Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !
Mieux coopérer en équipe
On peut faire l’hypothèse que proposer aux élèves de travailler en équipe est un plus pour les apprentissages. Or, les enseignants constatent aussi les difficultés de cette modalité : il n’est pas rare d’observer des tensions ou une répartition inégale (voire inégalitaire) de l’activité. Par exemple, pendant les moments durant lesquels les élèves sont placés en autonomie, l’enseignant ne peut pas, même avec la meilleure volonté du monde, connaitre avec exactitude ce qui se passe ou se dit à l’intérieur de chaque équipe.
En effet, la coopération des élèves en équipe mobilise des compétences dites transversales, issues d’expériences diverses et dans différents domaines d’activités, qui facilitent ou, au contraire, peuvent faire obstacle à la réalisation des tâches proposées. Un mémoire de recherche1, m’a donné l’occasion d’identifier quelques-unes de ces compétences (positives ou négatives) et d’élaborer ainsi une matrice élémentaire de compétences transversales mobilisées par le travail des élèves en équipe.
Pendant un projet d’écriture de fables, j’ai observé qu’une majorité d’élèves peinaient à avoir des idées variées et à les faire évoluer (celles des autres surtout). S’ils parvenaient à prendre des décisions collectives avec difficulté, ils avaient également du mal à porter une réflexion critique sur leurs méthodes et à prendre des repères dans la progression de l’activité. Pour certains, il a semblé compliqué d’exprimer leurs envies ou de reconnaitre une difficulté ou une erreur devant les autres.
Il a également pu arriver qu’au sein d’une équipe, des élèves forment des alliances (forts/faibles, genrées) pour gagner un rapport de force ou faire porter la responsabilité d’un échec à l’un des coéquipiers. Ces postures sont dommageables pour les autres coéquipiers et en opposition avec le but recherché par l’enseignant.
Face à ces difficultés, on peut penser qu’il est nécessaire d’apprendre aux élèves à coopérer. Certaines pistes proposées dans le domaine de la recherche par Sylvain Connac2 ou Céline Buchs3 parient sur l’efficacité d’activités préparatoires à la coopération. Voici quelques exemples d’activités mises en œuvre dans ma classe et qui peuvent aider les élèves à apprendre à coopérer.
Les premières communications au sein du groupe de besoin, que j’avais pris en charge, ne se sont pas révélées très fructueuses. Certains élèves ont essayé de prendre l’ascendant sur ceux qu’ils considéraient moins bons qu’eux et ceux qui avaient plus de mal à entrer dans l’activité se sont tus. La bascule a eu lieu lorsqu’une élève considérée en grande difficulté a proposé une idée qui a fait rire l’équipe. Elle a alors reçu des compliments de la part de ses coéquipiers. Ces moments où les élèves reconnaissent les efforts et les réussites des autres et les « célèbrent » (remerciements, encouragements, félicitations voire applaudissements) font évoluer le climat de l’équipe de manière positive.
Afin d’améliorer la répartition de la parole en classe, j’utilise des signes de communication extraverbale empruntés à une méthode de débat à visée philosophique. Chaque élève, avec ses doigts et selon ce qu’il veut dire, réalise un geste spécifique dont l’interprétation est connue de tous. Cela me permet de savoir pour quelle raison un élève souhaite prendre la parole.
En établissant des priorités entre ces signes, je peux alors interroger un élève qui exprime un désaccord, une incompréhension ou qui souhaite approfondir une idée avant qu’un autre apporte une nouvelle idée. Par ailleurs, lors des bilans réalisés à partir des travaux intermédiaires des équipes, je fais d’abord mettre en valeur les points positifs qu’ils perçoivent avant de faire verbaliser les aspects à faire évoluer. Je demande aussi systématiquement aux élèves de faire des propositions dans le but d’apprendre à critiquer de manière constructive et acceptable.
Les enjeux d’apprentissage en équipe sont complexes. Au-delà des obstacles didactiques propres au projet d’écriture, les élèves se sont confrontés à de multiples choix pour lesquels la qualité de leur communication et de leur organisation s’est révélée capitale et plus ou moins efficiente. Cette configuration pédagogique, dans laquelle les élèves se trouvent en situation d’interdépendance, implique de mobiliser des ressources cognitives et affectives qui nécessitent du temps et de multiples situations pour se construire.
