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La mission grande pauvreté

Couverture du n° 520 des Cahiers pédagogiques, une page de cahier à carreaux déchirée est rattachée à la photo d'une barre d'immeuble par deux bouts de scotch colorés.

Après avoir été Directeur général de l’enseignement scolaire au ministère de l’Éducation nationale, Jean-Paul Delahaye s’est vu confier par la ministre une mission sur « grande pauvreté et réussite scolaire ». Il fait le point sur ses travaux avec nous.
Quelle est l’importance de cette mission « Grande pauvreté et réussite scolaire » ?

Cette mission est en parfaite cohérence avec la loi de refondation, dont il faut rappeler qu’elle a pour objectif de réduire les écarts inadmissibles de résultats entre élèves selon leur provenance sociale. C’est cette orientation qui a inspiré aussi bien la réforme des rythmes que celle du socle commun : celle des rythmes parce que, pour tous les enfants et notamment les enfants des classes populaires, il est très important d’avoir une matinée de classe en plus ; parce qu’il n’est pas négligeable non plus que ceux-ci aient accès à des activités péri-scolaires – 80 % des élèves y ont accès maintenant, au lieu de 20 % avant la réforme. Dans d’autres domaines ont été mis en place des dispositifs spécifiques comme le « plus de maîtres que de classes », la relance de la scolarisation des enfants de moins de trois ans, la refondation de l’éducation prioritaire avec par exemple, pour la première fois, la pondération du temps de service au sein des REP +.

Le renversement de la logique inégalitaire est-il possible, malgré les obstacles et la lourdeur de la machine ?

Sur le premier point, la question de la capacité que nous aurons, ou non, de dépasser les intérêts particuliers et de rassembler autour de l’intérêt général se pose très clairement ! Car tout le monde est en principe d’accord pour que les choses s’améliorent pour les enfants de milieu populaire, à condition de ne rien changer au cadre général qui fait si bien réussir les autres. Or, les comparaisons internationales nous montrent qu’il est parfaitement possible de faire réussir tous les élèves et donc faire émerger une élite sans que cela passe par un échec massif des élèves issus des milieux populaires. Il faut aussi rappeler que dans une démocratie, l’éducation doit « permettre à tous d’exercer les fonctions publiques », comme l’énonçait Condorcet à propos de ce qu’il appelait « l’instruction commune » et que nous appelons aujourd’hui socle commun.

Le passé récent de l’école nous donne des raisons d’espérer : après tout, le nombre de décrocheurs a été divisé par deux depuis les années 80, même si, désindustrialisation aidant, le décrochage est plus grave qu’autrefois. La création des bacs techno en 1965, celle des bacs professionnels en 1985, a permis un plus grand accès au second cycle, le fait qu’aujourd’hui 40 % des jeunes qui se présentent sur le marché du travail sont passés par l’enseignement supérieur (moitié moins pour ceux qui partent à la retraite aujourd’hui) nous montre que notre école a permis une transformation profonde de notre pays et qu’on peut donc lui faire confiance pour faire les nouveaux progrès qui sont attendus par la Nation. Et il ne s’agit pas ici d’égalité des chances mais bien d’une égalité des droits.

Classes populaires, pauvreté, grande pauvreté… vous avez choisi le dernier terme. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?

Les mesures de la pauvreté des enfants et donc des élèves sont nombreuses – notons cependant qu’elles sont récentes, une dizaine d’années à tout prendre. Si l’on se réfère aux mesures habituelles, on va de 2,6 millions d’enfants pauvres (famille disposant d’un revenu représentant 60 % du revenu médian) à environ 800 000 enfants qui connaissent la grande pauvreté (40 % du revenu médian). Sur le plan scolaire, et l’UNICEF a produit un étude qui va dans ce sens, cela signifie environ 17 % des élèves sont en situation sociale difficile. 7 à 8 % connaissent de très grandes difficultés. Se focaliser sur les enfants les plus pauvres  ne signifie pas oublier les autres, c’est utiliser une sorte de miroir grossissant des défauts de notre système . Le progrès de ceux qui sont le plus en difficulté peut aider tout le monde.

