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Livre du mois du n° 595 – Pourquoi et comment intégrer les neurosciences dans son enseignement ?
Cet ouvrage, coécrit par des chercheurs et des enseignants du laboratoire Grene Monde aborde six thématiques, et, pour chacune d’elles, fait le point sur l’état des recherches, présente des expériences de terrain, de la maternelle au post bac, et suggère des lectures complémentaires, des vidéos, des sites. Dès l’introduction, les auteurs analysent les raisons pour lesquelles le système est « en panne d’évolution » : le cloisonnement des disciplines, l’exercice solitaire du métier, des programmes imposés trop chargés et une évaluation qui n’encourage pas les élèves.
Le premier chapitre, « Apprendre », rappelle les grandes théories de l’apprentissage, du béhaviorisme au connexionnisme, et présente les sept pistes privilégiées par les auteurs : la recherche de sens, l’autoquestionnement, le statut de l’erreur, les métarègles, un autre rapport au temps, les fonctions exécutives, la métacognition et les feedbacks. Suivent des exemples dans les classes, présentés par des enseignants comme Jocelyn Reulier qui explique comment il fait « métacogiter » ses élèves de cycle 3.
L’évolution du statut de l’erreur, la compréhension des fonctions exécutives qui éclaire sur les difficultés d’apprentissage, l’importance des émotions, indissociables de la cognition, les quatre chapitres suivants reprennent les notions de base de la neuroéducation.
La méditation de pleine conscience fait l’objet du chapitre 5. À partir des travaux de chercheurs qui prônent cette pratique, les auteurs montrent l’intérêt qu’elle peut présenter pour des enfants, et ses liens avec le réseau du « mode par défaut », une autre découverte des sciences cognitives qui intéresse les enseignants. Jusqu’à récemment, on pensait que le cerveau ne « faisait rien » lorsqu’il ne travaillait pas à une tâche précise, que ce vagabondage mental était une perte de temps. Aujourd’hui, les scientifiques ont mis en évidence une dizaine de retombées positives de cet état de conscience en roue libre. La méditation laïque aide les enfants à développer leurs capacités de concentration, d’inhibition, à gérer leur stress et leur agressivité, les effets se ressentent sur l’ambiance de classe et dans les relations entre l’enseignant et les élèves.
Le dernier chapitre concerne le cerveau social, en lien avec la pédagogie de la coopération et les compétences psychosociales dont on découvre actuellement l’importance. La postface écrite par Thierry Loiseau, un chef d’établissement pionnier de l’introduction des sciences cognitives dans la culture des enseignants, pose la question essentielle des finalités de l’école. Il nous invite à repenser les savoirs à enseigner, à interroger les pratiques, pour une école « où l’empathie prend le pas sur la compétition, où se développe une éthique de l’attention à l’autre et de la solidarité ».
Les auteurs présentent les bases de la neuroéducation en des termes accessibles, et les mettent en lien avec les pratiques pédagogiques afin d’appuyer l’analyse du système actuel et leur vision engagée de la transformation qu’ils jugent indispensable, à la fois pour faire réussir tous les élèves, et « pour soutenir les enseignants dans l’évolution de leurs pratiques ». Les témoignages d’enseignants qui décrivent leurs expérimentations dans ce sens apportent du concret, et la preuve qu’on est bien dans le champ des possibles
Questions aux auteurs
L’ouvrage s’adresse aux enseignants et aux formateurs qui veulent comprendre comment les neurosciences cognitives peuvent les soutenir dans leur application en classe mais aussi dans leur posture professionnelle. Rappelons toutefois que l’enfant n’est pas son cerveau. Chaque enfant arrive au monde avec son héritage génétique, psychique, dans une histoire qui est à la fois universelle, culturelle et familiale. Notre livre aborde des thèmes comme l’apprentissage ou les compétences psychosociales. Il s’agit de les expliciter scientifiquement, de définir leur transfert possible dans le champ de l’éducation, et de proposer des activités modélisantes auprès des élèves.
Nous comprenons qu’il puisse y avoir des résistances à l’intégration de cette méditation à l’école. La Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) a eu raison d’alerter sur les dérives possibles d’une telle pratique. Néanmoins, la communauté scientifique reconnait aujourd’hui les effets de cette pratique sur l’activité cérébrale. Nous en parlons de manière « laïque », autour des bienfaits en matière d’attention, en nous appuyant sur divers travaux en physiologie, en psychologie et en neurosciences.
La Finlande a réorganisé son système éducatif à partir d’un débat proposé à toute la société. Dans un pays comme le nôtre, où chaque parti s’arroge un projet pour l’éducation, un consensus serait difficile à trouver. Les finalités de l’école devraient renvoyer aux fondements de la démocratie, c’est-à-dire aux éléments fondateurs de notre contrat social pour l’éducation et aux valeurs qui sont liées. Nous nous référons notamment aux travaux sur la citoyenneté du monde, formalisés par l’Unesco à travers les Objectifs de développement durable. Mais bien sûr, les partis politiques ne sont pas d’accord sur la façon de mettre en œuvre une éducation basée sur ces principes.
Le ministère n’est pas seulement chargé de la mise en œuvre d’une éthique de l’éducation mais aussi de l’organisation d’un service public avec ses flux d’élèves et d’enseignants, son organisation par académie, matérielle et financière, avec en outre les aléas des changements ministériels. Ce qui amène ledit ministère à devoir s’adapter sans cesse aux évolutions locales pour permettre la réalisation des finalités de l’école, sans déroger aux principes de cohésion et d’unité nationale.
Tous les enfants sont, dans les faits, tenus d’acquérir les mêmes connaissances et les mêmes compétences, selon des rythmes et des durées quasiment identiques. C’est un défi impossible à tenir au regard de ce que l’on sait du fonctionnement du cerveau.
En effet, l’innovation n’est pas la transformation et l’une n’implique pas forcément l’autre. L’innovation induit une réflexion sur les pratiques pédagogiques dont l’effet serait d’en améliorer l’efficacité. La transformation consiste en une mise en mouvement intermédiaire de ce qui est à transformer. La transformation introduit une phase transitoire entre les deux états qui est une phase d’instabilité, dans laquelle le premier état n’est pas complètement révolu, pas plus que le second n’est atteint. L’acceptation sociale du changement est nécessaire parce qu’elle agit comme une caisse de résonance du changement et participe à sa diffusion et donc à la multiplication de la transformation.
Les notions de neurosciences que tout enseignant peut acquérir ne sont pas prescriptives de la façon dont il doit enseigner. Elles sont porteuses d’un éclairage de plus en plus précis, au fil du temps, sur le fonctionnement du cerveau.
Le premier écueil à éviter consisterait donc à vouloir passer directement de la connaissance scientifique à une forme d’application « clé en main » de la meilleure pratique pédagogique. Passer, en somme, du magique au pédagogique.
Le deuxième écueil serait de vouloir tout changer sans prendre le temps d’analyser sa propre pratique. Chaque enseignant est porteur de connaissances et de compétences expérientielles qu’il doit interroger pour évoluer et répondre au mieux aux attentes et aux besoins des élèves. Les apports des neurosciences cognitives sont des facilitateurs de cette relecture, d’autant plus efficaces quand ils sont utilisés dans le cadre d’un groupe d’analyse de pratiques, de façon collaborative.