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Le sens de l’engagement

Histoires de crapistes
Vous lisez les Cahiers pédagogiques, visitez notre site, participez à nos webinaires ou aux rencontres estivales du CRAP ? Ou alors, vous avez vaguement entendu parler de ce mouvement pédagogique ? Nous publions une série de portraits de militants du CRAP-Cahiers pédagogiques pour raconter l’histoire et la vie d’un collectif pas comme les autres, à travers ceux et celles qui le font vivre.
Nous connaissons actuellement une crise financière profonde. En racontant notre histoire, nos histoires, pour dire qui nous sommes, nos différences, nos engagements, nous espérons vous donner envie de nous rejoindre et de lire nos publications.

Marie-Joana Chamlong enseigne les arts appliqués dans un lycée hôtelier. Ses pratiques professionnelles visent à faire de la culture un moyen pour ses élèves de « trouver du sens dans leur futur travail ». Rencontre avec une professeure qui a elle-même trouvé du sens à son métier en enseignant en lycée professionnel.

La culture a, pour elle, toute sa place dans toutes les professions. « Sans culture, on peut vivre, mais il n’y a pas de sens. » Elle a grandi dans une effervescence culturelle, en découvrant la photographie ou la sculpture dans les ateliers thérapeutiques organisés pas sa mère infirmière psychiatrique, en participant aussi aux activités de la Maison de la jeunesse et de la culture (MJC) de Corbeil-Essonnes. Le gout des pratiques artistiques l’a menée jusqu’aux Beaux-Arts, où elle a été diplômée.

Elle a mesuré aussi bien dans les quartiers populaires qu’en zone rurale l’importance de la présence de la culture auprès des jeunes, et en retire un « rapport à la culture très militant ». Tout comme son métier est un véritable engagement.

Élevée dans une famille monoparentale, « pas dans un milieu pauvre mais loin de l’opulence », l’école a été pour elle « à la fois un ascenseur social et un endroit où j’ai vécu une sorte de violence sociale ». Encouragée par sa mère à tenter le meilleur, elle s’est parfois retrouvée en décalage avec les autres élèves venant de milieux plus favorisés, pointée même par une enseignante comme ralentissant la classe. « C’est sans doute grâce et à cause de cette injustice que je suis devenue enseignante. »

Elle l’est devenue à tâtons. Sa première expérience dans un centre de formation par apprentissage n’est pas concluante. Elle retourne vers son métier de graphiste, en vit difficilement alors elle retente l’enseignement avec des vacations en arts appliqués dans un lycée professionnel de l’académie de Créteil, devient contractuelle. L’expérience est cette fois concluante.

Elle apprécie le contact avec les élèves, ce qui est sans doute réciproque puisqu’ils lui disent au revoir en fin d’année avec un bouquet de fleurs. Alors elle continue, passe du secteur industriel au tertiaire, au sanitaire et social, avec autant de bonheur. Elle réussit le concours d’enseignante après neuf ans de contrat, sûre de son choix. Adolescente, elle avait des amis qui suivaient la filière professionnelle. Elle percevait bien le décalage entre ce qu’ils étaient, des jeunes ouverts, cultivés, et le regard porté par la société sur leur orientation vue comme une voie de garage.

Le lycée pro comme engagement

« Travailler en lycée pro, c’est un engagement militant auprès d’un public laissé de côté. J’ai tendance à me dire que sans les enseignants, plus personne ne les regarde, ne les écoute ne trouve des solutions pour qu’ils s’en sortent dans la vie. C’est un engagement citoyen qui donne du sens à ma vie. » Le sens, elle l’a trouvé en comprenant son rôle, en se l’appropriant par des lectures, un cheminement personnel et empreint de curiosité, sans formation institutionnelle pour une discipline qui n’a pas de manuel scolaire dédié.

La professeure-documentaliste de son lycée lui conseille des lectures, en particulier celle des Cahiers pédagogiques. « Les Cahiers ont été mon Inspé. Je suis allée vers des auteurs, des ouvrages. Je me suis intéressée aux différents types de pédagogie. » Elle adhère au CRAP-Cahiers pédagogiques, s’investit progressivement dans les instances, puis se lance dans l’animation d’ateliers lors des Rencontres d’été de l’association. Cet engagement associatif lui donne l’occasion d’échanger avec « des gens sur la même longueur d’ondes, qui viennent de milieux d’enseignement différents », de s’inscrire dans un collectif.

