missions du jour, puis une reformulation par les élèves, nécessaire car « ils confondent souvent objectifs et moyens ». Le travail est réalisé en équipe, choisie ou tirée au sort, avec la possibilité pour ceux qui le souhaitent de travailler seuls.

Assis, debout, couchés

Chaque équipe commence par s’accorder sur le rôle de chacun et organiser son travail. Les élèves sont libres de leurs mouvements pendant les séances. La classe est aménagée pour qu’ils puissent choisir une posture, assis, debout, couchés, et en changer s’ils le souhaitent. Ils peuvent aller dehors, s’accorder une pause, prendre un thé ou un café mis à disposition. « L’important est qu’ils aient rempli leur mission dans le temps imparti ». Ils choisissent le matériel dont ils ont besoin avec, dans chaque groupe, un gardien du temps qui s’assure également de la restitution de ce qui a été emprunté.

Une mise en commun des travaux, avec un rendu sous forme libre, est faite lorsque le temps est écoulé. Elle permet à l’enseignante de faire une rétroaction immédiate. « Tout au long de la séance, je veille à ce qu’ils soient sur de bons rails. Là, je regarde la corrélation entre ce que je souhaitais qu’ils apprennent et ce qu’ils ont appris. » Elle peut le constater individuellement avec les « aujourd’hui j’ai appris… » que complètent les élèves et qu’ils affichent.

À la dernière séance de la séquence travaillée, chaque lycéen analyse ce qui a bien et moins bien fonctionné pour lui et réfléchit à des pistes d’amélioration. Il n’y a pas de notes, l’équipe pédagogique utilise une grille de compétences commune, travaillée avec les élèves pour qu’ils se l’approprient. « L’intérêt, c’est qu’on voit l’élève progresser. Et, s’il ne valide pas un item, il va se demander comment il peut s’améliorer, il pourra questionner l’enseignant. » Pour faciliter la mémorisation, ses élèves utilisent des pictogrammes et des sketchnotes. Elle leur propose des tests ludiques pour bien ancrer les notions apprises.

Les objectifs de la classe flexible diffèrent selon les filières. Pour les formations en bijouterie et horlogerie, plutôt exigeantes, elle agira comme un sas de décompression. Pour les sections industrielles, il s’agira principalement de réconcilier avec l’école, de reprendre confiance dans ses capacités.

Deux limites

Gwladys Duchanois pointe toutefois deux limites du dispositif. Tout d’abord le bruit généré par les travaux de groupe et les déplacements. Elle utilise une appli pour que les élèves prennent conscience du niveau de bruit. La deuxième limite est celle des « passagers clandestins », les lycéens qui bénéficient des travaux du groupe sans y avoir réellement participé. « Dans ce cas-là, j’essaie de voir le pourquoi avec l’élève. Est-ce qu’il a un problème personnel, est-il malade, a-t-il mal compris la consigne ? Si ça ne se règle pas, il travaille individuellement, mais c’est rare. »

Ces deux limites n’amoindrissent pas l’intérêt du dispositif. Elle reçoit fréquemment des observateurs et des stagiaires dans sa classe qui, à chaque fois, remarquent le climat, serein et apaisé. « Les élèves sont beaucoup engagés dans les apprentissages, de plus en plus persévérants. Ils y arrivent de mieux en mieux et on rentre dans un cercle vertueux. » Les retours des lycéens portent principalement sur les libertés dont ils bénéficient. « Ils ont du mal au début mais, finalement, c’est ce qu’ils citent en premier. Le fait de faire comme ils veulent, de pouvoir solliciter leurs camarades, de trouver les moyens seuls. »

Investir les réseaux sociaux

Formatrice académique, elle partage ses pratiques et son approche au-delà de son blog. Elle préconise de travailler avec des projets sans obligation qu’ils soient ambitieux. Elle investit les réseaux sociaux pour que ses élèves travaillent l’écrit tout en se formant à des usages raisonnés.

Dans le cadre de la co-intervention introduite dans la dernière réforme des bac pro, elle a élaboré avec un collègue de l’atelier, une Twittclasse « usinage » reposant sur une correspondance avec une classe en spécialité commerce d’un lycée parisien. Le projet se déroule sur les trois années du cursus et inclut des liens avec plusieurs disciplines, la géographie, l’histoire et le français par exemple. « La présentation mutuelle des formations est un travail de vulgarisation. Je me retrouve apprenante puisque je ne savais pas précisément en quoi consiste l’usinage. » Des défis, des jeux littéraires sont partagés par les deux classes et favorisent une connaissance mutuelle dépassant les clichés.

L’année prochaine, elle souhaite lancer une « cogniclasse flexible » en puisant dans les sciences cognitives pour aller plus loin dans la réactivation des connaissances et l’aide à la mémorisation.

Elle invente et tente sans cesse, et son blog reflète ce foisonnement. Elle lit beaucoup, se forme, comme cette année en sciences cognitives, regarde ce qui se fait ailleurs. « Une astuce qui fonctionne avec un élève ne fonctionne pas avec un autre, c’est pareil selon les classes, et même selon le jour. Il faut constamment adapter. » Et cela la passionne, cela met à l’abri des tempêtes et des inquiétudes la passion pour son métier. Et lorsqu’un élève de la filière usinage affiche « aujourd’hui j’ai appris que je n’étais pas nul », elle lit son utilité. « C’est un challenge aussi pour moi, leur redonner confiance et les amener vers le bac. Et pour cela, me renouveler sans arrêt pour les mobiliser. »

Monique Royer

Le blog de Gwladys Duchanois : https://www.chamboule-tout.fr/


Sur notre librairie