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« Les débats sur l’évaluation ne seront jamais enterrés ! »

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Que retirez-vous de cette plongée dans une quarantaine d’années d’articles sur l’évaluation dans les Cahiers ? Y a-t-il des constantes dans les débats ? Des pistes qui émergent ou ont été abandonnées ?

R. P. : Avant les années soixante-dix, l’évaluation s’appelait ici « L’interrogation » (1957), ou « Notes et contrôles » (1969). Notation et évaluation étaient confondues. Mais les Cahiers, avec constance, ont suivi l’idée-force suivante : la notation et l’évaluation doivent être au service des apprentissages et non les outils de la sélection des élites et de l’exclusion des faibles. La mesure ne doit pas être l’objectif de l’enseignement. C’est une dérive perverse.
Autre constante : le débat sur la note, appuyé sur la docimologie et la sociologie, n’est pas prêt d’être tranché. D’ailleurs, si les Cahiers présentent de nombreuses techniques d’évaluation alternatives, ils n’écartent pas les notes quand elles sont utilisées comme un levier pour faire apprendre et réussir.
Des pistes abandonnées ou peu empruntées : l’évaluation « formatrice » (et non « formative » !) pour sa complexité de mise en œuvre. Ou les référentiels de la pédagogie par objectif avec leurs grilles aux items infinis qui atomisent le jugement et deviennent peu praticables.

R. E. : Les Cahiers ont toujours attaché une grande importance à l’évaluation dans l’activité des enseignants… et des élèves. Bien sûr, ils se sont positionnés sur les débats pédagogiques du moment, et, encore aujourd’hui, pour permettre à l’approche par compétences et au socle commun de se mettre réellement en place. Il y a deux constantes qui émergent : d’abord, le manque de fiabilité et la nocivité d’une évaluation réduite aux notes, puis l’effort constant en faveur d’une évaluation facilitant les apprentissages.
La piste abandonnée serait celle de l’évaluation formatrice de Georgette Nunziati, peut-être un peu trop exigeante mais surtout reposant sur une formation des enseignants qui est aujourd’hui à peine sur le point de redémarrer.

Le débat sur l’évaluation n’a-t-il pas été en quelque sorte enterré par l’annonce de la ministre qu’elle ne suivrait pas la recommandation du jury de la conférence nationale de supprimer les notes jusqu’en 6e ?

R. E. : Effectivement, les déclarations du Président de la République et de la ministre qui ont exclu toute suppression, même pour certains paliers, des notes, sont une claque pour le jury présidé par Étienne Klein – qui n’est pas un dangereux révolutionnaire. Même si le cœur du débat n’est pas là mais bien dans l’utilité des pratiques évaluatives pour les élèves, il s’agit bien d’un enterrement de première classe des acquis de la conférence nationale. On aurait pu espérer que la réforme du collège et les nouveaux programmes tiennent compte du fait qu’on apprend pour savoir et que l’on ne sait que l’on sait que si l’on évalue. Or, il semblerait que les formes alternatives d’évaluation soient portées absentes dans ce grand bouleversement, qui risque de se faire sans rien changer au « tri sélectif » de l’école française pratiqué à l’aide des notes omniprésentes.

R. P. : Les débats sur l’évaluation ne seront jamais enterrés ! Et vouloir prescrire d’en haut l’usage de telle ou telle échelle d’évaluation est une très mauvaise idée. Car les enseignants font évoluer leurs évaluations en fonction des examens à préparer. Ici, l’aval modèle l’amont. Il faut changer les épreuves, interdire les moyennes, les coefficients, les pondérations, toutes ces opérations qui ne disent rien de réel sur les compétences et les savoirs acquis.

Et les élèves, dans tout ça ?

R. P. : Il est vrai qu’on ne sollicite pas dans les Cahiers l’expression directe des élèves, sujets de tous les propos de leurs professeurs. Et cependant, on les veut capables d’auto-évaluation ! Ils ont une expertise certaine pour évaluer… les évaluations auxquelles on les soumet. Et ils pourraient dire combien seule la réussite fait réussir, et, inversement, combien les échecs chiffrés et notifiés les précipitent vers le décrochage scolaire et social !

R. E. : L’autoévaluation et les dispositifs mis en place prennent en compte le fait que les élèves sont les premiers producteurs d’évaluation («je suis nul » ou « facile ! ») mais que, sans retour des enseignants, ils éprouvent, pour la plupart d’entre eux, des difficultés à pratiquer une estimation pertinente de leurs résultats et de leurs potentialités. Construire avec eux, et progressivement, la méta-compétence évaluative détectée par Philippe Perrenoud rejoint le projet républicain d’une école émancipatrice. Comment faire en sorte que les élèves ne soient pas les oubliés de la réforme ? Sans doute en lisant et relisant ce hors-série numérique et les Cahiers auxquels il renvoie !

Propos recueillis par Cécile Blanchard

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