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L’inclusion au milieu du gué

Des « progrès fulgurants » ont été accomplis en matière de scolarisation des enfants en situation de handicap dans l’école ordinaire, observe Nathalie Mons, présidente du CNESCO, à l’occasion de la présentation des recommandations du Conseil sur ce sujet. Le nombre de ces enfants a été pratiquement multiplié par deux depuis la loi de 2005. Une conférence de consensus était organisée par le Conseil fin janvier, dont sont issues ces préconisations.

Plus de la moitié (53%) des enfants en situation de handicap sont scolarisés en milieu ordinaire dans une classe ordinaire. Un quart d’entre eux (24%) est en milieu ordinaire dans une classe spécialisée. 21 % sont scolarisés dans un établissement spécialisé et 2 % ont une scolarité partagée entre milieu ordinaire et établissement spécialisé.

Pendant que le nombre d’élèves scolarisés en milieu ordinaire passait donc de 133 838 en 2004 à 252 285 en 2014, en revanche, le nombre d’élèves en établissement spécialisé restait stable, autour de 70 000. Une stabilité qui peut s’expliquer par un « appel d’air » créé par la libération de places dans ces établissements par des élèves désormais inscrits dans l’école ou l’établissement du quartier, ou alors par un accroissement, dans le milieu ordinaire, du nombre de situations reconnues ou considérées comme relevant du handicap, tandis que le nombre de places dans les établissements spécialisés restait stable.

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Tout en soulignant ces progrès, Nathalie Mons a aussi signalé des « lacunes  » et de « fortes disparités territoriales ». Parmi les plus marquantes, celles liées à l’âge des enfants : si plus de 90 % des enfants de 3 à 5 ans sont scolarisés en milieu ordinaire, chaque « passage » de la scolarité (entrée en CP, au collège, au lycée, marque une diminution de cette proportion. On arrive ainsi à ce que le nombre d’élèves scolarisé au lycée soit quatre fois moins important qu’au collège.

Là encore, deux explications coexistent voire se combinent : des parcours scolaires plus heurtés pour ces enfants, qui amène à ce que nombre d’entre eux ne poursuivent pas au-delà du collège ; et le fait que les enfants de plus de 15 ans aujourd’hui n’ont pas bénéficié des effets de la loi de 2005 et notamment de l’accompagnement et des compensations qu’elle prévoit.

Autres disparités impressionnantes, celles liées au sexe et aux origines sociales des enfants. Ainsi, dans le premier degré, les deux-tiers des élèves scolarisés en situation de handicap sont des garçons. A plus de 40 %, la part des filles est même plus importante dans les élèves présentant un trouble physique (auditif, visuel ou viscéral) que dans ceux présentant un trouble du psychisme (16%)… De même, on relève une surreprésentation des familles de catégorie sociale défavorisée (ouvriers ou inactifs) parmi les élèves en situation de handicap. cette sur-représentation devenant, là aussi, nettement plus marquée lorsque l’on regarde seulement les troubles « intellectuels et cognitifs » (6 sur 10 venant de familles défavorisées, moins de 10 % de familles très favorisées).

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Cette catégorie des troubles intellectuels et cognitifs, floue et régie par des critères différents selon les départements et les MDPH (Maisons départementales des personnes handicapées), regroupe 70 % des élèves en situation de handicap. Le CNESCO s’interroge donc sur l’influence sur ces données des comportements des garçons : « Statistiquement, les garçons, surtout de milieux défavorisés, rentrent moins facilement dans leur rôle d’élève ; ces éléments comportementaux peuvent les amener à être englobés dans la catégorie des troubles intellectuels et cognitifs. On retrouve d’ailleurs la figure du garçon de milieu défavorisé comme surreprésentée dans d’autres pays. »

Deux modèles différents sont à l’œuvre en Europe et dans les pays de l’OCDE. Le modèle où domine une logique de compensation : ce n’est pas à l’école de s’adapter aux différences mais où l’institution offre des moyens et des soutiens spécifiques pour compenser le handicap en fonction du trouble détecté. Ce modèle est incarné par l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et la France il y a encore quelques années, où plus de 60 % des enfants en situation de handicap sont scolarisés en établissement spécialisé, où prédomine une vision très normée de l’individu et où existe aussi une filiarisation précoce, conforme à cette logique de séparation des élèves selon la catégorie dans laquelle on les situe.

Le modèle inclusif

L’autre modèle est, lui, inclusif, et le fer de lance en est l’Italie, où plus de 90 % de ces enfants sont scolarisés en milieu ordinaire. La population des élèves y est considérée comme une multiplicité d’individus tous différents et avec des besoins différents, le handicap n’étant qu’une différence parmi d’autres. C’est, dans cette conception, toute l’école qui doit changer pour s’adapter et accueillir des élèves divers. Tout part alors de l’enseignant, appuyé par des formations, des personnes-ressources et du personnel médico-social.

Les préconisations du CNESCO en matière d’accessibilité des bâtiments, de formation de l’ensemble des enseignants aux spécificités de l’accueil d’enfants en situation de handicap, de mutualisation des pratiques notamment grâce à la nomination d’un enseignant référent dans chaque école ou établissement, visent clairement à faire entrer résolument la France dans le modèle inclusif. En particulier, le Conseil recommande de développer des unités d’enseignement externalisées des établissements spécialisés dans les établissements ordinaires, pour des élèves porteurs de handicaps « lourds ».

La France réalisera-t-elle une révolution copernicienne d’un modèle à l’autre ?

Cécile Blanchard

Le dossier du CNESCO sur la conférence de consensus et ses préconisations.