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La Maison des 3 espaces, histoire d’une école où tout s’invente (1)
Elle voulait être coiffeuse, pour être là au cœur de la cité, elle est devenue enseignante au hasard d’un concours pour être remplaçante, auquel sa mère l’avait inscrite. C’était il y a quelques dizaines d’années lorsque le métier d’instituteur était une voie de promotion sociale pour les enfants issus de milieux populaires. Monique Desgouttes-Rouby est aujourd’hui à la retraite et regarde son parcours avec un beau sourire. La Maison des 3 Espaces y tient une place à part, une place de choix, celle d’un projet qui, nourri de racines saines, se prolonge dans des rameaux plein de promesses.
L’un de ses premiers postes, dans les Monts du Forez, là où les titulaires ne voulaient pas aller, lui a donné le goût d’enseigner, d’apprendre son métier. Dans un petit village, avec une école où, les matins d’hiver, le poêle réclamait ses bûches, où les habitants venaient chercher du renfort lors des menus événements qui rythment la vie à la campagne, un veau à naître, un jour de marché… Des souvenirs aux couleurs des images d’Épinal, et pourtant. L’éducation d’aujourd’hui s’inventait déjà là-bas lorsque d’autres instituteurs dans les villages voisins rencontraient les mêmes conditions d’exercice extrêmes, les classes uniques, l’éloignement, le manque de formation et, du coup, se retrouvaient pour échanger sur leurs difficultés et construire ensemble des méthodes.
L’inspecteur venait à l’automne ou au printemps. « Il nous apprenait à être enseignant, à bien prendre soin des élèves ». Une fois par mois, une journée de formation faisait naître d’autres rencontres, les écoles Freinet qui fleurissaient alors amenaient leur lot de témoignages et l’institutrice repartait avec de nouvelles idées pour mener sa classe unique rassemblant douze élèves de la moyenne section au niveau certificat d’études. Puis elle est devenue titulaire, sa vie personnelle l’a menée vers Lyon, à Bron où elle a enseigné en maternelle. Là encore, elle s’est régalée, au sein cette fois d’une équipe plutôt âgée et pleine d’humour où le plaisir de travailler était partagé. Elle y est devenue directrice, poussée par une inspectrice, Françoise Combes, qui l’accompagnera sur un bon bout de son chemin professionnel. Elle l’incitera à diriger une école rurale en construction puis lui soufflera en 1984 d’aller voir du côté de Saint-Fons et de son projet de Maison des 3 espaces.
« Les élus avaient déjà pensé à un projet politique. Il fallait quelqu’un pour le mettre à plat et le rendre pédagogique, en équipe ». L’équipe était là en partie, dans des préfabriqués, au sein du quartier des Clochettes, « un quartier en déshérence mais fabuleux » qui avait besoin d’un groupe scolaire. Elles étaient cinq enseignantes au départ, trois constitueraient le noyau dur d’un projet qui déjà se construisait. Puis d’autres sont venus. Une école nouvelle existait dans la ville. Le sénateur maire souhaitait que les bonnes idées qui s’y développaient prospèrent plus fort encore autour de trois dimensions : la transversalité en mêlant temps scolaire et périscolaire dans le même lieu ; la verticalité, avec un cursus personnel de l’élève de la petite section au CM2 et l’horizontalité, en prenant l’enfant avec tout ce qui l’entoure.
Dans le projet pointaient des nouveautés, expérimentées parfois dans d’autres lieux mais peu répandues : une organisation par cycles, l’apport de compétences hors Éducation nationale au service des élèves et l’ouverture aux parents, au quartier. Depuis ses préfabriqués, l’équipe imagine le décor de la future école, participe à l’élaboration du cahier des charges et, lorsque l’architecte est choisi, est consultée sur les choix. L’école sera transparente avec beaucoup de béton pour afficher sa solidité, du bois pour soutenir et du verre pour apporter de la chaleur. Ce sera un lieu ouvert où les salles de classes auront plein de petits espaces pour aménager et imaginer. Pendant les deux ans de travaux, l’équipe restera dans les préfabriqués au plus près du chantier, les enfants observeront leur futur lieu prendre forme et tous en feront un sujet pédagogique. A la fin, ils feront ensemble les cartons pour investir ce nouvel espace qui sera le leur.
