Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !
,

L’analyse de la une, une approche de l’esprit critique

Les auteurs proposent un dispositif pour ouvrir l’esprit critique des élèves au travers de l’étude de unes de journaux durant la Semaine de la presse et des médias dans l’école, un travail poursuivi tout au long du collège qui mêle EMC et EMI, y compris au sein des enseignements pratiques interdisciplinaires.

Dans le cadre de la Semaine de la presse et des médias dans l’école, organisée par le Clemi (Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information) et en binôme avec ma collègue professeure documentaliste Amandine Devillard, nous avons élaboré un projet pédagogique et citoyen pour les élèves de 6e qui a pour objet une réflexion sur la composition et la fonction de la une d’un quotidien.

Quelle place dans la scolarité ?

Tout d’abord, ce projet s’inscrit dans le socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Au cycle 3, le domaine 1 (Langages pour penser et communiquer) est fondamental. Il réclame une connaissance des différents supports qui font accéder les élèves à l’information et à la compréhension de ceux-ci. De plus, il s’agit pour les élèves de travailler les compétences liées à la formation de la personne et du citoyen, et plus précisément celles qui visent à développer l’esprit critique des élèves. Ce faisant, nous participons aussi à la mise en œuvre du parcours citoyen, car ce travail est réinvesti en 4e et en 3e.

Par ailleurs, le domaine 2 (Les méthodes et outils pour apprendre) recommande de familiariser les élèves « avec différentes sources documentaires, [d’]apprendre à chercher des informations et [d’] interroger l’origine et la pertinence de ces informations dans l’univers du numérique ». Il s’avère que les élèves ont une vision très réduite des médias. L’usage familial est prédominant et notre séance est sans aucun doute une découverte pour la plupart d’entre eux. Plonger dans l’univers médiatique auquel ils se confrontent chaque jour, assommés par des informations qui leur viennent de toutes parts et surtout des réseaux sociaux, est une clé de la compréhension de leur quotidien. Nous leur donnons aussi les outils pour mieux comprendre les stratégies de mise en avant de l’information par une rédaction grâce à la place de l’article sur la une. Nous développons ainsi leur esprit critique et nous sommes souvent surpris de la pertinence de leur réponse, notamment lorsque nous abordons la notion de gratuité d’un journal. La Semaine de la presse et des médias est le contexte idéal pour aborder l’EMI (éducation aux médias et à l’information) dans la progression de Mme Devillard, qui forme les 6es sur toute l’année.

Tout cela nous permet donc d’intégrer certaines dimensions de l’enseignement moral et civique (EMC). En effet, par les démarches pédagogiques mises en œuvre, les élèves vont développer des aptitudes à la réflexion critique et faire preuve d’écoute et d’empathie lorsqu’ils présenteront leurs travaux personnels.

Quel déroulé ?

Cette action se déroule sur trois séances d’une heure, dont deux la première semaine et une la semaine suivante. Elle a pour but de faire réaliser aux élèves la une d’un journal, en respectant les critères établis en classe.

Séance 1

Lors de la première séance, nous interrogeons les élèves sur leurs pratiques des médias et nous nous apercevons assez vite que la majorité d’entre eux en ont un accès plus ou moins quotidien via les smartphones, la télévision, mais aussi via la presse quotidienne régionale, car de nombreux parents y sont abonnés. Cela nous permet donc de définir les principaux médias comme vecteurs de l’information. De plus, nous pouvons aborder, à la suite de leurs questions, le vocabulaire lié à la périodicité des publications, mais aussi nous interroger sur la presse payante ou gratuite.

Les élèves travaillent ensuite sur différentes unes de la presse nationale et quotidienne, afin d’en dégager les points communs et les différences dans la structuration de celles-ci. Ils enrichissent donc leur vocabulaire avec le nom des différentes parties que l’on retrouve (bandeau, ventre, oreille, manchette et tribune). À partir de là, nous leur donnons la une d’un journal quotidien et ils doivent, à l’aide de feutres, entourer et nommer les différentes parties.

