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Le mieux-vivre est-il une notion précaire ?

Pour la troisième année, Pierre Warnet est assistant chargé de prévention et de sécurité (APS) au collège Paul Verlaine de Lille, depuis la création de ce poste. Il est là, nous dit-il, pour « gérer la violence en milieu scolaire ». Ils sont 36 dans son académie, 500 en France, dans des établissements repérés en difficulté ou labellisés ECLAIR. Son parcours ressemble à celui de nombre de personnels de l’Éducation nationale, au sein de la communauté éducative, mais pas tout à fait dans l’équipe pédagogique, pour une question de statut, d’emploi, de contrat.

Après une fac de sport, il a exercé en tant qu’éducateur sportif. Il s’est intéressé ensuite à l’immobilier puis a souhaité revenir dans le secteur éducatif. Le métier de Conseiller principal d’éducation l’attirait. Alors, il a postulé comme assistant d’éducation puis sur le poste APS. Le contenu du poste, ses responsabilités, les initiatives à mettre en œuvre pour gérer et amoindrir les manifestations de violence dans son collège, lui ont plu d’emblée. Et puis, il y avait au bout une possibilité d’intégrer pour de bon l’équipe éducative, plaçant la précarité du statut dans un passage nécessaire et non irrémédiable. Avec un statut d’assistant d’éducation, le salaire est au niveau du SMIC pour une durée hebdomadaire de 41 heures de travail et un contrat d’une durée maximum de six ans.

« Mon rôle est de gérer les problèmes de violence, violence physique et verbale, le harcèlement, les problèmes de drogue » explique t-il. Son travail est aussi celui d’un relais, en interne avec l’infirmière, le CPE, le conseiller d’orientation psychologue, les enseignants, le préfet des études ; et en externe avec les parents, le médiateur en milieu scolaire, l’assistante de liaison sociale. Il ne se contraint pas à l’enceinte de l’établissement scolaire et peut être amené à intervenir auprès des riverains si un problème est signalé dans le voisinage. « Cela m’est arrivé lorsqu’un élève avait mis le feu dans un coin du parc ou lorsque des voisins se sont plaint de bruits provenant des caves de l’immeuble ».

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A chaque fait, Pierre Warnet s’entretient avec les élèves. Lorsqu’il s’agit de violences entre eux, il cherche avant tout à apaiser, comprendre, chercher l’apaisement. Si cela ne suffit pas, il trouve un relais auprès de la personne référente à qui il transmet un compte-rendu. Et quand, c’est un problème de drogue, le référent de la Police Nationale intervient en classe pour expliquer les risques et les aspects légaux. Il ne faut pas oublier le « S » de l’acronyme de sa fonction, « S » comme sécurité, comme, entre autres, gestion des exercices incendie. « Je travaille également avec les parents, c’est important de les impliquer dans l’éducation ». Ce relationnel qu’il tisse avec les collégiens, leur famille, l’équipe du collège et les intervenants externes est une richesse qu’il entretient au quotidien. « Je connais beaucoup d’élèves et tous me connaissent », précise t-il comme un point d’honneur ajouté à la description.

A chaque changement de direction, il reçoit le même soutien : un bureau identifié pour recevoir élèves, parents et interlocuteurs ; une présentation en début d’année dans les classes pour être identifié, et une place entière et reconnue au sein du collège. D’année en année, il peaufine ses méthodes, étoffe son réseau. Au fil du temps, il se forme aussi, sur ses propres deniers, pour obtenir le sésame, le Bac + 5 qui lui permettra enfin d’être reconnu par l’institution, de pouvoir envisager de passer le concours de CPE. Et c’est sans doute là que se construit une réelle incompréhension, illustration de ces nouveaux métiers qui émergent, avec des missions majuscules et un traitement minuscule. La première année, les espoirs étaient réels : une formation de deux mois pour s’outiller et créer un réseau d’échanges de pratiques entre les 36 APS de l’académie de Lille, des portes aperçues, des promesses de reconnaissance. Et puis vint le temps du froid réalisme. « Un des APS a vu son contrat se terminer après un an d’exercice car il avait été auparavant assistant d’éducation pendant cinq ans ». La précarité était bel et bien au rendez-vous alors qu’une certaine professionnalité se construisait faite de charisme, d’autorité mais aussi, et surtout, du souci de placer chacun dans une perspective de réussite. « Il ne faut pas oublier que ce sont des enfants et de leur redonner la chance de redevenir un collégien pour s’en sortir ». Derrière l’acte d’autorité, il y a pour lui toujours un acte éducatif.

L’an passé, Pierre Warnet a obtenu une licence de sciences de l’éducation à l’université de Lille 3. Cette année, il entreprend un Master I et vise ensuite un Master 2. Ses cours, il les suit en partie à distance et en partie en présentiel, en plus de son travail et des 41 heures de présence dans l’établissement. Faute de financements par le rectorat, il paye lui-même ses études pour construire son avenir au sein de l’Éducation nationale. On imaginerait des validations d’acquis de l’expérience, des reconnaissances de compétences qui raccourciraient le parcours. Que nenni. Dans ses échanges avec ses 35 collègues de l’Académie, il constate ce même discours entre l’importance de leur mission et le faible écho institutionnel qu’il reçoit. « Ma journée commence à 7 heures 30, j’entends les insultes, je vois des bagarres entre les élèves, alors j’interviens. Je suis au collège jusqu’à 18 heures. Deux soirs par semaine, je vais m’entrainer au basket et après je travaille mes cours à distance. Le mardi soir et le mercredi, je suis des cours à Villeneuve d’Ascq ». Là, il côtoie des étudiants à plein temps avec qui il échange son expérience du terrain et les connaissances glanées dans ses lectures ou dans les conférences qu’il a suivies.

Celle d’Eric Debarbieux sur les violences scolaires l’a particulièrement marqué. Il est allé rencontrer le chercheur, lui a parlé de son quotidien Cette rencontre lui a donné envie d’aller plus loin encore dans ses études et son avenir professionnel. « Je suis un étudiant pas comme les autres » nous dit-il.

Et dans le réseau d’APS où la solidarité est de mise, les ressentis sont les mêmes : pas comme les autres, dans le système éducatif et à la marge. Un nouveau métier se construit par la force de ses acteurs et le soutien de leur établissement qui s’avère hélas variable d’une situation à l’autre. Et pourtant l’objectif est le même « Voir des résultats, des élèves qui progressent, toujours regarder de l’avant et pas seulement sanctionner ». Du cadre et de la reconnaissance, sommes nous tentés de résumer pour l’exercice du métier d’APS comme de sa prise en compte par l’institution.

Monique Royer