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Objectiver la construction du point
Un exemple d’approche de la pratique de badminton permettant de travailler effectivement les compétences des élèves en jouant sur le calcul du score.
Pour atteindre la compétence de niveau 2 en badminton, l’élève doit « rechercher le gain d’une rencontre en construisant le point, dès la mise en jeu du volant et en jouant intentionnellement sur la continuité ou la rupture par l’utilisation de coups et trajectoires variés ». Il doit également savoir « gérer collectivement un tournoi et aider un partenaire à prendre en compte son jeu pour gagner la rencontre ».
Le terme de recherche n’est ici pas anodin. Certains élèves doivent comprendre que le gain de la rencontre, s’il reste un objectif, ne doit pas, en EPS, prendre le pas sur la qualité du jeu produit. Pour d’autres, il s’agit de faire perdurer cet engagement sans se démotiver, même en cas d’écart au score grandissant.
L’élève doit s’efforcer de « construire le point en jouant intentionnellement sur la continuité ou la rupture ». Ainsi, les apprentissages concernent à la fois les élèves qui privilégient la continuité en attendant la faute adverse comme ceux qui, à contrario, se focalisent sur la rupture et veulent gagner le point tout de suite, sans prendre le temps de se créer une situation favorable.
De plus, cette construction du point doit se réaliser « dès la mise en jeu du volant » : les élèves ne doivent plus considérer le service comme une simple mise en jeu préalable à l’affrontement.
« L’utilisation de coups et trajectoires variées » donne vie aux intentions tactiques concernant la construction du point. Pour être efficaces, les élèves doivent à la fois apprendre à maitriser de nouveaux coups et augmenter l’efficacité d’autres, afin que ceux-ci restent décisifs.
Enfin, au niveau 2 de pratique, un élève compétent doit être capable de « gérer collectivement un tournoi et aider un partenaire à prendre en compte son jeu pour gagner la rencontre. » Cet aspect n’est pas négligeable, tant l’attitude empathique est loin d’être spontanée chez certains. De surcroit, lorsque les élèves cherchent à observer afin d’aider, ils se heurtent à une profusion d’informations (les coups, les trajectoires, les points de chute). Devant la difficulté à faire des choix, les conseillers offrent souvent à leur partenaire une multitude de conseils, sans que cette intervention soit bénéfique à la mise en projet de celui-ci.
La construction du point est au cœur de la compétence de niveau 2 en badminton. Or, construire le point, ce n’est plus se contenter d’exploiter une situation favorable fortuite, reconnue comme telle, mais bel et bien réfléchir aux conditions à mettre en œuvre afin de se créer, puis d’exploiter, cette situation favorable.
J’ai choisi de bonifier tout point direct1, car ce type de point me semble offrir un bon compromis entre facilité à être observé par les élèves et capacité à traduire la construction du point. En effet, marquer un point direct, cela se prépare, se construit patiemment. Il faut à la fois maximiser les déplacements de l’adversaire tout en le privant du temps nécessaire à leur réalisation. Je veille donc à ce que les élèves ne prennent pas en compte les points directs marqués sans mettre l’adversaire en difficulté (cas où l’adversaire, bien placé, rate le volant) ou sans avoir l’intention de réaliser le coup effectivement produit (cas du volant qui touche le cadre de la raquette).
Parmi ces points directs, j’invite les élèves à rechercher plus particulièrement ceux localisés entre le filet et la ligne située à environ deux mètres de celui-ci (matérialisant la zone de service). Cette cible, facilement matérialisable, est large (elle constitue à peu près le tiers de la surface d’un terrain de simple), donc accessible, sans pour autant développer une précision importante. D’autre part, elle est proche du filet, on peut donc l’atteindre aisément sans distiller des frappes puissantes.
Tous les élèves sont en réussite dans l’atteinte de la zone avant. Par contre, cette cible proche est facilement défendable par l’adversaire. Marquer un point direct dans la zone avant ne pose pas tant le problème de l’accès à cette zone que celui de l’éloignement de l’adversaire de cette cible. L’enjeu (et le jeu) sera alors de chercher à libérer cette zone avant, afin de pouvoir y marquer un point direct.
Tous les élèves sont, de fait, concernés par la nécessité de construire le point, car chercher à marquer tout de suite ou attendre la faute adverse sont des stratégies qui ne sont plus assez efficaces pour marquer un point direct en zone avant.
Voici la forme de pratique scolaire proposée en vue d’enseigner la compétence de niveau 2 des programmes collège en badminton :
Des groupes de quatre joueurs de niveau identique sont réalisés. Dans chaque groupe, on forme deux équipes de deux élèves (le plus performant avec le moins performant, les deux autres ensemble). Un bonus est attribué à l’équipe qui obtient la plus grande somme des meilleurs scores de chacun des joueurs réalisés lors d’une période de jeu (il y a deux périodes de une minute trente à deux minutes dans un match). Il existe un bonus de 0,25 point pour l’équipe qui a le plus grand score au sein de la poule (groupe de quatre ou cinq joueurs) et un bonus de 0,25 point pour celle qui a le plus grand score de la classe.
