Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Une situation sans précédent ?

Historiquement inédite, la situation que traverse le système éducatif français pendant la pandémie de coronavirus et le confinement n’en est pas moins complètement nouvelle. Les fermetures d’établissements scolaires et la mise en place d’un enseignement à distance ont en effet été décidées pendant les deux guerres mondiales tandis que les pandémies de grippes dites asiatiques de 1957, 1969 et 2009 avaient (déjà) obligé l’Éducation nationale à s’adapter.

Les guerres mondiales

Au cours des deux guerres mondiales, la décision de fermer des établissements scolaires est en effet prise dans les territoires à proximité du front ou exposés aux bombardements. Par précaution, plusieurs écoles situées près des combats sont donc fermées dès l’automne 1914. Par exemple, dans l’Oise, l’école primaire de Couloisy est fermée d’octobre 1914 à octobre 1915.

Cependant, malgré la menace constante, l’inspecteur d’académie propose bien souvent la réouverture des établissements à court terme, sous réserve qu’il existe une cave solide où peuvent s’abriter les élèves et les personnels. Mais, dans de telles conditions, les parents rechignent à scolariser leurs enfants. De plus, l’évolution des opérations militaires oblige à des fermetures répétées, y compris pour loger les troupes. Il en va de même dans les départements du Nord et du Nord-est de la France, occupés en partie ou en totalité par l’armée allemande. L’offensive Nivelle d’avril 1917 entraîne ainsi la fermeture de toutes les écoles à proximité de Laon et du Chemin des Dames.

La nécessité de désinfecter les locaux scolaires occupés par des troupes véhiculant des épidémies de toutes sortes prolonge souvent de quelques jours les fermetures. La pandémie de grippe dite espagnole qui sévit en 1918 oblige également la fermeture de certains établissements scolaires. Ainsi, en Seine-Maritime (Seine-Inférieure à l’époque), le préfet décide la fermeture des établissements primaires et secondaires, privés comme publics, du département, du 18 octobre 1918 jusqu’aux fêtes de la Toussaint, un temps que les municipalités doivent mettre à profit pour procéder au nettoyage des locaux scolaires à l’eau de javel et au bicarbonate de soude[[Karl Feltgen, « La grippe ‘‘espagnole’’ à Rouen », Études normandes, 56e année, n°1, 2007, p. 24-25.]].

L’exode de mai-juin 1940 entraîne également des fermetures massives dans les départements du Nord de la France, avant une reprise difficile de l’activité scolaire à compter de l’automne. Entre 1940 et 1944, le régime de Vichy adopte des plans d’évacuation et de fermeture des établissements scolaires selon un zonage graduel en fonction de l’exposition des communes et des secteurs classés à haut risque par le ministère de l’Intérieur. Il revient néanmoins aux préfectures et aux inspections académiques de dresser à l’échelle départementale une liste des communes, des plus exposées aux moins menacées. De même, en 1944, face à l’hypothèse d’un débarquement allié, un plan d’évacuation prévoit la fermeture des écoles urbaines et des zones côtières.

Solutions de repli

Afin d’assurer le maintien des activités scolaires lors de ces deux conflits, des solutions de repli sont recherchées localement : instituteurs et institutrices bricolent, font cours à domicile, avec des classes à mi-temps, y compris le jeudi (alors jour d’interruption des classes) par exemple. Bref, ils font classe malgré tout, malgré les difficultés, le danger, s’adaptent en permanence. L’inquiétude des acteurs éducatifs, à commencer par le ministre (Léon Bérard en 1919 ; René Capitant en 1944), face au « retard » accumulé par des élèves ayant suivi une scolarité intermittente est aussi bien souvent un questionnement sur l’avenir : leurs discours révèlent aussi inquiétudes et anxiétés dans un contexte incertain et assignent un rôle considérable à la jeunesse dans le relèvement à venir du pays.

C’est en 1939 que l’État crée à la hâte un service d’enseignement à distance (par correspondance et radio) pour l’enseignement secondaire, resté jusqu’alors le fait d’initiatives privées remontant au début du 19e siècle. Celui-ci est conçu comme temporaire, mais le régime de Vichy reprend cette politique à son compte en la structurant. En mai 1944, est créé le Centre national d’enseignement par correspondance (CNEC, ancêtre du CNED), que le gouvernement provisoire de la République française conforte dans ses missions après la libération[[MEN / MESR, L’histoire du CNED depuis 1939, CNED, 2008.]].

De même, le maintien de l’activité scolaire passe aussi par l’organisation des divers examens même aménagés, que ce soit dans l’enseignement primaire (certificat d’études, brevets), secondaire (baccalauréat) ou universitaire, bien qu’ils ne concernent alors qu’une minorité de la population scolaire. Par exemple, pour tenir compte des difficultés de déplacements, des sessions délocalisées sont organisées entre 1915 et 1918 dans l’académie de Lille, en partie occupée, et l’écrit est allégé de certaines disciplines en 1944.

Les pandémies grippales depuis les années 1950

Au cours des mois de juin et juillet 1957, la grippe dite « asiatique » touche la Chine puis l’Iran avant de se diffuser en Europe et en France à la fin de l’été. Peu alors sont ceux qui s’en alarment, à l’image d’un conseiller municipal parisien qui demande un report de la rentrée scolaire (qui a lieu alors début octobre), comme l’a fait l’Italie. Cependant, la morbidité en milieu scolaire atteint 50 % entre le 4 octobre et le 28 novembre[[Georges H. Werner, La grippe, Paris, PUF, 1973, p. 75.]]. Des fermetures localisées d’établissements sont donc prononcées, comme dans les académies de Bordeaux et de Toulouse, à Saint-Gaudens, Ribérac et Tarbes par exemple. À Mérignac, la fête scolaire organisée pour Noël par le patronage laïque, et qui devait rassembler les écoliers le 22 décembre, a dû être reportée.