La précarité de vie des familles en grande difficulté, souvent peu connue, doit être mieux prise en compte au sein de l’école. On observe aujourd’hui par exemple combien la question de la restauration scolaire, des fournitures scolaires, celle des matériels nécessaires pour certaines formations, le coût des sorties, sont sensibles pour beaucoup de familles. Dans le second degré, la question des fonds sociaux qui ont considérablement diminué de 2002 à 2012 est évidemment un gros problème. La décision prise par la ministre d’augmenter très sensiblement ces fonds est donc une très bonne nouvelle.

Et les parents dans votre étude ?

L’article 2 de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école l’énonce avec force : « Pour garantir la réussite de tous, l’école se construit avec la participation des parents, quelle que soit leur origine sociale ». C’est un point essentiel de ma mission car les parents en situation de grande pauvreté ont souvent peur de l’école, ne comprennent pas toujours ce qui s’y fait et, souvent, n’y viennent pas. Et c’est bien à tort qu’on les qualifie parfois de « parents démissionnaires ». Pour peu qu’on leur prête toute l’attention qu’ils méritent, les parents qui ont des conditions de vie difficile peuvent apporter leur propre réflexion sur l’école, une autre perception de leurs enfants et enrichir l’école par leur présence. Il faut changer de regard à leur endroit et, dans un respect mutuel, les aider à prendre toute leur part dans la scolarisation de leurs enfants et à mieux comprendre les exigences de l’école.

Quelle place la pédagogie a-t-elle dans votre cadre ?

Notre marge de progression en matière pédagogique est importante dans un pays qui a longtemps demandé à son système éducatif de trier et de sélectionner les élèves mais qui a pris conscience récemment qu’il est devenu le plus injuste des systèmes éducatifs des pays développés. La refondation pédagogique de notre école aura réussi si nous trouvons les moyens pédagogiques d’assurer la réussite de tous pour rendre l’école de la République pleinement inclusive.

Toute la politique de refondation doit être tournée vers cet objectif : démocratiser la réussite scolaire. Notre école sera vraiment celle de la réussite de tous si elle se concentre sur ceux qui en sont les plus exclus et si elle sait mettre en place de nouvelles approches pédagogiques, en particulier pour réduire le nombre des sorties sans qualification touchant massivement les jeunes issus des milieux populaires.

Les pratiques pédagogiques doivent être interrogées car elles n’ont pas toutes la même efficacité pour réduire les inégalités de réussite. Il faut donc identifier les pratiques pédagogiques qui permettent la réussite de tous les élèves et permettre aux écoles supérieures du professorat et de l’éducation d’en favoriser la diffusion.

À très court terme, comment votre travail se déroule-t-il et sur quoi va-t-il déboucher ?

Je remettrai mon rapport à la ministre à la mi-mai, qui synthétisera l’acquis de mes visites dans plusieurs académies, de mes contacts avec les chercheurs et les partenaires, et des auditions que je réalise avec le groupe de soutien et d’expertise que j’ai constitué. J’ajoute que ma mission se déploie en lien avec le Conseil économique, social et environnemental qui travaille sur la thématique de « l’école de la réussite pour tous » et dont l’avis qui sera rendu également à la mi-mai.

Jean-Paul Delahaye
Inspecteur général de l’éducation nationale, mission ministérielle Grande pauvreté et réussite scolaire

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École et milieux populaires
Le mythe de l’égalité républicaine, nous n’y croyons plus trop, nous savons bien que certains élèves « sont plus égaux que d’autres ». Nous ne sommes pas naïfs. Mais pour la plupart, enseignants et acteurs de l’éducation, nous pensons travailler à la promotion de tous et souhaitons souvent pouvoir « compenser » les inégalités.