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Quand la maitresse apprend à dessiner

Une enseignante, convaincue qu’elle ne sait pas dessiner, décide pourtant de se lancer dans la réalisation de sketchnotes (ou notes dessinées). Soutenue par une collègue plus experte, elle se retrouve elle-même en situation d’apprentissage, et en tire des conseils pour ses élèves. Un article en forme de conte de Noël, ou l’inverse.

Le dessin n’a jamais été ma tasse de thé. Je me suis toujours sentie incompétente et complexée, depuis mon plus jeune âge, et les profs me le rendaient bien. Mes résultats ont toujours été très bas, et je ne comprenais pas ce qu’on attendait de moi pour que je puisse progresser…

Pourtant, j’aurais adoré avoir ce talent, et j’enviais souvent mes camarades experts. En tant qu’enseignante, c’est évidemment une discipline dans laquelle je ne suis pas à l’aise. Je ne me sens pas « bonne conseillère ».

Il m’est arrivé d’avoir besoin de faire un dessin pour illustrer un mot. Et sans aucun moyen de projeter l’image en question, j’ai vraiment dû me faire violence pour tenter d’esquisser un « machin » ressemblant. Heureusement, mes élèves n’ont jamais été trop critiques à mon égard : vive l’école primaire ! Certains osent même dire que je dessine bien. À se demander s’ils ont une bonne vue…

Aider les élèves à avancer

Lorsqu’il s’agit d’illustrer une poésie, une phrase copiée, certains enfants font mine d’y parvenir, mais ils savent très bien qu’ils ont eu beaucoup de mal et que le résultat n’est pas à la hauteur de leurs espérances… Si je leur demande : « Qu’as-tu voulu dessiner ? », ils me répondent : « Je voulais dessiner cela, mais je n’y arrive pas ! » Ils se sentent honteux. Mais mon rôle d’enseignante est de les aider à avancer, malgré mes propres difficultés. Je tente donc de m’appuyer sur des éléments caractéristiques : par exemple, le bec et la crête de la poule, les moustaches du chat, les lacets d’une chaussure, les différents éléments d’un visage, etc.

Avec le temps, j’ai fini par développer pour moi quelques stratégies que je n’avais pas dans mes tendres années : à partir d’un modèle, je suis capable de reproduire un dessin simple. Un premier pas. C’est donc tout naturellement que je propose, aussi souvent que possible, des idées de modèles divers et variés ou des dessins pas-à-pas en classe. Si cela m’aide, cela peut sans doute aussi aider mes élèves ?

D’ailleurs, voici une anecdote toute fraîche à ce sujet. Mes élèves de CP ont décoré un petit sac en papier blanc, pour y glisser nos réalisations de Noël. L’un d’eux vient me montrer le résultat final, la mine complètement déconfite. Effectivement, cela ne ressemble en rien au Père Noël, ni aux cadeaux… Je lui dis : « Tu pourrais essayer de dessiner un petit sapin ? » Lui me répond, d’un air profondément triste : « Je ne sais pas faire. »

Je lui prends la main et l’emmène vers le tableau. Je griffonne en verbalisant : « Regarde, tu commences comme un triangle, tu finis par des petites vagues en dessous, puis tu recommences, comme ça… ». Il est ensuite retourné à sa place, et quelques minutes plus tard, j’entends : « Ohhhh ! Il est trop beau ton sapin X ! » « Oh oui, il est trop trop beau ! » Mon regard croise celui de mon petit apprenti : il affiche alors un sourire radieux, plein de fierté. Il a réussi ! Enfin !

Entrée en sketchnoting

Il y a près de deux ans, sur Twitter, mon chemin a croisé celui de Manuella Chainot-Bataille, une « pro » du sketchnote. Cette trace écrite organisée, synthétique, met en valeur les choses de manière esthétique. J’en avais déjà vu sur internet. Mais de là à essayer… Je n’aurais pas osé.

Guidée par Manuella, créer un mélange d’écrits et de quelques dessins, pas trop complexes, m’a paru à ma portée. J’ai donc testé, et immédiatement adoré le résultat ! Je pense que c’est ce qui m’a encore plus motivée à poursuivre. J’ai essayé quelques petites astuces rapides, et, avec les conseils et la bienveillance de Manuella, cela s’est confirmé : je pouvais enfin arriver à quelque chose de visuellement intéressant. Et lorsque je sketchnote, je suis concentrée, appliquée : ce moment me vide la tête, me détend. C’est un moment très agréable, qui n’appartient qu’à moi.

Sketchnotes des élèves.

Plusieurs mois plus tard, Manuella m’a proposé de venir dans ma classe, afin de faire découvrir le sketchnote à mes élèves de CP. Évidemment, j’ai tout de suite accepté ! Elle est arrivée pour quelques heures dans notre classe, avec ses feutres noirs et ses envies de partage. Aux côtés de mes élèves, nous avons semé la petite graine du sketchnote, pour leur donner l’envie de poursuivre.

Il faut dire que j’ai encore de nombreux CP qui ont du mal à dessiner. Le bonhomme bâton, ce n’est pas qu’un dessin de petite section. À quelques exceptions près d’élèves particulièrement doués, j’ai souvent l’impression de les voir bâcler leurs dessins. Il faut que cela aille vite, et tant pis pour le résultat final.

Sketchnote en classe

Mais lors de cette séance de sketchnote, j’ai été ravie de voir leur investissement, leur implication et leur enthousiasme à la vue de leur réalisation. Ils étaient fiers d’eux. Dans les jours qui ont suivi, deux ou trois enfants se sont lancés dans un nouveau sketchnote chez eux et l’ont apporté en classe pour me le montrer.

De mon côté, je n’ai pas renouvelé l’expérience seule en classe. Je ne me sens pas encore assez sûre de moi pour oser. En attendant ce jour, je profite du calendrier de l’avent « sketchnote » que Manuella propose en ligne, pour me faire la main ! J’ai bon espoir de pouvoir un jour semer, moi aussi, la graine du sketchnote dans ma classe…

Delphine Rimbaud-Le Borgne
Professeure des écoles

Sketchnote de Manuella Chainot-Bataille réalisé à partir de cet article.


Pour en savoir plus :

Le compte de Delphine Rimbaud-Le Borgne sur Twitter : @classedeDefine

Le compte de Manuella Chainot-Bataille sur Twitter : @MChainotBatail


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N°569 – Enseigner la créativité ?

Dossier coordonné par Caroline Elissagaray et Angélique Libbrecht

L’injonction à la créativité est répandue dans le monde du travail, mais à l’école, elle semble souvent réservée aux petites classes ou aux filières artistiques. Dans ce dossier, nous envisageons cette notion comme compétence à développer et comme levier pour les apprentissages à tous les âges et dans toutes les disciplines.