Séance 2

Pour préparer la deuxième séance, nous leur avons demandé de réfléchir à une information, celle de leur choix, réelle ou fictive, nationale ou locale, qui pourrait faire la une d’un journal. Après avoir refait un point sur le vocabulaire vu précédemment, nous leur donnons la consigne du travail qu’ils auront à réaliser : « Sur une feuille blanche de type A4, vous réaliserez la une d’un journal en respectant la structure et les différentes parties étudiées en classe. Votre travail pourra se faire de façon manuscrite ou informatique. »

Les élèves sont donc libres sur le fond (choix du titre, de l’information principale contenue dans le ventre, etc.), mais doivent respecter impérativement les éléments dégagés en classe. Après avoir répondu à leurs questions, nous les laissons en autonomie pour leurs recherches (sur internet ou dans les journaux mis à leur disposition) et la construction d’un brouillon.

Les élèves sont donc repartis chez eux avec un brouillon annoté (avec les remarques des professeurs, mais aussi celles de leurs camarades lorsqu’ils ont travaillé à plusieurs).

Séance 3

Lors de cette troisième et dernière séance, nous procédons à l’évaluation du travail des élèves. Celle-ci est double, car elle comprend une prestation orale de quelques minutes au cours de laquelle l’élève présente la une de son journal en indiquant ce qu’on peut trouver dans les différentes parties, mais aussi une évaluation de cette une (respect des parties, lisibilité, soin, originalité, etc.). Il s’agit donc d’une évaluation formative (leur prestation orale est suivie de conseils pour progresser, elle ne rentre pas dans la notation du travail) et d’une évaluation sommative pour ce qui concerne leur une.

À partir de là, les élèves élaborent une grille dans laquelle ils défissent les aspects positifs et les points à améliorer des différents travaux. Cette grille va ainsi leur permettre de faire une autocorrection de leur propre production, en vue d’y apporter les modifications nécessaires.

Quels réinvestissements ?

La séance menée en 6e ne peut être qu’un catalyseur pour la suite. Il semble en effet impossible de s’en tenir au décryptage d’une une pour appréhender l’univers des médias. Il convient alors de multiplier les séances pour tenter de couvrir la diversité du sujet. C’est pourquoi des initiatives sont mises en œuvre sur d’autres niveaux. En voici quelques exemples.

Dans l’année de 6e

Le travail que les élèves ont mené sur la nécessaire réflexion autour des sources d’information, et donc la mise en œuvre d’un esprit critique, est directement réutilisé dans le cours d’histoire, car, à plusieurs reprises, ils seront confrontés à différentes sources historiques sur un évènement et devront donc en tirer certaines conséquences, liées notamment à la volonté des auteurs.

Par exemple, un travail leur sera proposé concernant le duel entre Hector et Achille lors de la guerre de Troie, avec un exercice de comparaison entre le récit d’Homère, la description d’un cratère et un extrait du film de Ridley Scott [Correctrice : à préciser : Ridley Scott a réalisé Gladiator, mais Troie a été réalisé par Wolfgang Petersen].

En classe de 4e

En classe de 4e, les élèves pourront réinvestir leurs connaissances et leurs compétences dans le cadre de deux activités différentes.
Tout d’abord, les volontaires peuvent participer à un atelier de remotivation avec un travail interdisciplinaire (français, enseignement moral et civique, documentation) dont le but est de réaliser un journal du collège, avec une parution trimestrielle. Les élèves consolideront donc leurs acquis en les mettant en pratique de façon concrète et réfléchiront à leur orientation future (dans le cadre du parcours avenir) en découvrant les métiers liés au journalisme.

Dans le cadre des cours d’EMC, les élèves de 4e doivent réaliser la une d’un journal (avec tous les critères définis ci-dessus) autour du thème de la lutte contre le racisme. Pour cela, après avoir procédé à un brainstorming autour du mot « racisme », les élèves travaillent sur un espace où celui-ci peut exister mais, surtout, sur la manière dont on peut s’engager pour lutter contre (à la maison, dans la rue, au collège, au sport, etc.). Cette action est menée dans le cadre du parcours d’éducation artistique et culturelle et du parcours citoyen, en coanimation avec la collègue professeure d’arts plastiques.

