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Programmes scolaires : pour une vraie refondation et une confiance faite aux équipes

Nous apportons notre soutien au projet du Conseil supérieur des Programmes (CSP) de repenser les programmes scolaires en termes de curriculum, c’est-à-dire en prenant en compte l’ensemble de l’expérience scolaire de chaque élève et non la seule liste des contenus étudiés dans chaque discipline.
Toutefois, pour que la mise en œuvre de ce principe ait des chances sérieuses d’introduire dans les pratiques et les apprentissages les changements que les difficultés actuelles de notre école appellent, nous proposons un certain nombre de principes qui doivent être, selon nous, au cœur de la « charte des programmes » qui est prévue par le CSP.

  • Les programmes ne doivent pas exclusivement être rédigés discipline par discipline, mais être guidés par un référentiel fournissant des objectifs transversaux et pour ce qui est de la scolarité obligatoire articulés au socle commun de connaissances, de compétences et de culture.
  • Les programmes ne doivent pas déterminer de manière trop précise par exemple comment aborder la capacité « Savoir distinguer un argument rationnel d’un argument d’autorité » ou la connaissance « Influence de l’homme sur l’écosystème », mais laisser aux équipes pédagogiques une large autonomie pour ce qui concerne la manière de traiter ces compétences, à travers plusieurs disciplines et en tenant compte des besoins constatés et du contexte de l’établissement. De même, l’étude des « grandes périodes de l’histoire de l’humanité » n’a pas forcément à être effectuée dans l’ordre chronologique : compte tenu du patrimoine local ou des événements de l’année, les enseignants d’une école peuvent parfaitement bouleverser cet ordre, à partir du moment où cette initiative s’accompagne d’une véritable réflexion sur les moyens de faire acquérir par ailleurs aux élèves la notion de chronologie.
  • Les programmes doivent mettre en avant les principaux attributs de l’acte d’apprendre, de manière à ce qu’ils deviennent aussi importants dans l’acte d’enseigner que les contenus à transmettre et compétences à développer. Citons notamment la confiance en soi et le sentiment de compétence, le processus d’expression-création, la compréhension et le sens, la mémorisation et la répétition des acquis pour éviter leur oubli, l’organisation coopérative.
  • Rompant avec une tradition qui multiplie les précisions et les conseils qui, sur le terrain, sont souvent interprétés comme des injonctions, les programmes refondés doivent être brefs, le référentiel de chaque cycle pluriannuel ne devant à notre sens pas dépasser quinze pages. C’est en effet la condition indispensable à la prise d’initiative des enseignants, qu’on considère trop souvent comme de simples exécutants. Ils doivent être consultés lors de l’élaboration des programmes, sous des formes les plus diverses. Et ils doivent être encouragés à faire preuve d’autonomie sur ce point, dans le cadre des équipes dans lesquelles ils sont intégrés. Les documents d’accompagnement doivent bien être présentés comme des suggestions et des outils pour aider à la mise en oeuvre, mettant l’accent moins sur des conseils institutionnels que sur la présentation d’expériences réelles, variées, où un accent est mis sur les situations complexes et sur la nécessaire différenciation pédagogique. Et ceci afin de préserver aussi la part indispensable d’inventivité, de créativité et de responsabilité personnelles que l’acte pédagogique suppose à tous les niveaux de l’Education. Une des conséquences sera de redéfinir les rôles des inspecteurs : ils devront s’engager pour que les enseignants se sentent autorisés et même encouragés, ils mettront à disposition des ressources abondantes, en particulier par la mutualisation des expériences menées par des collègues.
  • Tout cela implique une forte revalorisation de la formation continue , indispensable pour outiller et favoriser la prise d’initiative des équipes , en particulier pour développer l’interdisciplinarité.
  • Enfin, une refondation des programmes n’aura de chances d’influencer véritablement l’enseignement au quotidien que si elle est intimement liée à la redéfinition des modalités de passage des examens, qui orientent véritablement la pédagogie en amont. L’interdisciplinarité sera un vain mot tant que la quasi-totalité des épreuves du baccalauréat et du brevet demeureront disciplinaires. La responsabilité pédagogique de l’enseignant et l’adaptation de la pédagogie aux caractéristiques du public resteront virtuelles aussi longtemps qu’une grande partie des épreuves consisteront essentiellement en des exercices de restitution. Pour que des programmes ouverts confèrent une véritable responsabilité aux équipes pédagogiques, il faut développer les épreuves basées sur la présentation par les élèves de travaux individuels ou collectifs (sur le modèle par exemple des TPE ou de l’histoire des arts, insuffisamment valorisés) et sur des exercices interdisciplinaires, totalement absents des épreuves ponctuelles dans le système français malgré leur grand intérêt pédagogique.

Notre école a l’étonnant pouvoir d’absorber les réformes en les adaptant à un système qui, dans les faits, ne change guère. Pour que la refondation des programmes ne soit pas, une fois de plus, un coup d’épée dans l’eau, pour qu’elle s’inscrive dans le cadre d’une école qui permette les progrès et la réussite de tous, il est essentiel :

  • de responsabiliser davantage les équipes enseignantes en leur laissant une marge d’autonomie et en substituant à un contrôle tâtillon un pilotage de l’institution autour de grands objectifs à atteindre
  • de concevoir les programmes comme des cadres souples, des ressources , l’essentiel étant la construction des compéténces des élèves, l’important étant toujours ce que les élèves apprennent et non ce que l’enseignant enseigne.

Le CRAP-Cahiers pédagogiques, 9 février 2014