Elle découvre de nouvelles pratiques, pioche des idées du côté du premier degré pour investir la transversalité. Au début de sa carrière, ses références pédagogiques étaient minces, nourries de ses souvenirs d’élèves et enrichies par quelques activités éducatives puisées par sa mère dans les pédagogies alternatives, en utilisant par exemple la cuisine ou le travail manuel pour apprendre.

Apprendre à s’adapter

Rapidement, elle a misé sur son sens de l’adaptation pour que ses cours entrent en résonance avec le métier appris par ses élèves. « J’essaie de leur inculquer ça aussi, l’adaptabilité, savoir s’adapter aux personnes et au milieu, être conscient que là où on est, on a toute sa place. » Elle doit aussi s’adapter aux changements fréquents de programmes qui touchent le lycée professionnel. Elle intègre ce qu’elle apprend de ses collègues, de ses élèves, porte attention à souligner les liens avec les autres disciplines, générales ou techniques, et se régale des séances en coanimation.

L’enseignement des arts appliqués inclut une initiation au design. « En début d’année, je leur explique qu’ils vivent design, qu’ils mangent design, qu’ils s’assoient design, qu’ils se déplacent design… Ils sont entourés d’arts appliqués ! » Elle veille à apporter à la fois une ouverture culturelle, une réflexion sur des thèmes propices à former de futurs citoyens, et également une orientation vers les métiers préparés. En lycée hôtelier, le design culinaire est au programme. « On lie la thématique de la cuisine à l’art en considérant qu’elle se touche, se voit, se goûte . On réfléchit aussi à la sociologie du manger, à la sémiologie et on intègre les contraintes du développement durable. » Du CAP au bac pro, tous ses élèves sont initiés au design culinaire, investissent les concepts.

Ils travaillent tous aussi l’oral et l’écrit, avec des activités différentes selon les attendus du programme, analysent des affiches en scrutant les éléments de communication non verbale qu’elles dégagent, s’intéressent à la typographie.

Design culinaire et vitraux

Elle emmène ses classes au-dehors, voir des expositions, visiter des lieux culturels. Cette année elle développe un projet de design culinaire à partir de vitraux en partenariat avec la basilique de Saint-Denis. La classe a visité le lieu, écouté une intervenante parler de la cuisine médiévale, senti des épices et fait un atelier sur la transparence. L’enseignante, ravie, a vu ses élèves réjouis de l’expérience, réclamant d’autres sorties, même les plus réfractaires à sa matière. « Je les fais adhérer par les sorties. Ce sont de petites récompenses pour eux et pour moi. »

Les lycéens ont un chef-d’œuvre à réaliser, une occasion de travailler en équipe dans une démarche de projet. L’organisation est facilitée par le chef d’établissement qui considère que les arts appliqués sont partie prenante à part entière. Le lien se vit, là aussi, avec les autres disciplines, et permet de souligner, par exemple, l’intérêt des mathématiques pour le design, la cohérence de ce qui est appris pour exercer un métier en professionnel mais aussi être citoyen. Elle se sent pleinement dans le collectif enseignant.

« Je me nourris de tout, de tout ce qui permet de construire mon cours. J’ai appris à travailler comme cela aux Beaux-Arts, à nourrir ma réflexion avec différentes choses, de la musique, un article, une exposition, qui vont m’amener à des lectures puis au concept à travailler avec mes élèves. » Elle se soucie de rester ouverte, de se questionner, de puiser dans la culture et les échanges des questionnements, des idées.

Elle apprend en permanence et en particulier en tant que formatrice académique au contact d’enseignants co-intervenants d’un autre profil que le sien. « Il y a eu plusieurs étapes depuis mon arrivée dans l’Éducation nationale. Je me sens beaucoup plus à l’aise depuis que je fréquente des enseignants d’horizons et de disciplines différents. » Son engagement dans son métier comme celui au sein du CRAP-Cahiers pédagogiques le lui permet. Son plaisir à apprendre et à enseigner, elle le communique à ses élèves, plaçant haut la culture comme un moyen de s’émanciper, de trouver sa place, de donner du sens à son métier, à sa vie.

Monique Royer

Pour aller plus loin :

Padlet sur le design culinaire de Marie-Joana Chamlong


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N°569 – Enseigner la créativité ?
Coordonné par Caroline Elissagaray et Angélique Libbrecht

L’injonction à la créativité est répandue dans le monde du travail, mais à l’école, elle semble souvent réservée aux petites classes ou aux filières artistiques. Dans ce dossier, nous envisageons cette notion comme compétence à développer et comme levier pour les apprentissages à tous les âges et dans toutes les disciplines.