En classe de 3e

En dehors de ceux-ci et dans le cadre des EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires), Mme Devillard travaille avec des professeurs de français, d’histoire-géographie et d’anglais sur le thème de la désinformation et de la rumeur avec une classe de 3e. De plus, durant leur année de 3e, les élèves se glisseront dans la peau d’un journaliste qui est destinataire d’une dépêche style AFP (Agence France-Presse). Pour cela, en salle pupitre et en coanimation avec la collègue professeure documentaliste, ils devront faire des recherches pour vérifier l’information, afin de la valider ou non. Ils auront donc comme consigne de rédiger un court texte pour expliquer si l’information est vraie ou non, en argumentant leur choix. Puis, après avoir procédé aux corrections nécessaires, ils doivent choisir un titre et rédiger un résumé d’un article qu’ils auraient dû écrire s’ils avaient été journalistes.

Amandine Devillard
professeure documentaliste au collège Anatole-France de Sin-le-Noble (59)
Mickaël Dufour
professeur d’histoire-géographie au collège Anatole-France de Sin-le-Noble (59)
MISE AU POINT
Fake – DésinformationFake : il s’agit d’un faux prenant l’apparence d’un véritable article de presse, ils sont légion sur les réseaux sociaux où ils reviennent régulièrement. Sur certains réseaux sociaux, des spécialistes du genre créent des fake news (fausses informations) alarmistes pour récupérer des clics et ainsi gagner de l’argent grâce à la publicité (certains gagneraient jusqu’à 10 000$ par mois ainsi).Hoax : souvent confondu avec le fake, il s’agit d’un canular viral (diffusé en masse et récurrent). La plupart du temps, il n’a aucune visée particulière, mais il arrive qu’il cherche à nuire à un personnage public, voire à une entreprise.Intox : information fausse présentée comme vraie et souvent assortie de fausses preuves (photographies truquées, etc.).

Infox : information fausse présentée par des journaux sérieux qui n’ont pas vérifié la source.

Faits alternatifs : néologisme présenté par la conseillère à la Maison Blanche Kellyanne Conway ; il s’agit d’affirmations contraires aux faits, affirmées par l’équipe du Président Donald Trump. Elles viseraient à dénigrer les médias présentés comme mensongers par nature.

Réinformation : terme d’extrême droite. Il s’agit de diffusion de leurs thèses, notamment proposant une autre interprétation des faits que celle des médias.

Désinformation : elle consiste à présenter à travers divers moyens de communication (usage du conditionnel, du subjonctif, d’expressions telles que « les médias prétendent… »). Les deux termes précédents peuvent entrer dans cette catégorie.

Fact checking (vérification des faits) : le journalisme d’investigation à l’anglo-saxonne pratique ces méthodes depuis longtemps, mais le terme nait dans les années 1990. Une émission comme Arrêt sur images en a fait sa spécialité, mais en France, ces méthodes se développent particulièrement depuis six ans, notamment au travers des Décodeurs du Monde. Certains estiment qu’à l’ère de la postvérité, le fact checking reste impuissant à rétablir des faits réels.

Postvérité : elle désigne la méthode qui consiste à orienter les discours non pas sur les faits mais sur l’émotion et les faits personnels, en ignorant même la vérité, notamment à des fins électorales. Cette tendance a conduit beaucoup d’Américains à croire, malgré les preuves, que Saddam Hussein avait forcément caché les usines d’armement. Plus récemment, c’est à travers les discours ouvertement excessifs de Boris Johnson qu’on a rendu l’expression plus courante. Elle conduit certains observateurs à employer l’expression « décrypter l’information » au lieu de simplement l’analyser, suggérant que le véritable message est caché derrière le discours.