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Oser la recherche collective

Couverture du numéro 598, « Remobilisés ! »

Couverture du numéro 598, « Remobilisés ! »

Les travaux de groupe peuvent être vécus par les élèves comme des moments d’agréable détente, ce qui ne comble pas les attentes de l’enseignant. Quelles conditions mettre en place pour passer de ce vécu à un accès réel aux apprentissages ? Réponses de Sophie Rousseau-Grousson et Stanislas Briere, membres de l’équipe enseignante du collège Joséphine-Baker du Mans.
Il y a quatre ans, vous vous êtes engagés dans une « action-recherche en établissement ».

Oui, les professeurs du collège  ont souhaité approfondir la thématique de la coopération entre élèves. C’est ainsi qu’a débuté une recherche collaborative avec Sylvain Connac, enseignant-chercheur en sciences de l’éducation à l’université Paul-Valéry de Montpellier, suite à une convention qui a permis de contractualiser l’engagement sur trois ans, pour les enseignants volontaires du premier et du second degré, dans le cadre d’un partenariat entre le chercheur, l’École académique de la formation continue (EAFC), la Direction des services départementaux de l’Éducation nationale (Dasen) de la Sarthe et l’établissement. Pendant trois ans, ce collectif a travaillé lors de temps hybrides (réunissant enseignants, chercheur, formateurs et inspecteurs du premier et second degrés, en présentiel et en distanciel), quatre à cinq fois par an, afin d’étudier collaborativement des données collectées dans les classes.

Qu’entendez-vous par « action-recherche » ?

Ce n’est ni une série de conférences, ni un recueil de solutions pédagogiques apportées par un chercheur. Il s’agit d’un travail collaboratif au sein duquel enseignants et chercheurs étudient ensemble des organisations pédagogiques, dans le cadre d’un principe de confidentialité, d’interdiction d’évaluation ou de jugements professionnels. Ce sont uniquement les organisations pédagogiques et leurs effets qui sont étudiés. Au-delà de ces effets, une recherche collaborative participe en second plan à la formation continue des enseignants et au développement des recherches en éducation.

Quel axe de travail avez-vous privilégié ?

Un problème professionnel est défini par le collectif à partir des constats des enseignants. Dans notre cas : un manque d’implication et d’investissement des élèves dans les situations d’apprentissages, des réticences à travailler à plusieurs et une difficulté à percevoir le sens des tâches proposées. Une question est alors apparue : comment remobiliser tous les élèves, sans exclure aucun d’entre eux, dans des organisations coopératives du travail ? Pour répondre, le collectif de recherche collaborative a construit un dispositif de collecte et d’analyse de données empiriques.

Et dans les faits, comment cela a-t-il démarré ?

La première année, pour élaborer notre problématique, il nous a fallu partir de nos représentations sur la coopération pour aller vers une définition plus précise du concept, notamment en le distinguant de la notion de collaboration. Nous avons aussi distingué la coopération en tant que moyen, avec ses outils et dispositifs pédagogiques, et la coopération en tant que finalité éducative.

Les premières collectes de données à partir de mises en œuvre balbutiantes ont permis de centrer le questionnement sur le travail en groupe : quelle est l’activité des élèves quand ils sont en petits groupes ? Est-ce parce qu’ils sont en groupe qu’ils coopèrent ? Quelles distinctions entre le travail en groupe et le travail de groupe ? Est-ce que l’organisation en ilots facilite les interactions au sein du groupe ? Comment constituer les groupes ? Les élèves participent-ils et progressent-ils mieux seuls ou en groupe ? Comment organiser les temps d’échanges? Quelle place accorder à l’évaluation au regard de la mise en œuvre des modalités de coopération ? Comment favoriser la prise de conscience de ce qu’ils apprennent en classe ? Autant de questions qui interrogent la (re)mobilisation des élèves dans un cadre coopératif, dans une perspective d’apprentissage.

Que vous ont apporté toutes ces questions ? Cela vous a-t-il fait avancer ?

Ces premiers moments ont été l’occasion de prendre conscience de l’écart significatif entre nos perceptions de la coopération supposée des élèves au sein du groupe et la réalité de leurs implications. Des paroles d’élèves comme « en groupe c’est original, et chacun pourra donner son idée » (Imane), « je pense que ça facilite la communication, et après des fois ça peut être drôle » (Souraya), ou « en gros c’est pour apprendre à travailler en groupe » (Layini), ont permis de repérer une confusion chez les élèves : alors que les enseignants attendaient que le travail en groupe soit une occasion de discussion autour d’idées divergentes, les élèves y voyaient plutôt une occasion de s’amuser, de rompre avec les habitudes et d’apprendre à travailler avec d’autres. Peu de chances donc qu’ils puissent attribuer à cette modalité une vertu de mobilisation cohérente avec l’activité scolaire attendue.