C’est la raison pour laquelle, une fois assurée qu’aucune forte antipathie n’existe entre de futurs coéquipiers, il me semble important de stabiliser la constitution des équipes dans la durée en aidant progressivement les élèves à résoudre les problèmes qui se posent. Proposer aux élèves d’évoluer ensemble de manière régulière et répétée leur permet de prendre des repères dans leur relation aux autres et dans leurs méthodes de travail individuelles et collectives4.
Concernant l’illustration des productions, les élèves ont ébauché les grandes lignes de leur projet par écrit. Pour cela, j’ai conçu une fiche support afin qu’ils envisagent les types de réalisations possibles, le matériel nécessaire, les étapes et la répartition des tâches entre eux. En présentant leur projet à la classe, ils se sont confrontés aux remarques et questions de leurs pairs, ce qui les a amenés à faire évoluer positivement leurs propositions.
On peut également proposer aux élèves d’exprimer leurs ressentis sur l’entente de l’équipe et de faire un bilan sur les objectifs poursuivis, les méthodes employées, les réussites et les obstacles rencontrés. Le collectif permet alors de faire émerger des solutions participatives, donnant une réelle responsabilité aux élèves dans leurs apprentissages. Une nouvelle possibilité serait de leur proposer un outil d’autoévaluation tel que « la toile d’araignée ». Cette représentation graphique permet de rendre compte visuellement de l’efficience d’un travail en équipe. Elle est élaborée selon des critères qui, pendant une expérimentation menée dans trois classes, ont influencé positivement ou négativement le travail des élèves. S’ils se révèlent pertinents, ils pourraient représenter des indicateurs, des observables afin d’apprendre aux élèves à mieux travailler en équipe.
Des points de vigilance sont à prendre en compte avant d’engager les élèves à travailler en équipe afin que les effets produits ne soient pas contraires aux effets recherchés. En dehors des précautions didactiques propres à la discipline concernée, ces précautions touchent principalement aux compétences à mobiliser lors d’une activité réalisée en groupe et en interdépendance.
En premier lieu, c’est à l’enseignant d’initier les gestes et attitudes coopératives. Préalablement aux activités, il instaure la coopération dans un cadre éthique puis en rappelle les principes de fonctionnement. Par la suite, il régule et étaye l’activité des élèves en garantissant ce cadre. Enfin, il propose aux élèves des temps d’analyse réflexive qui leur permettent de faire un retour sur les notions travaillées et les procédures mises en œuvre mais aussi d’améliorer leur relation aux autres.
En réalité, pour que la coopération en classe poursuive à la fois des objectifs pédagogiques et humanistes en termes de citoyenneté et de solidarité, le rôle de l’enseignant apparait bel et bien primordial.
Sur notre librairie :
Former les élèves à la coopération
Coordonné par Sylvain Connac, Cyril Lascassies et Julie Lefort
Il ne suffit pas que quatre élèves travaillent ensemble pour qu’ils en tirent un bénéfice. Sans précautions spécifiques, la coopération peut même décourager les plus fragiles. Un des leviers pour que la coopération soit profitable à tous est la formation des élèves à la coopération, pour leur expliciter les attendus.
Notes
- « La coopération des élèves à l’épreuve du travail en équipe : quelles compétences transversales développées par la mise en œuvre de démarches de projet à l’école élémentaire ? », mémoire de master 2, réalisé sous la direction de Sylvain Connac, université Paul-Valéry.
- Sylvain Connac est cocoordonnateur du présent dossier « Former les élèves à la coopération », Cahiers pédagogiques n° 576, mars-avril 2022.
- Céline Buchs, « Inclure tous les élèves », Cahiers pédagogiques n° 576, mars-avril 2022.
- Voir le modèle de Bruce Tuckman (1965) et ses quatre étapes de la construction de la cohésion d’un groupe (formation, tensions, normalisation, exécution).