Les poules de cinq sont, dans la mesure du possible, à éviter, car elles présentent l’inconvénient de placer un élève « seul », qui n’aura pas accès à la possibilité de marquer les bonus attribués aux équipes. Bien sur, le nombre d’élèves n’est pas toujours un multiple de quatre ! Nous proposons donc une organisation avec une ou plusieurs poules de cinq élèves. Parmi ces cinq élèves, réalisation de deux équipes de deux élèves (B avec E et C avec D), A restant « seul ». Notons que l’on préfèrera que la poule de cinq concerne les élèves les plus performants de la classe et que cet élève « seul » soit l’élève le mieux classé de la poule.
Nous livrons ici des exemples de mise en relation entre observations recueillies et conseil donné (évidemment nous forçons le trait, la réalité est souvent plus complexe!) :
Le système de comptage des points (centaine, dizaine, unité) fait perdurer chez les élèves la recherche du gain de la rencontre et limite leur démotivation. En effet, jusqu’au dernier point joué, on a la possibilité de marquer cent points et donc de remporter le set (dans un premier temps, le gain du set se réalise en fonction du « grand score ». Par la suite, nous attribuons la victoire à celui qui marque le plus de points, chaque point valant 1, on parle alors de « petit score »). Par ailleurs, la possibilité de se rattraper au second set diminue la frustration et offre une possibilité de se racheter en cas de contreperformance. Enfin, ce système de comptage des points incite l’élève à se « battre » pour toucher le volant (même s’il ne peut le renvoyer) afin de ne pas encaisser de point direct.
Les aménagements concernant le service poussent les élèves focalisés sur la continuité à prendre plus de risques, car ils ont une seconde chance si le premier est raté. Ils obligent également les élèves obnubilés par la rupture immédiate à faire l’expérience de la construction du point, étant donné qu’il est règlementairement impossible de marquer cent points directement sur son service (le règlement interdit de servir dans la zone avant).
Confronté à la difficulté de faire tomber le volant dans une zone proche du filet, fixe et connue de l’adversaire, l’élève se tourne plus volontiers vers l’apprentissage de coups et trajectoires variées : pour espérer marquer cent points, il faut être capable de repousser l’adversaire (dégagé) et de jouer court une fois l’adversaire suffisamment éloigné, sans lui laisser le temps nécessaire à son déplacement (amorti). De plus, la maitrise du contre-amorti permet de rétablir un rapport de force à priori défavorable, voire de marquer cent points !
Par ailleurs, marquer dix points en cas de point direct hors zone avant permet de sanctionner un adversaire un peu trop préoccupé par la défense de sa zone avant (en le lobant) ou d’utiliser un smash performant.
L’existence de bonus (0,25 point) attribués à l’équipe dont la somme du meilleur score de chaque élève est la plus élevée encourage l’entraide des partenaires et donne un sens au rôle d’observateur-conseiller. Ce rôle me parait nécessaire à la performance et aux progrès de son partenaire : l’observateur permet au joueur d’avoir accès à la façon dont il s’y est pris pour tenter de marquer cent points (localisation des volants chez l’adversaire) ; il devient conseiller et propose une stratégie simple en vue du second set. Les élèves sont ainsi amenés progressivement à « organiser et assumer des rôles sociaux et des responsabilités, par la gestion et l’organisation des pratiques et des apprentissages : recueillir des informations, s’entraider ». Cette compétence méthodologique et sociale trouve ici une illustration concrète au service de la prestation motrice.
Je tente ainsi, modestement, de participer à l’acquisition de compétences du socle commun. En effet, les observateurs-conseillers apprennent progressivement à « transmettre d’une façon argumentée avec clarté, concision et précision les informations recueillies, les conseils donnés » (compétence 1) et comprennent peu à peu l’intérêt, sur le plan des progrès réalisés en badminton, à « s’investir avec rigueur dans les différents rôles sociaux, pour permettre l’organisation d’un tournoi et les progrès des camarades » (compétence 6).
Ma proposition permet d’amener les élèves à « exploiter les données fournies pour analyser son efficacité et adapter son projet tactique » comme à « se mettre en projet par l’identification des conditions de l’action, de sa réussite ou de son échec, pour élaborer un projet d’action et le mettre en œuvre », et de faire ainsi un pas vers l’acquisition des compétences des programmes (respectivement compétence 3 du socle commun et compétence méthodologique et sociale ).
Si la régulation des apprentissages est progressivement déléguée aux élèves, le professeur n’en reste pas moins un acteur particulièrement important. Il s’agit avant tout, pour lui, d’observer les élèves et de tenter de les accompagner vers une plus grande efficacité des réponses, en rééquilibrant le rapport de force !
Réponses des élèves et interventions possibles de l’enseignant
L’ordre des réponses apportées par des élèves confrontés à cette situation de pratique suit une certaine logique, mais il ne constitue nullement un passage obligé.