Comment vivez-vous cette rencontre entre recherche et terrain ?

Quand on s’engage dans cette aventure réflexive, il importe d’avoir à l’esprit la dimension de recherche du travail mené, avec une double finalité. D’un côté, une dynamique de développement professionnel : éviter les seules exécutions de prescriptions pour adopter des postures de praticiens réflexifs et des habitudes de distanciation de ses pratiques. D’un autre côté, celui du chercheur, une éventuelle production scientifique : un écrit soumis à un processus d’expertises à l’aveugle. Il ne s’agit pas de former des chercheurs en établissement mais de se donner l’occasion d’étudier des pratiques ou démarches à partir des préoccupations des enseignants et d’un objet partagé entre enseignants et chercheur.

En synthèse, pourriez-vous partager ce qui permettrait de comprendre comment remobiliser des élèves que nous souhaitons faire coopérer ?

À partir des séances observées ces trois années et de la parole collectée et analysée des élèves de la 6e à la 3e, nous avons déduit quelques invariants relatifs à la construction d’une séance pour mobiliser les élèves :

  • Un espace démocratique

Il nous est apparu important de construire en classe un espace démocratique sécurisant où les élèves ne sont pas apeurés à l’idée de prendre le risque d’essayer et de se tromper, où ils s’écoutent et retrouvent des habitudes de travail en coopération, semaine après semaine, si possible, dans la classe d’un professeur à l’autre. La ritualisation de ces moments constitue un bénéfice. « Moi je trouve qu’heureusement il y a des règles et que personne ne se moque. C’est pour ça qu’on peut parler parce que sinon du coup on se tairait. » (Imane)

  • Une déstabilisation

Pour engager les élèves dans la tâche à réaliser, l’équipe a compris l’importance d’un déclencheur « inspirant», une situation-problème sous forme de dilemme ou d’obstacle, qui conduit à la conscience d’un blocage et suscite l’envie de donner son avis et d’entendre celui des autres. « On savait pas quelle réponse c’était. Du coup on cherchait mais on trouvait pas. Tout le monde avait des idées qui étaient bonnes », selon Nolan. C’est ainsi que les élèves seraient davantage enrôlés dans le travail scolaire. En effet, les travaux de Daniel Favre1 montrent qu’une déstabilisation affective et cognitive peut être une source de plaisir très utile pour apprendre. Il revient alors à l’enseignant de réfléchir en amont à ce qui peut créer cet obstacle.

  • Des formes variées d’activités

Lorsque nous nous sommes concentrés sur le travail en groupe, nous avons mis en évidence la nécessité d’équilibrer des temps individuels (début et fin de séance), des temps coopératifs pour la confrontation, des temps personnels relativement courts et des temps collectifs pour la socialisation et la structuration des apprentissages. En effet, les élèves reconnaissent l’utilité de la phase individuelle pour s’approprier la consigne, se construire une impression ou un avis en cherchant tout seul. « Ça nous a permis aussi d’imaginer ce que les autres vont faire. »

  • Une rétroaction immédiate

« Et après, quand on se réunit pour partager nos figures, ça nous permet d’avoir une idée plus originale », dit Souraya. Le recours à une activité finale individuelle n’est reconnu utile par les élèves qu’à condition qu’elle puisse être corrigée immédiatement par l’enseignant. Cette rétroaction apparait alors comme nécessaire pour ancrer de nouvelles connaissances. « À la fin, le prof nous dit de faire un exercice seul et il le corrige. Après on comprend. » (Lyssia)

  • Des relations variées

L’enseignant engage une réflexion sur les raisons pour lesquelles il choisit le travail en groupe, en laissant la liberté aux élèves de réaliser certaines activités seuls ou non, car la coopération se choisit. De plus, si l’enseignant choisit les groupes, leur constitution est parfois périlleuse. Nous avons observé que composer les groupes de manière aléatoire sur la base d’élèves volontaires peut permettre de s’engager plus facilement et plus rapidement dans la tâche : « parce que être tout le temps avec la même personne à force ça devient ennuyant. » (Wendy)

Un cours de mathématiques. ©DR.

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Couverture du numéro 598, « Remobilisés ! »


Notes
  1. Éduquer à l’incertitude élèves, enseignants, comment sortir du piège du dogmatisme? Dunod, 2016.