Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Territoires de savoirs

Il est, nous dit-il, «comme beaucoup, entré par la petite porte dans l’enseignement agricole». La «petite porte» est celle de la formation pour adultes dans un dispositif d’insertion où il intervient en expression orale teintée de théâtre. Elle s’ouvre dans le Morvan, où il est impliqué dans un mouvement d’éducation populaire, là où les savoirs s’acquièrent sans le recours obligé au formel.

Le Centre de formation professionnelle et de promotion agricole (CFPPA) est ancré dans un territoire fortement rural à la densité de population faible. Alors, il faut inventer constamment pour s’adapter aux effets de la crise économique, au risque de désertification. Les publics en insertion côtoient de futurs agriculteurs et dans la mixité, les pistes créatives sont multiples pour redonner ou même donner le goût d’apprendre. Emmanuel Monnier se prend au jeu, retrouve les élans de l’éducation populaire dans les projets et les méthodes ouverts aux apprentissages informels.

Éducation socio-culturelle

Il découvre l’éducation socio-culturelle avec un remplacement au lycée, cette discipline propre à l’enseignement agricole, pensée comme une de ses fondations, où l’approche culturelle se métisse de liens avec l’environnement territorial, avec la pédagogie de projet. Il passe le concours dans cette matière, le réussit et enseigne quelques années au lycée tout en gardant un pied dans la formation pour adultes.
«Moi qui venais de l’éducation populaire, je trouvais enfin dans l’enseignement une matière qui favorise l’émancipation des jeunes et qui permet de sortir des cadres traditionnels de l’enseignement.»

A travers des actions culturelles, il voit des élèves comme transformés dans la rencontre avec un art, un territoire, être regardés aussi autrement dans l’établissement. La discipline est complète, en interaction avec d’autres, prône la transversalité, se vit dans l’innovation constante, bouscule l’organisation descendante. Son vœu est celui d’un décloisonnement complet qui intègre aussi les adultes et apprentis présents dans la même structure.

Projet artistique mené au LEGTA de Fontaines entre des élèves, une fanfare béninoise et une fanfare de Tournus

Projet artistique mené au LEGTA de Fontaines entre des élèves, une fanfare béninoise et une fanfare de Tournus

Il évolue encore vers une fonction de direction en prenant la tête du CFPPA, un changement de rôle où sa préoccupation première reste celle de la pédagogie avec une note prédominante de développement. «Un CFPPA, s’il veut survivre, doit regarder devant et pas derrière, innover en lien avec le territoire. Dans les campagnes du Morvan, c’est le dernier service public de formation présent». Les partenariats s’imposent, se vivent au gré des besoins divers qui s’expriment dans un territoire complexe.

S’entendre autour de la table

«On est amené au développement d’une expertise que d’autres n’ont pas, on a monté des groupements atypiques. Tout le monde est obligé de s’entendre autour de la table», une table qui accueille aussi bien les organismes de formation que les structures territoriales, pays ou communautés de communes. Des formations diverses sont ainsi construites, autour des activités sportives ou de la maçonnerie, des animations aussi pour accompagner la création d’un réseau de femmes agricultrices.

A 80 kilomètres de Nevers, «la capitale», les questions de mobilité, de logement peuvent empêcher des adultes de venir en formation. Une association est créée pour y palier. La mobilité est envisagée plus largement, pour tous les publics, y compris et surtout pour ceux qui sont en situation d’illettrisme. Un partenariat est initié avec un lycée agricole chilien avec un accueil réciproque le temps d’un stage d’un mois.

Accueil d'un groupe de Chiliens à Château-Chinon

Accueil d’un groupe de Chiliens à Château-Chinon

D’autres naîtront, plus proches avec la Loire Atlantique, européens avec la Roumanie, l’Italie ou la Grande-Bretagne. «La mobilité dans un secteur comme le Morvan c’est important. Partir en stage dans une autre région ou à l’étranger provoque les même résistances. Il n’y a pas beaucoup de brassage dans les territoires ruraux.» Les échanges européens sont gérés par une association de stagiaires en insertion, ressortant des programmes de lutte contre l’illettrisme. Ils donnent lieu à une réflexion sur les questions liées aux apprentissages des savoirs de base où la co-construction entre les apprenants et les formateurs est de mise.

Encourager les échanges et la mobilité

Emmanuel Monnier voit dans les échanges et la mobilité un biais pour travailler des compétences professionnelles et d’autres encore liées aux savoir-être et au vivre ensemble. Il retrouve là les accents de l’éducation socio-culturelle. Il pousse un peu plus loin sa réflexion en passant un Master d’ingénierie des projets interculturels et internationaux à l’Université de Bourgogne et rédige son mémoire sur l’impact des rencontres interculturelles dans les parcours de vie.

Aujourd’hui, son nouveau métier de chargé de mission en coopération internationale à la Direction régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt le mène à des rencontres avec les directions, les enseignants des établissements de l’enseignement agricole pour encourager, accompagner les projets de mobilité. Il apprécie les échanges très riches, les passerelles dressées entre l’enseignement technique et le supérieur, les relations et les partenariats pour trouver les financements.

Il exerce sa mission à mi-temps, la complétant par une deuxième mission liée aux politiques éducatives. Là, il travaille avec les conseillers principaux d’éducation, les infirmiers, en réseau, sur des questions de vie scolaire, de citoyenneté, de radicalisation. Et toujours, il prône «la transversalité sur le thème du vivre ensemble avec un projet associant l’éducation socio-culturelle, la vie scolaire et la coopération internationale», une belle synthèse d’un parcours où l’ouverture se vit sur les dimensions humaines d’un territoire, petit ou immense.

Monique Royer