La diffusion de la grippe dite de Hong-Kong (1968-1969) produit des effets similaires au cours de l’hiver 1969, qui correspond au pic français de la pandémie. Celle-ci passe presque inaperçue au sein d’une actualité politique chargée et dans le contexte des « Trente Glorieuses » marqué par une certaine culture du progrès, selon l’historien de la santé Patrice Bourdelais[[«Les élites et la peste, 1347 : partir tôt, loin, longtemps», Arrêt sur images, émission du 20 mars 2020, consulté le 3 avril 2020.]]. Des établissements scolaires sont pourtant à nouveau fermés localement. Une telle pratique, sans être à priori fréquente, peut intervenir lors d’épidémies de grippe saisonnière. Par exemple, le lycée technique d’État d’Albi ferme ses portes une semaine en février 1968 alors qu’un quart de ses élèves présente des symptômes.

Alors qu’en 2003, l’épidémie de SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère) donne lieu à des mesures d’isolement, à domicile, de quelques élèves de retour d’Asie. Après l’épisode de grippe aviaire H5N1 en 2004, le ministre de l’Éducation, Gilles de Robien, adopte un plan anti-pandémie qui prévoit notamment des fermetures d’établissements et le recours à la télévision scolaire afin de maintenir les acquis des élèves.

En 2009, c’est dans le contexte de la rentrée scolaire que sévit la grippe H1N1. Le ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel, communique auprès des parents d’élèves : une brochure Vous informer sur la grippe A/H1N1 et la scolarité de votre enfant est diffusée dans les familles[[Celle-ci est encore disponible sur le site internet de certaines académies, par exemple : http://www4.ac-nancy-metz.fr/p-verny/IMG/pdf/Info-grippe-A-H1N1_94274.pdf, consulté le 3 avril 2020.]]. Cette communication est doublée d’une campagne de promotion des « gestes barrière » et d’information sur la vaccination. Une circulaire interministérielle du 25 août 2009 relative à « la pandémie grippale A/H1N1 : impact sur le milieu scolaire et conduite à tenir » envisage des fermetures localisées de classes voire d’établissements (la décision revenant aux préfets) au-delà de trois élèves présentant des symptômes grippaux et pour une durée d’une semaine (six jours consécutifs), soit la période de contagiosité.

Ainsi, au 18 novembre, 118 établissements et 168 classes sont fermés sur le territoire français métropolitain[[Claude Lelièvre, « Est-il fondé de fermer les établissements scolaires ? Macron l’a fait ! », Médiapart, blog « Histoire et politiques scolaires », 9 mars 2020 : https://blogs.mediapart.fr/claude-lelievre/blog/090320/est-il-fonde-de-fermer-les-etablissements-scolaires-macron-la-fait, consulté le 10 mars 2020.]]. La médiatisation de ces fermetures, sans distinguer les suspicions et les cas avérés, l’abondante communication gouvernementale et des messages contradictoires contribuent à alimenter la confusion dans l’opinion publique et une perte de crédibilité de l’exécutif[[Alain Milon, La gestion d’une crise sanitaire : la pandémie de grippe A (H1N1), rapport d’information n°270 fait au nom de la Commission des affaires sociales du Sénat, 1er février 2011, p. 105 et 134.]].

Et la continuité pédagogique ?

Les sites internet des écoles et les environnements numériques de travail (ENT) des collèges et lycées, ainsi que le site internet du CNED www.académie-en-ligne.fr (devenu « Ma classe à la maison ») doivent permettre d’assurer « le maintien de la continuité pédagogique »[[Bulletin officiel de l’Éducation nationale, n°32, 3 septembre 2009.]]. Une fermeture généralisée à l’échelle régionale voire nationale est aussi envisagée par le Plan ministériel de prévention et de lutte « pandémie grippale » de 2008.

Dans cette éventualité, le ministère de l’Éducation nationale a en réserve des cours pour la télévision (France 5) et la radio (Radio France) : ces « modules d’enseignement  » ont été préparés à partir du printemps 2009 par le CNED et, à la rentrée, trois mois de diffusion peuvent être assurés à raison de cinq à six heures par jour et quatre jours par semaine. C’est le ministère de la Santé qui doit prendre la décision (ce qui ne fut pas le cas), mais l’efficacité d’une telle mesure ne fait pas l’unanimité dans le corps médical. Aucune garde d’enfants alternative n’est en effet prévue, le gouvernement faisant appel à la solidarité familiale ou du voisinage.

Si la situation créée par la pandémie de coronavirus peut paraître à bien des égards comme inédite et une première historique pour l’institution scolaire et ses divers acteurs, c’est davantage par son ampleur, car elle n’est pas sans rappeler, même partiellement et ne serait-ce que par leur portée, d’autres moments de crise du 20e siècle, même s’ils sont parfois difficilement comparables.

Julien Cahon
Maître de conférences à l’Université de Picardie Jules Verne (laboratoire CAREF)


À lire également sur notre site :
Laïcité et signes religieux à l’école : quelle histoire ! 1882-2019, par Julien Cahon


Photo: École communale de garçons, Paris 5e, « le versement de l’or », 1915 – Musée national de l’Éducation / CNDP Rouen.