Rappelons que pour observer son binôme, on se place du côté de l’adversaire et on regarde où l’observé joue dans le camp adverse.
Une croix correspond à l’endroit où l’adversaire frappe le volant, un rond indique que le volant est tombé au sol sans être touché (point direct).
Réponse 1 : échec, car non-construction du point
Ce que l’on observe : l’élève joue dans et proche de la zone à cent points sans réussir à marquer de point direct.
Intervention possible de l’enseignant : jouer loin
- amener l’élève à comprendre qu’il faut d’abord éloigner l’adversaire de cette zone, pour avoir ensuite la possibilité de marquer cent points !
Intervention possible de l’enseignant : jouer sur les côtés
- amener l’élève à comprendre qu’il faut, à l’intérieur de la zone à cent points, jouer là où l’adversaire n’est pas, jouer court sur les côtés ;
- amener l’élève à comprendre qu’il faut laisser moins de temps à l’adversaire pour aller chercher le volant court, et donc rechercher une trajectoire rasant le filet, en douceur.
Réponse 2 : réussite de celui qui a l’intention de construire le point
Ce que l’on observe : l’élève, après avoir repoussé son adversaire, envoie un volant court et parvient à marquer cent points.
Intervention de l’enseignant concernant l’adversaire (en échec) : contre-amorti
- amener l’élève à se rendre compte qu’il peut jouer ce volant court tout en étant relativement éloigné de celui-ci, en réalisant une fente à l’amble ;
- amener l’élève à comprendre qu’il a lui aussi la possibilité de marquer cent points et d’inverser la pression en réalisant un contre-amorti ;
- amener l’élève à comprendre que pour réaliser un contre-amorti, il doit prendre le volant le plus tôt possible (raquette au niveau du filet), avoir sur lui une intervention tout en douceur (poignet mou) et avoir l’intention de laisser rebondir le volant sur le cordage (tamis horizontal).
Réponse 3 : échec de celui qui a l’intention de construire le point
Une fois le contre-amorti maitrisé par l’adversaire, il devient plus difficile de marquer si l’amorti n’est pas « bien joué » techniquement parlant.
Ce que l’on observe : l’élève, après avoir repoussé son adversaire, envoie un volant court (non rasant) sans réussir à marquer un point direct. (Le relevé des localisations des volants frappés par l’adversaire ne renseigne pas sur la trajectoire rasante de l’amorti. Aussi cette régulation est plutôt l’affaire de l’enseignant !)
Intervention de l’enseignant : travail technique de l’amorti (priver son adversaire de temps)
- amener l’élève à comprendre qu’il faut laisser moins de temps à l’adversaire pour aller chercher le volant court ;
- comprendre qu’il est préférable que le volant amorti tombe plus loin dans le terrain adverse, mais plus rapidement, afin de laisser moins de temps à l’adversaire ;
- l’accélération de l’avant-bras est bloquée au moment de l’impact entre le volant et la raquette, et le volant est ensuite accompagné vers le filet (tamis orienté vers le bas).
Réponse 4 : échec de celui qui a l’intention de construire le point
Ce que l’on observe : l’élève, après avoir repoussé son adversaire, envoie un volant court avec une trajectoire rasante, sans réussir à marquer un point direct.
Intervention de l’enseignant : travail de réflexion tactique (augmenter le déplacement adverse)
- amener l’élève à comprendre que, faute de pouvoir diminuer le temps qu’il laisse à l’adversaire, il faut augmenter la distance que celui-ci doit parcourir (alterner, chez l’adversaire, jeu long sur le revers et jeu court sur le coup droit) ;
- amener l’élève à comprendre qu’il est intéressant de ne pas permettre à son adversaire de se donner du temps en réalisant un coup long et haut, et que pour cela, il faut privilégier des coups à trajectoire rasante, afin qu’il frappe le volant en position basse et, si possible, en lui imposant un coup difficile (revers) et un déplacement difficile (reculer) ;
- amener l’élève à comprendre que l’adversaire anticipe et qu’il est judicieux de modifier son schéma tactique afin de le prendre à contrepied.
Bilan
Certes, l’élève peut s’engager dans une construction du point efficace et ne pas parvenir à marquer de point direct. Mais à contrario, je pense qu’à partir d’un certain niveau de pratique, il est très peu probable de marquer un point direct en zone avant sans avoir, au préalable, suffisamment construit le point (nous faisons ici abstraction de coup non intentionnel ou de raté sans être débordé). Nous convenons également que « la cible unique et immobile peut introduire un vice dans les représentations des élèves, car, en badminton, les cibles de marque sont mouvantes et sont à construire à chaque frappe…2 ».
Pour autant, il nous semble que la mise en place de cette cible avant (qu’il faut chercher à atteindre directement) permet de générer l’intention, de développer la compréhension et de travailler la réalisation de la construction du point. De plus, cette situation invite fortement les élèves à l’apprentissage de certains coups permettant de marquer cent points (dégagé, amorti), sans en interdire d’autres plus centrés sur la marque de dix points (smash, dégagé offensif, lob).
Francis Blanchard