La ville, l’inspection, toutes les fées sont penchées au dessus du berceau pour que le projet prenne vie, s’épanouisse en investissant ses nouveaux locaux. Une secrétaire vient épauler Monique Desgouttes-Rouby, un enseignant la remplace pour qu’elle soit déchargée et ait du temps pour animer l’équipe, rechercher des soutiens pour les initiatives, travailler avec l’entourage de l’école : les parents, les associations, la crèche, le collège, les travailleurs sociaux. L’accent sur ce lien avec l’environnement, le décloisonnement, est fort. Les parents sont incités à venir dans l’école qui leur est ouverte, à participer aux projets. A côté des rencontres rituelles, officielles, de début d’année, sont institués des rendez-vous toutes les sept semaines entre l’enseignant et les familles. Ils peuvent avoir lieu le soir, le samedi, à des moments adaptés aux contraintes des parents. La directrice assiste à chaque entretien. Les langues natales sont le turc, l’arabe, le portugais. La communication passe beaucoup par l’oral et un travail est mené sur les langues et cultures d’origine.
L’entrée en maternelle est l’occasion de sensibiliser les familles au rôle de parents d’élèves, de les inviter autour d’un café, d’un thé à accompagner leur enfant dans cette école qui est aussi la leur. Des conférences-débats étaient organisées le soir, accueillant jusqu’à cinquante personnes pour apprendre, échanger sur des thèmes comme « le rôle du père » ou « savoir dire non ». Un lieu de paroles était installé dans l’école, animé par des psychologues, des travailleurs sociaux, des infirmières, des puéricultrices et les instituteurs du cycle un.
L’équipe est au centre de tout, un collectif élargi aux intervenants qui agissent auprès des familles. « Cette école a été un nid de talents » nous dit celle qui en a été la première directrice. Parmi ceux qui sont passés par là, se sont investis, ont apporté leur part, on dénombre des inspecteurs, des conseillers pédagogiques, des titulaires de CAFIPEMF (Certificat d’aptitude aux fonctions d’instituteur ou de professeur des écoles maître formateur) et une directrice d’une école internationale. L’animation de séquences en duo, en trio, en intercycles, pour décloisonner, aménager des temps d’accueil pour les parents tout en encadrant les enfants, les réunions consenties plus fréquentes qu’ailleurs, soudaient le collectif et faisaient naître des projets.
Pendant un temps, pour venir travailler dans la Maison des 3 espaces, il fallait auparavant s’immerger un peu, rencontrer l’école et l’équipe. Les postes étaient à profil et la compréhension du projet, l’adhésion aux valeurs étaient jaugées avant d’intégrer le collectif. « Pour l’intégrer, il fallait montrer une capacité d’écoute, à être perméable tout en gardant sa créativité, son ouverture ». L’intégration se fait parfois après un remplacement, une opportunité de vivre à plein le projet pas banal de l’école. Cette « bande de fadas », ce lieu où les projets éclosent, où un modèle se construit dans un lieu conçu pour, attirent l’attention partout en France et même ailleurs, mais recueillent plutôt de la méfiance dans les autres écoles des environs. Ce qui ne se voit pas, c’est le temps passé par sa directrice à monter les projets, rechercher les financements, l’énergie consacrée par l’équipe à toujours inventer, s’adapter en collectif.
L’expérience donne lieu à un livre[[Apprendre ensemble, apprendre en cycles, avec la Maison des Trois Espaces, aux éditions ESF. http://www.esf-editeur.fr/detail/355/apprendre-ensemble–apprendre-en-cycle.html ]] dont les droits d’auteurs serviront à financer un lieu de parole animé par un psychologue, où les enseignants échangeaient, parlaient de leurs difficultés, « Nous étions des bombes de créativité et le travail difficile au quotidien rendaient les zones de conflits inévitables ». Les ATSEM, les intervenants extérieurs, la secrétaire, la femme de ménage, tous sont associés aux réflexions, aux débats, aux projets, dans un souci de cohérence car « chaque personne travaillant à l’école était investie de la réussite de chaque élève ». Et tout le monde chante ensemble avec les enfants pour sceller un peu plus cette cohésion dans des instants joyeux.
« Conseil constitutionnel » : voici comment Monique Desgouttes-Rouby définit sa mission d’alors. Et lorsqu’elle est partie, à l’heure de la retraite, elle a emmené avec elle des enthousiasmes et une envie, celle de prolonger les expériences artistiques sources de partage et d’ouverture. Dans le quartier des Clochettes, là où « les parents ne portaient pas en eux les traces d’une réussite scolaire », l’imagination pédagogique collective a donné naissance à une belle expérience qui perdure encore. L’ex-directrice rencontre parfois des élèves grandis là-bas et leurs beaux souvenirs, leur aisance dans la vie d’aujourd’hui, est la meilleure évaluation possible du projet.
Monique Royer
La suite :
Épisode 2. Le voyageur : Jacques Suzat
Épisode 3. L’apprenante : Sonia Viel
Épilogue: une histoire sans fin